Nécrologie-Niger: Décès de Hama Amadou : un géant, tombé aux pieds de la junte
On meurt, un peu, comme on a vécu : si l’on est resté soi-même , droit dans ses bottes, dans toutes les situations et qu’on s’est montré digne de confiance, à toute épreuve, l’on part, le cœur léger et la conscience tranquille. Si l’on a vécu pour les autres et s’est comporté en homme d’honneur et de conviction, on peut ne plus vivre, mais, l’on ne disparaîtra jamais des cœurs et des mémoires. Par contre, si l’on fait tout au gré du vent et se complaît dans les compromissions, on sort par la petite porte et quitte le monde, sur la pointe des pieds, dans la déchéance et sur un air de banalité.
Hama Amadou, est décédé, au moment où on s’y attendait le moins, au Niger où il était rentré après son long et éprouvant exil et vivotait, virevoltait désormais dans une quasi-clandestinité, à l’image de ses pairs politiques, enterrés vivants par la junte qui s’est accaparée de l’Etat du Niger. Il a été cueilli, à froid, par un pouvoir militaire qui s’est bien servie d’acteurs politiques comme lui qui, au prix d’un pacte avec le diable, espèrent parvenir toujours à leurs fins. Il part avec la frustration de n’avoir pas été réhabilité dans l’affaire rocambolesque des ” bébés importés” qui a souillé l’honneur de sa famille et fait vaciller sa carrière politique. Son ennemi mortel et permanent, Mahamadou Issoufou, qui l’a trahit et avait exploité le scandale à des fins politiques, pour détruire le redoutable adversaire politique qu’il était.
C’est au pied de l’avion, au moment de descendre la passerelle que l’ancien président avait fait interpeller pour ensuite l’incarcérer à la prison civile de Filingue à 180 km de Niamey son éternel rival , à peine revenu de son exil. C’était à la veille d’un scrutin présidentiel qui devait les opposer dans un corps à corps électoral épique. Hama Amadou réussira le tour de force de battre campagne à partir de la prison surtout réalisera l’exploit de se qualifier pour le second tour. Soumis à des conditions de détention drastique et épouvantable le pensionnaire tomba malade.
À l’article de la mort, il sera évacué en France, à l’hôpital américain de Paris, où il a été admis, dit-on , pour une leucémie. Un moment difficile pour l’homme politique qui a gardé le lit pendant longtemps avant de recouvrer la santé, demeurée stationnaire, ayant nécessité, jusqu’au jour fatidique, un suivi médical régulier dans le même établissement. La retraite médicale silencieuse a débouché sur un exil forcé, parce que le défunt, étant en grande délicatesse avec le régime dirigé par Mahamadou Issoufou qui ne lui a jamais voulu du bien, lui a chaque fois souhaité et préparé le pire.
Hama Amadou, lui aussi, lorsqu’il s’agit de Mahamadou Issoufou, voit rouge et tombe dans la passion sourde et aveugle. C’est pourquoi , lui le démocrate inconsidérément, a apporté un soutien machinal, matinal et irréfléchi à la junte qui a renversé le Président démocratiquement élu du Niger, Mohamed Bazoum, en pensant se venger du mentor du Président déchu, Issoufou, sa bête noire. Une guerre par procuration mue par la haine , l’esprit de revanche et de règlements de comptes. La capitale , Niamey étant acquise à sa cause , il n’a pas lésiné sur les moyens pour mobiliser ses troupes qui ont battu le pavé afin d’apporter une onction populaire au coup d’état, perpétré contre les institutions de la République. Hama Amadou ne tardera pas à se rendre compte, la mort dans l’âme, que son meilleur ennemi est l’artisan et le bénéficiaire du coup d’Etat adoubé par lui.
Mahamadou Issoufou dont il pensait être débarrassé s’évertuait à rassembler la classe politique en le marginalisant . Il le trouvait encore sur son chemin et constituait un nouvel obstacle. Les deux gladiateurs de l’arène politique nigérienne se sont alors livrés à un duel, à distance, en rivalisant d’ardeur et d’intrigues afin de contrôler chacun l’exécutif militaire à son avantage exclusif. Ni l’un ni l’autre, n’y parviendra, le Général Abdourahmane Tiani et ses comparses, disposant de leur propre agenda, opposés, objectivement, à la classe politique dans leur volonté manifeste de renverser la table pour demeurer aux commandes du pays, en confisquant, purement et simplement, le pouvoir d’Etat.
