Vague de censures en Guinée : RSF exige des réponses des autorités
Trois chaînes de télévision ont été retirées des bouquets de Canal+ et de StarTimes pour des raisons de “sécurité nationale” sans notification et dans l’incompréhension générale. Dans un contexte où depuis des semaines l’accès aux réseaux sociaux et à plusieurs radios indépendantes est suspendu, Reporters sans frontières (RSF) demande instamment aux autorités guinéennes de mettre un terme à ces censures.
Suspension de médias en cascade en Guinée. Pour les abonnés de Canal+ dans le pays, c’est l’écran noir sur les chaînes Djoma, Evasion et Espace. Le 6 décembre, la Haute Autorité de la communication (HAC), l’autorité régulant le secteur des médias, a demandé au directeur général de Canal+ de retirer la chaîne d’information et de divertissement privée Djoma (TV et Radio) de son bouquet pour des raisons de “sécurité nationale” et “jusqu’à nouvel ordre”. Trois jours plus tard, les mêmes raisons ont été invoquées pour demander le retrait des chaînes privées Évasion (TV et FM) et Espace (TV et FM). Ces chaînes, suivies dans le pays, ont également été retirées de la plateforme de services de télévision payante StarTimes depuis le 12 décembre, pour les mêmes motifs, sans détails. Son directeur général n’a pas souhaité répondre aux questions de RSF avant d’avoir reçu, selon ses dires, un “ordre officiel”.
Outre ces chaînes de télévision, les radios FIM FM, Djoma FM, Espace FM et Évasion sont également inaccessibles dans le pays depuis deux semaines, leurs signaux étant brouillés sans explication. Les réseaux sociaux tels que WhatsApp, Facebook, Instagram et TikTok sont, quant à eux, toujours indisponibles sans VPN.
Contacté par RSF, le directeur général du groupe Djoma Média, Kalil Oularé, s’est dit “très surpris”. “Nous n’avons pas reçu de convocation préalable : il s’agit d’une mesure que la HAC n’a normalement pas autorité à prendre de cette manière.” Elle est tenue de justifier sa décision en notifiant toute décision de ce type. Selon Kalil Oularé, l’instruction donnée par la HAC provient des autorités gouvernementales.
En guise de réaction, le porte-parole du gouvernement, également ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, a d’abord, lors d’une conférence de presse donnée fin novembre, nié la responsabilité des autorités, annonçant “attendre d’être saisi officiellement pour réagir”. Sur X (ex-Twitter), le 9 décembre, il a cette fois argué que “les mesures prises par les autorités ne visent en aucun cas à museler la presse”, qu’il s’agit d’“une réponse immédiate face à des pratiques telles que l’apologie de la haine communautaire, l’accentuation des tensions sociales et politiques […]”. Or, aucun contenu spécifique n’a été mis en cause, et ce sont des médias en intégralité qui sont sanctionnés. Le porte-parole, tout comme le président de la HAC, n’ont pas répondu aux appels de RSF.
Parallèlement, les locaux de Djoma Média n’ont plus accès à Internet. Selon Kalil Oularé, lorsqu’’il a souhaité régler le problème, l’équipe technique lui a signifié que “l’ARPT a[vait] interdit à tous les fournisseurs d’installer internet à Djoma”. “Tout est en règle chez nous, donc on trouve des stratagèmes d’un autre temps pour nous réduire au silence”, déplore-t-il.
La réaction des organisations de presse
“La situation est inquiétante. Les autorités guinéennes outrepassent toutes les règles dans leurs agissements contre les médias”, s’alarme le secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), Sékou Jamal Pendessa. Pour protester contre ce climat liberticide, le syndicat a organisé une journée sans presse le 11 décembre. Le 6 décembre, les associations de presse avaient par ailleurs déclaré « ennemies de la presse » cinq personnalités, dont le Premier ministre, Bernard Goumou, et le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo.
Alors que la junte s’était engagée à respecter la liberté de la presse auprès de RSF après son arrivée au pouvoir en octobre 2021, la situation des médias se dégrade en Guinée. Depuis le mois de mai, les atteintes se multiplient : réseaux sociaux et radios privées coupés, sites d’information interrompus ou suspendus durant plusieurs mois sans explication, journalistes agressés sur le terrain, arrêtés… Les autorités, régulièrement critiquées, ne donnent aucun élément de réponse quant aux récentes censures. Les médias concernés ont tous en commun de suivre une ligne éditoriale libre et critique.