Contre La sansure

Tierno Monénembo : « Si Mamadi Doumbouya avait respecté la Charte de la transition… j’aurais voté pour lui »

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À l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, célébrée le 15 septembre de chaque année, l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, reconnu pour son regard critique sur les réalités africaines, a livré une réflexion sur l’état de la démocratie en Guinée et en Afrique.

Dans un entretien sans détour accordé à Guineematin.com, il a évoqué les acquis, les défis, mais aussi le rôle des intellectuels et l’importance capitale de l’éducation dans la construction d’une véritable conscience citoyenne.

Nous vous proposons ci-dessous notre entretien :

Guineematin.com : Quelle est votre propre définition de la démocratie et ce qu’elle représente à vos yeux ?

Tierno Monénembo : Quelque chose de très important, presqu’un trésor, parce qu’il me semble que, comme le disait Churchill, la démocratie c’est un mauvais système, mais c’est le moins pire de tous. Tous les systèmes politiques sont mauvais, vous le savez bien, mais le moins pire, c’est celui de la démocratie. C’est le seul, comme le disait un humoriste, c’est le seul où on a le droit d’avoir tort. C’est déjà une très bonne chose. Tout à l’heure, quand vous avez tort, vous perdez la tête. La démocratie, parfois j’entends dire que ça coûte cher, et pourtant la démocratie la plus onéreuse au monde coûte beaucoup moins cher que la dictature la moins onéreuse. La démocratie, ça permet déjà de sauvegarder des vies. En dictature, on tue. On tue quand on veut, on tue qui on veut. En démocratie, ce n’est pas possible. C’est déjà un grand gain. Quand on préserve des vies, c’est déjà beaucoup. En plus, je ne dis pas qu’on préserve entièrement les économies, puisqu’il y a de la corruption dans la démocratie. L’être humain est corruptible, vous le savez bien, mais au moins, on a un droit de regard en démocratie. Ce qui est formidable en démocratie, il y a trois vertus cardinales de la démocratie. C’est le contre-pouvoir. Le pouvoir n’est pas absolu. À tout moment, le pouvoir peut être contesté. De l’intérieur même, dans les systèmes eux-mêmes, il y a le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, qui sont distincts dans le principe, donc qui sont contradictoires. Chacun peut interroger l’autre.

Deuxièmement, il y a le contrôle. Il y a le contrôle des citoyens à tout moment. À tout moment, on peut contrôler, on peut poser des questions : pourquoi ça ? Pourquoi avez-vous acheté cet avion et pas cet autre ? Pourquoi avez-vous construit la route de ce côté-ci et pas de l’autre côté ? C’est un droit, inscrit dans le principe même de la démocratie. Et troisièmement, il y a un droit de recours. À tout moment, on peut faire recours à quelque chose. Par exemple, je vous donne l’exemple de la France, où la démocratie est rodée. Elle n’est pas parfaite, c’est loin de là, mais elle est vieille de quelques siècles. Le moindre truc en France, vous avez droit à un recours. Par exemple, quelqu’un qui va en France pour demander un statut de réfugié, s’il ne l’obtient pas, il peut faire appel devant une espèce de tribunal moral qui va statuer sur son cas. Et s’il a le droit d’avoir le statut de réfugié, il l’aura quel que soit la décision du gouvernement français. À chaque moment, il y a un recours. C’est ça la démocratie. N’importe qui a les moyens de revendiquer ses droits. Alors qu’en dictature, il y a un seul homme qui a des droits, c’est le dictateur lui-même.

Si l’on observe aujourd’hui l’évolution de la démocratie dans le monde, et particulièrement en Afrique, quel bilan faites-vous : assistons-nous à un progrès ou à un recul ?

Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on est dans un recul, un recul même prononcé. Toutes les illusions nées dans les années 90, à la suite des conférences nationales, sont en train de mourir une à une. Il y a trois belles exceptions en Afrique de l’Ouest. Il faut quand même remarquer une chose, que l’Afrique de l’Ouest est souvent en avance sur beaucoup d’autres pays. Je pense qu’en Afrique de l’Ouest, quelle que soit X, on est quand même en avance par rapport à l’Afrique centrale. Il y a encore les dynasties tchadiennes, les pouvoirs de Paul Biya au Cameroun, de Sassou Nguesso au Congo, etc. C’est beaucoup plus compliqué. Il y a trois belles exceptions en Afrique de l’Ouest, c’est le Sénégal, le Ghana et le Bénin, où les démocraties sont rodées, où elles fonctionnent. Il y a des institutions qui fonctionnent.

Au Sénégal, on l’a vu, le président de la Cour constitutionnelle, il s’est prononcé, Macky Sall s’est exécuté. Il ne pouvait pas faire autre chose que s’exécuter. Le Ghana a une excellente démocratie, solide, fondée, très bien instituée. L’alternance au pouvoir, on n’en parle presque pas. Ça se fait très naturellement. La dernière fois, j’ai même fait un papier là-dessus, celui qui a été battu, il a été le premier à reconnaître sa défaite. Avant même que les résultats ne soient prononcés, il a reconnu sa défaite, il a présenté ses félicitations au nouvel élu. J’ai failli mourir de joie. C’est de la poésie en Afrique. C’est extraordinaire. Et le Bénin, regardez, Patrice Talon est en train de partir tranquillement. Bien avant la date du scrutin, il a déjà annoncé qu’il obéirait à la constitution, qu’il partirait le moment venu, qu’il ne serait pas candidat à un troisième mandat. Ici, c’est quand on n’est pas candidat au huitième mandat qu’on n’est pas normal.

En tant qu’observateur averti, selon vous, qu’est-ce qui a marché chez eux qui n’a pas marché chez nous ?

Certainement plusieurs choses. C’est une question d’histoire déjà. Vous savez, dans ces pays tout nouveaux, ces pays faibles, ces pays sous-développés, sous-alphabétisés, qui sont les nôtres, le premier pas est d’une importance capitale. Les premiers dirigeants sont très importants. Quand vous regardez des pays comme le Sénégal, la Tunisie, le Kenya, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire, ils ont eu des gens très mûrs au pouvoir dès le début de l’indépendance, des gens avertis, des gens qui savaient ce qu’ils faisaient. Bourguiba en Tunisie, il a fait de très belles choses, notamment en matière d’éducation, il a scolarisé en masse les jeunes filles, ce qui fait que l’intégrisme religieux a du mal à s’installer en Tunisie, la société est évoluée. Même celui qui est élu là, il est en train de faire des conneries, mais il ne va pas durer, parce qu’il y a des contradictions qui sont encore là, au niveau de la société, au niveau même des institutions. Au Sénégal, Senghor, on peut l’accuser de tous les maux du monde, mais il a instruit les Sénégalais, il a fait de l’instruction un principe cardinal, il a instruit la police et l’armée. Au Sénégal, les militaires et les policiers sont des intellectuels, c’est des gens diplômés, capables de discuter. On ne donne pas un fusil à un analphabète qui va aller tuer la population, comme ça se fait en Guinée ici. On donne le fusil à n’importe qui, il tire à tort et à travers, il est convaincu qu’il peut tuer qui il veut, même les arbres.

Au Ghana, il y a eu des problèmes en cours de route, parce qu’il y a eu le coup d’État contre N’Krumah, les militaires sont venus, mais ils ont réussi à reprendre le fil, le cours normal de leur histoire, et c’est en train d’avancer, ils évoluent aussi bien au niveau politique qu’à celui économique. Le Bénin, c’est pareil, le niveau scolaire est tellement élevé. Le Bénin a eu une expérience absolument lumineuse, le dictateur Kérékou a été recyclé en démocrate, c’est extraordinaire, c’est formidable ça. Il a été dictateur, puis il s’est représenté aux élections, il a gagné, il a fait son mandat, et il est parti, c’est extraordinaire. Chez nous aussi, si Mamadi Doumbouya avait respecté la Charte de la transition, et qu’un ou deux mandats après, il était revenu pour se présenter aux élections, j’aurais voté pour lui, je vous le jure, sans aucun problème.

