Contre La sansure

Sénégal: la démarche judiciaire pour «crimes contre l’humanité» contre le président «puérile et ridicule», selon la ministre Aïssata Tall Sall

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À la suite de l’initiative d’un avocat de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, qui veut poursuivre le président sénégalais Macky Sall pour « crimes contre l’humanité » devant la justice française et la Cour pénale internationale, la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, réagit sur RFI et France 24 en qualifiant cette démarche de « puérile et ridicule ».

Christophe Boisbouvier (CB) : Madame la ministre, ce sommet de Paris, c’est pour libérer de l’espace budgétaire afin que vous puissiez réussir votre transition énergétique, et donc que vous renonciez aux énergies fossiles. Mais en même temps, le Sénégal annonce qu’il va exploiter du gaz et du pétrole offshore à partir de l’année prochaine. Est-ce que ce n’est pas contradictoire, est-ce que vous êtes prêts à dire non au gaz et au pétrole ?

Aïssata Tall Sall : La situation, c’est celle-là qui fait que, en Afrique, il y a près de 600 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité. Est-ce que vous pensez qu’il est normal pour un dirigeant de dire à cette population : attendez, nous allons voir comment avec le vent, comment avec le soleil, comment avec l’hydrogène si c’est possible, nous pourrions vous apporter l’électricité alors que, pendant ce temps, il y a les ressources naturelles qui sont là. Voilà quelle est la quadrature du cercle pour un dirigeant africain.

Maintenant, au Sénégal, nous allons, à partir de cette année, au plus tard début 2024, commencer la production du pétrole et du gaz. Pour le gaz, nous disons que c’est une énergie propre, qu’elle n’est pas fossile comme l’est le pétrole. Je pense qu’il faut que les pays occidentaux soient conciliants et acceptent qu’en Afrique, il y a une situation qu’on ne peut pas dépasser sans ces énergies, et nous fixer un temps et y aller de façon évolutive.

Marc Perelman (MP) : On va passer à tout autre chose. Ce mercredi 21 juin, une double démarche judiciaire a été déclenchée contre le président Macky Sall pour « crimes contre l’humanité ». Une de ces démarches, c’est devant la justice française, l’autre c’est devant la Cour pénale internationale. Cette offensive judiciaire est menée par l’un des avocats de l’opposant Ousmane Sonko, suite aux affrontements meurtriers entre les forces de l’ordre et les manifestants. Quelle est votre réaction à cette offensive judiciaire ?

Je trouve que cette démarche de ce confrère est à la fois puérile et ridicule. Où a-t-il saisi la Cour pénale internationale sans passer par le procureur ? Une fois que le procureur lui-même est saisi, il faudrait qu’il vérifie la complémentarité de l’action judiciaire. C’est-à-dire que la Cour pénale internationale ne peut pas se prononcer tant qu’il y a une justice interne, nationale, qui suit son cours pour les mêmes faits. Et c’est le cas au Sénégal.

Maintenant, pour la saisine de la France, c’est là où on tombe dans le ridicule, puisque, apparemment, ce confrère veut se fonder sur la compétence universelle qui aussi a ses conditionnalités, parfois même beaucoup plus draconiennes.

Mais au-delà de tout cela, quand on voit les casernes de gendarmerie, les édifices publics brûler après le jet de cocktails Molotov, quand on voit des manifestants tirer sur d’autres manifestants – ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des médecins et des témoins indépendants – en quoi la Cour pénale ou la compétence universelle peut venir s’incruster dans cette affaire du Sénégal alors que la justice nationale est en train de faire son travail ? Donc, franchement, sur cette initiative judiciaire, pour nous, c’est de l’enfantillage et également, c’est du ridicule.

CB : Vous parlez des tirs à balles réelles. Le 13 juin, le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est déclaré profondément préoccupé par la situation dans votre pays et a ajouté que « l’utilisation d’armes à feu par les forces de sécurité lors des manifestations constituait un sombre précédent pour le Sénégal ». Est-ce que vous entendez cette grave mise en cause ? Est-ce que vous la prenez au sérieux ?

Il a raison et il a tort. Il a raison quand il dit que ça peut être « un sombre précédent », parce que le Sénégal est un pays respectueux des droits de l‘homme, parce que personne n’a jamais souhaité qu’au Sénégal, on puisse utiliser des balles réelles pour tirer sur des manifestants. Mais quand les forces de l’ordre sont agressées, quand elles sont en état de légitime défense, que doivent-elles faire ?

CB : Il n’y aura pas de sanctions contre les forces de l’ordre qui ont tiré à balles réelles ?

Bien sûr qu’on est en train d’enquêter ! Bien sûr que, quand le juge verra que le manifestant ou même la force de l’ordre en face a tiré, parce qu’il était en état de légitime défense, que va-t-il faire ? Tout cela nous amène à l’enquête qui a été ouverte de façon indépendante et de façon judiciaire.

CB : À Dakar, le dialogue national est sur le point de s’achever et ses membres envisagent que les opposants que vous connaissez bien – vous avez même été militante du PS avec l’un des deux -, Khalifa Sall et Karim Wade,  puissent se présenter à la présidentielle de février 2024 malgré leur condamnation passée. Est-ce que ce serait une mesure d’apaisement souhaitable à votre avis ?

Si ces gens, avec leur parti, ont accepté de venir au dialogue politique, pourquoi pas ? Je pense que non seulement il faut les entendre, mais il faut les accepter dans leur requête et leur demande, et faire effectivement que, si ça doit apaiser le champ politique au Sénégal, oui, pourquoi pas ? Parce que nous sommes ce pays de dialogue et de paix.

MP : Donc, vous êtes pour les candidatures de Khalifa Sall et Karim Wade l’année prochaine ?

Si eux-mêmes sont pour leur candidature, oui, pourquoi pas ?

In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230622-senegal-la-demarche-judiciaire-pour-crimes-contre-l-humanite-contre-le-president-est-puerile-et-ridicule-selon-la-ministre-aissata-tall-sall

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