Contre La sansure

Soumaïne Adoum: «Le Tchadien veut sortir de la pauvreté, veut de la démocratie et de la liberté»

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Lors de l’élection présidentielle du 6 mai au Tchad, s’affronteront notamment le président de transition Mahamat Idriss Deby et l’ancien opposant et désormais Premier ministre Succès Masra. Le porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama Soumaïne Adoum porte un regard sans concession sur le processus électoral et sur la présence militaire française dans son pays, après l’annonce du maintien des troupes françaises. Il est au micro de notre correspondant à Ndjamena, Carol Valade.

Le scrutin du 6 mai est censé mettre un terme à la période de transition entamée en avril 2021 à la mort du président Idriss Deby et l’accession au pouvoir de son fils, Mahamat Idriss Deby porté par un groupe de généraux. Il intervient dans un contexte de tensions, marqué par la mort de l’opposant Yaya Dillo, tué lors d’un raid de l’armée au siège de son parti le 28 février dernier, mais aussi de crise sociale depuis la hausse brutale des prix du carburant.

Ce contexte d’interrogation concerne également le plan diplomatique, après que l’envoyé spécial du président français pour l’Afrique, Jean-Marie Bockel, a déclaré à Ndjamena son « admiration » pour la transition en cours et le maintien des troupes françaises dans le pays.

Soumaïne Adoum est le porte-parole de la plateforme de la société civile tchadienne Wakit Tama, il porte un regard sans concession sur le processus électoral et sur la présence militaire française dans son pays.

RFI : Succès Masra, ancien opposant, aujourd’hui Premier ministre du Tchad, vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Quelles sont ses chances ? 

Soumaïne Adoum : Avant son accord de Kinshasa, Succès Masra s’est battu pour que les élections soient transparentes, crédibles, honnêtes, etc. Depuis qu’il est rentré, l’ensemble du processus pour mettre en place des élections crédibles ne le sont plus.

L’Ange [Agence nationale de gestion des élections – NDLR] est dirigée par un membre du MPS [parti fondé par le défunt président Idriss Deby et qui a investi Mahamat Idriss Deby en tant que candidat – NDLR], le Conseil constitutionnel est dirigé par le porte-parole même du MPS. Alors que ces deux organes-là organisent les élections et le second arbitre les différends, quelle est l’assurance qu’il a déjà pour être candidat et, deuxièmement, pour croire qu’il peut gagner ?

Avec un handicap supplémentaire du fait que, étant Premier ministre, c’est Succès Masra qui prend un peu tous les coups. On l’a vu avec l’augmentation des prix du carburant, c’est lui qui l’a annoncée.

Et puis non seulement ça, maintenant, on annonce la gratuité de l’électricité, pour de l’électricité qui n’existe pas. C’est une moquerie et c’est une opération dans laquelle il gagne doublement : ils ne nous fournissent rien, ils rendent ça gratuit. Bon, pour ceux qui ne savent pas, ils applaudissent, ceux qui ont l’électricité à la maison, ils grognent. Mais oui, mais l’annonce a été faite que c’est gratuit, et ça compte pour la campagne.

À vous entendre, le président de transition aurait un véritable boulevard devant lui ?

Je ne vois pas qui va empêcher l’élection de monsieur « Kaka ». D’autant plus que la communauté internationale attend le résultat final pour dire « OK, c’est bon, l’important, c’est qu’on continue la coopération ». Et Jean-Marie Bockel qui dit qu’il est satisfait de la transition : je ne sais pas ce qu’il a appris de la transition, lui.

Ces propos de Jean-Marie Bockel, qui ont été tenus donc à la présidence tchadienne, seulement quelques jours après la mort de Yaya Dillo, est-ce qu’ils vous ont choqués ?

C’est plus que choquant. Déjà, la mort de Yaya Dillo est un choc. Qu’après, quelqu’un arrive et dise que la transition se passe bien, quand il y a à peine dix jours, on a assassiné un des opposants qui peut gêner pendant les élections, ça, quand même, c’est fort de café. Mais en plus Jean-Marie Bockel dit que…

… que l’armée française reste présente, qu’elle doit rester au Tchad. Ça aussi, j’imagine que c’est quelque chose qui vous fait réagir ?

Pour les Tchadiens, c’est une déclaration de guerre parce que cette affaire est claire : on a dit qu’on accepterait tout sauf la présence militaire. Ça fait 130 ans que l’armée française est présente sur ce territoire, ce n’est pas acceptable. Alors s’il arrive et que lui, il décrète que l’armée française doit rester, ce n’est pas l’opinion des Tchadiens. C’est l’opinion du président de la transition, oui, mais ça c’est entre eux deux. Les Tchadiens, c’est autre chose. Les Tchadiens veulent un départ définitif de la base militaire quelles que soient les conditions.

Et selon vous, pourquoi est-ce que les Français cherchent à maintenir cette présence ?

Déjà pendant la colonisation, le territoire tchadien était toujours appelé un « territoire militaire », puis la tradition a continué. Deuxièmement, le Tchad est un verrou au niveau continental, et donc, une des clés, un des piliers de la puissance militaire française. Mais ça, ce sont les intérêts français, ce ne sont pas les intérêts tchadiens.

Et vous diriez donc qu’il y a un lien entre cette présence militaire et le ton qui est employé par la diplomatie occidentale à l’égard du Tchad ?

Oui, et il faut interroger le fait que, est-ce que ce n’est pas à cause de la base militaire, que l’exception politique démocratique est ainsi accordée au régime qui a fait le putsch en 2021 ? Est-ce que bousculer la question politique équivaudrait à perdre l’avantage militaire au Tchad ? Je ne sais pas.

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