Les deux politiques retors et acharnés, mis à l’écart, voyant s’éloigner l’espoir de toute succession aux militaires de leur part , se sont recroquevillés sur eux-mêmes, emmurés dans un silence monacal, réduits à l’impuissance des faibles et des vaincus. Hama Amadou, entre-temps, avant même de rendre son dernier souffle, avait déjà perdu son âme de démocrate et de républicain, tout seul, avait creusé sa tombe politique. Il s’était aliéné aussi la France qui, en vain, l’avait dissuadé de se ranger derrière des officiers mutins et putschistes, en homme averti et patriote. Aussi, ne s’y était-il pas rendu alors qu’il devrait y poursuivre son traitement essentiel à le maintenir en vie. Il déménagera à Cotonou où réside sa seconde épouse Hadiza.
Faute de pouvoir faire son contrôle et de poursuivre ses soins palliatifs en Hexagone, il s’est rendu en Turquie ensuite en Inde à la recherche d’hôpitaux de substitution à la clinique américaine de Neuilly qui l’avait pris en charge depuis plusieurs années. Hama Amadou, avait regagné sa terre natale du Niger depuis deux mois . La mort est donc venue presque tirer de sa torpeur et de son agonie lente un homme très diminué physiquement, offusqué et frustré de voir les militaires confisquer un pouvoir qu’il a tant convoité , qui lui a toujours filé aussi entre les mains.
I Shopenhauer , a raison lorsqu’il assène : ” Ainsi donc la vie oscille comme un pendule de droite à gauche, entre la souffrance et l’ennui..”.
Le personnage qui tire sa référence dans ses fonctions successives, comme Président de l’Assemblée Nationale, Premier ministre, deux fois, et tout le long de son parcours politique aussi, a oscillé à droite, à gauche, a souffert de la sournoiserie de la maladie et des aléas de nombreux revers, avant de succomber à l’ennui des démêlés judiciaires et des rendez-vous manqués avec l’histoire du Niger de son destin d’homme.
Hama Amadou fut un leader qui a vécu par le pouvoir et pour le pouvoir avec un instinct politique vorace . Il aura été de tous les temps et de tous les combats. Il a été ainsi au cœur de la vie publique nigérienne, lui qui pendant la conférence nationale avait courageusement défendu et sauvé son parti le MNSD mis au banc des accusés et dont personne ne voulait assumer le bilan. Hama Amadou a marqué de son empreinte l’histoire récente de son pays. il n’empêche qu’il a souvent nourri des polémiques et désarçonné par ses choix et ses alliances, un tantinet insaisissable et dans une certaine mesure, un velléitaire Il a privilégié ses intérêts politiques immédiats et circonstanciels à sa dimension d’homme d’Etat, de patriote intraitable et de politique incorruptible.
Une vie d’ombres que de lumière de conscience, en somme qui lui a permis de gravir les plus hautes marches de l’Etat, à l’exception notable, de la magistrature suprême qu’il a briguée plus d’une fois et qui restera un rêve brisé, un destin inabouti. D’où, un arrière-goût d’inachevé et le sentiment que Hama Amadou n’a pas pu aller aussi loin que son frère ennemi Mahamadou Issoufou qui a cru devoir poster un message de condoléances que les partisans et proches du défunt ont considéré comme des larmes de crocodile de l’imposture, et une tristesse de pure façade.
Mahamadou Issoufou et Mahamane Ousmane ont été tous les deux chefs d’Etats et restent encore très actifs. Hama Amadou, parti pour le voyage éternel, les deux rescapés sont les derniers des Mohicans d’une classe politique d’une autre époque.
C’est dommage que l’un des résistants politiques nigeriens parmi les plus en vue disparaisse à un moment où le Niger fait face aux démons militaires et l’Afrique, en particulier, de l’ouest, renoue avec les mauvaises mœurs politiques et ploie sous le poids de nouvelles tyrannies sentant le souffre militaire. Les politiques, se meurent et meurent d’avoir salué et encouragé , malencontreusement, les militaires dans leur entreprise destructrice de subversion en pensant que leur crime leur profiterait, au contraire, il leur devient fatal. Tous, apprennent à leurs dépends, malheureusement, au détriment des peuples et des Etats, aussi, une vérité universelle et intemporelle” On n’invite jamais le diable à sa table en pensant qu’il se retirera au moment du dessert, car c’est à ce moment qu’il s’agrippera à la nappe pour tout engloutir, y compris, toi, même “.
Une vie prolongée pour les juntes, c’est la mort assurée pour tous, au propre comme au figuré, car elles en sont à la fois l’émanation et l’incarnation vivantes.
Les putschs, un venin mortel.