Un militaire en activité peut-il être candidat à la Présidence de la République en Guinée sans démissionner ?
L’analyse selon laquelle un militaire en activité, même Chef de l’État en transition, ne pourrait se porter candidat à la magistrature suprême sans démissionner repose sur une lecture rigide du droit guinéen.
Si elle s’appuie sur le principe de neutralité militaire inscrit à l’article 10 de la Loi L/2019/0041/AN, elle néglige plusieurs éléments fondamentaux du droit constitutionnel, de la hiérarchie des normes et du contexte transitoire. Une lecture plus nuancée permet de démontrer que cette interdiction n’est ni absolue, ni juridiquement incontestable.
I. La primauté de la Constitution sur les lois ordinaires
L’article 45 de la Constitution guinéenne consacre un droit fondamental : « Tout citoyen guinéen jouissant de ses droits civils et politiques peut être candidat à la Présidence de la République. » Ce droit est de valeur constitutionnelle, donc supérieure à toute loi ordinaire, y compris le Statut général des militaires.
Or, l’analyse initiale accorde à l’article 10 du Statut militaire une valeur contraignante équivalente à celle de la Constitution, ce qui constitue une erreur de hiérarchie des normes. En cas de conflit, seule la Constitution prévaut. Le Conseil constitutionnel, garant de cette hiérarchie, pourrait être saisi pour trancher une éventuelle contradiction.
Exemple : En droit sénégalais, le Conseil constitutionnel a déjà rappelé que toute restriction au droit de candidature doit être expressément prévue par la Constitution ou justifiée par un impératif supérieur d’ordre public.
II. Le statut hybride du Chef de l’État en transition
L’analyse ne distingue pas le statut d’un militaire ordinaire de celui d’un militaire investi d’une fonction civile suprême dans un contexte transitoire. Or, le Chef de l’État en transition, bien qu’issu de l’armée, exerce une fonction civile, investie par un acte de souveraineté (charte de transition, décret ou consensus national).
Cette fonction suspend de facto certaines obligations militaires, notamment l’obligation de réserve. Il ne s’agit plus d’un militaire en activité au sens strict, mais d’un agent public exerçant une charge politique transitoire.
Exemple : Le capitaine Amadou Toumani Touré, au Mali, a dirigé la transition de 1991 à 1992 en tant que militaire, puis s’est présenté à l’élection présidentielle de 2002 sans que sa candidature ne soit invalidée pour défaut de démission militaire. Il avait entre-temps quitté l’armée, mais son statut transitoire n’avait pas été un obstacle juridique.
III. La jouissance des droits civils et politiques : une interprétation excessive
L’analyse affirme que le militaire en activité ne jouirait pas pleinement de ses droits civils et politiques. Or, cette affirmation repose sur une confusion entre l’exercice des droits politiques et leur existence juridique.
Le droit d’éligibilité est un droit fondamental, et sa restriction doit être interprétée strictement. Le fait qu’un militaire soit soumis à un devoir de réserve ne signifie pas qu’il est privé de ses droits civiques. Il peut être électeur, et sous certaines conditions, candidat.
Cependant, la jouissance des droits civils et politiques ne signifie pas leur exercice immédiat, mais leur reconnaissance. Le militaire peut jouir de ses droits tout en étant temporairement empêché de les exercer, sauf disposition constitutionnelle expresse.
IV. L’absence de mécanisme intermédiaire : une lacune juridique
L’analyse ne propose aucune alternative entre la démission pure et simple et l’inéligibilité. Pourtant, le droit administratif guinéen connaît des mécanismes comme la mise en disponibilité ou la suspension temporaire, qui permettent à un agent public de se retirer de ses fonctions sans rompre définitivement le lien statutaire.
Proposition : Le militaire chef de la transition pourrait être mis en disponibilité ou suspendu de ses fonctions militaires pour se conformer à l’article 10, sans démissionner formellement. Cela préserverait à la fois la neutralité de l’armée et le droit de candidature.
V. Le contexte transitoire appelle une lecture finaliste du droit
Enfin, l’analyse ignore le contexte exceptionnel de la transition. Or, le droit constitutionnel reconnaît que les périodes transitoires appellent des ajustements normatifs. La finalité de la transition est le retour à l’ordre constitutionnel, non l’exclusion de certains citoyens du jeu démocratique.
Exemple : En Afrique du Sud post-apartheid, des militaires ont intégré le processus politique de transition sans être exclus du champ électoral, dans un souci de réconciliation et de stabilité.
Conclusion
L’interdiction faite à un militaire en activité de se porter candidat à la Présidence, bien que fondée sur un principe de neutralité légitime, ne saurait être absolue ni supérieure à la Constitution. Le droit guinéen gagnerait à clarifier cette articulation par voie réglementaire ou constitutionnelle.
En l’état, une interprétation souple, respectueuse de la hiérarchie des normes et du contexte transitoire, permettrait à un militaire chef de la transition de se porter candidat, à condition de se soumettre à un mécanisme de mise en disponibilité ou de suspension, garantissant la neutralité de l’armée sans priver le citoyen de ses droits fondamentaux.
Ousmane Mohamed CAMARA