Vous estimez donc que tout ramène à la question de l’éducation et de la conscience citoyenne ?

Bien sûr, c’est la source de tout à mon avis, puisque quand le peuple est instruit, il sait mieux ce que ça veut dire une élection, il sait mieux ce que cela veut dire un dirigeant, il sait mieux ce que cela veut dire une opposition. Le jeu démocratique est un jeu qui vient de la pensée, c’est un concept, c’est une idée, ça vient de gens qui ont réfléchi, ça vient des intellectuels, c’est un concept. Le concept de citoyenneté, de démocratie, ce sont des concepts intellectuels, il faut être un minimum instruit pour les comprendre et les manier. On ne peut pas faire la démocratie facilement dans un pays où seulement 30% de la population est alphabétisée, c’est très difficile, surtout quand on a une expérience comme la nôtre. Ce que nous avons comme expérience en Guinée, c’est la dictature. Depuis l’indépendance, que ce soit les militaires ou les civils, ça a toujours été la dictature. Nous sommes à la sixième dictature, nous avons 67 ans de dictature, c’est très difficile de sortir de ce piège-là. C’est très difficile en Guinée de créer quelque chose de nouveau que les gens ne connaissent même pas, qui s’appelle la démocratie. Le problème en Guinée, c’est que les Guinéens ne savent même pas ce que cela veut dire la liberté. Même quand tu vois les Guinéens se comporter, tu sens que c’est des gens qui n’ont jamais été libres, qui ne savent pas encore ce que ça veut dire être libre, c’est ça le problème.

En tant qu’écrivain engagé, souvent critique à l’égard des systèmes politiques, quel rôle la littérature et les intellectuels peuvent-ils jouer dans la consolidation de la démocratie ?

À mon avis, la démocratie est un produit littéraire. Ce sont les textes qui ont produit cette belle notion de démocratie. Ce sont les textes qui la font avancer. Vous savez, on me dit souvent que l’écrit, ça n’apporte rien. Évidemment, en Guinée, les Guinéens trouvent quelque chose d’intéressant que quand c’est une sauce ou un plat de riz ou autre chose. Ils ne comprennent pas ce que ça veut dire, le concept, ils ne comprennent pas ce que c’est qu’un projet d’avenir, c’est la bouffe immédiate, c’est le repas du midi qui est la préoccupation de tout le monde, même des élites, ce qui est une tragédie. Et c’est la littérature qui est à l’origine même de l’avancée de la société moderne. La Révolution française, elle est littéraire. Ce sont des écrivains qui sont à la source de la Révolution française. Vous savez, les Marxistes, ce sont des gens qui ont écrit, ce sont des philosophes et des écrivains. Avant même que Marx ne soit là, il y a eu des gens qui ont déjà critiqué le système qui était là par le biais de la littérature. Et le roman joue un rôle, pas immédiat, pas frontal, mais c’est latéral, c’est dans le temps. Mais il a toujours joué un rôle crucial dans l’évolution de la société. La littérature était le moteur de l’évolution historique des peuples.

Alors, dans un contexte où beaucoup de jeunes semblent aujourd’hui se détourner des questions politiques, comment les amener à s’impliquer davantage dans le combat pour l’ancrage démocratique ?

À mon avis, ç’aurait été l’école. Malheureusement, l’école est la chose la plus mal en point en Guinée. Si la Guinée marche si mal, c’est parce qu’ils ont foudroyé l’éducation dès le début. Ils ont complètement cassé le système éducatif. Parce que le drame de la Guinée, c’est que tous les deux systèmes ont été tués en même temps. Et le système éducatif traditionnel, et le système éducatif moderne.

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