Contre La sansure

Romuald Wadagni : «Nous préférons aux moratoires [sur la dette] la mobilisation de nouvelles ressources selon des termes favorables» (*)

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Budget de l’Etat, service de la dette publique bilatérale, financements consensuels, résilience… Romuald Wadagni, ministre de l’Économie et des Finances de la République du Bénin, revient dans cet entretien sur les répercussion de la crise pandémique sur l’économie béninoise, mais aussi sur les grandes lignes de la stratégie adoptée par le gouvernement pour préparer l’après-crise.

LA Tribune Afrique – Globalement, quelles ont été les répercussions des quatre mois précédents sur l’économie du Bénin ?

Romuald Wadagni – La crise du Covid-19 aura sans nul doute des répercussions sur notre économie, après une année particulièrement dynamique en 2019. En effet, la croissance du PIB a atteint +6,9% l’an dernier, au-delà des prévisions du FMI de décembre 2019 publiées après la fermeture de la frontière avec le Nigeria [+6,4%].

Nous nous attendons donc, du fait du Covid-19, à une performance économique dégradée en 2020.Cependant, le Bénin résiste relativement bien à la crise du Covid-19 et devrait maintenir une croissance économique soutenue en 2020, comme l’a récemment reconnu le Fonds Monétaire International. Dans ses prévisions de croissance de juin, le FMI projette une croissance du PIB réel du Bénin de +2,2% en 2020. Cela constitue le deuxième plus fort taux de croissance d’Afrique subsaharienne dont l’économie devrait se contracter de -3,2% sur la même année. Par ailleurs, la croissance du PIB du Bénin devrait rebondir à +6,0% en 2021 – le choc du Covid-19 sera donc contenu et de courte durée.

La résilience de l’économie résulte notamment de la stratégie de gestion de la crise sanitaire adoptée. La décision de recourir à une stratégie de confinement partiel, de quarantaine ciblée, et de tests systématiques a permis au Bénin de mieux résister au choc de la pandémie que d’autres pays, tout en préservant l’activité économique.

La stabilité économique du Bénin se reflète notamment dans le maintien récent de la notation du pays par les agences Standard&Poor’s [« B+ Stable »] et Bloomfield [« A- Stable »], alors que de nombreuses notations ont été dégradées depuis le début de la crise du Covid-19.

Quel a été l’impact direct de la décision de mobiliser des moyens exceptionnels au cours de cette période sur le budget de l’Etat ?

Le budget de l’Etat sera inévitablement affecté par le Covid-19. D’une part, les recettes diminueront mécaniquement en raison de la baisse de l’activité économique. D’autre part, les mesures ambitieuses prises pour limiter les répercussions sanitaires et économiques de la pandémie participeront à augmenter les dépenses. En outre, les mesures urgentes de soutien budgétaire annoncées atteignent aujourd’hui 1,7% du PIB en 2020.

Cependant, la diversification des sources de financement du Bénin mise en œuvre ces dernières années nous permet aujourd’hui de bénéficier de nombreuses options pour couvrir les besoins exceptionnels liés à cette crise. Cette stratégie a été saluée lors des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International en octobre 2019, avec l’attribution du prix Global Markets 2019.

Nous avons notamment développé une expertise forte dans la structuration de financements innovants. La signature d’une convention-cadre avec BPI France en février 2020 nous permet par exemple de lever des fonds rapidement, à des conditions très favorables.Nous avons par ailleurs reçu un appui de 50 millions d’euros de la Banque Mondiale fin juin, et sommes en relation régulière avec d’autres institutions multilatérales ou bilatérales en vue de financer les dépenses liées au Covid-19.

En Afrique, le recours à l’annulation ou à un moratoire sur le service de la dette publique bilatérale comporterait des inconvénients ? Quels seraient-ils selon vous ?

Je tiens tout d’abord à remercier les pays du G20 pour leur solidarité, qui s’est manifestée par l’introduction de cette initiative de suspension du service de la dette bilatérale, annoncée le 15 avril dernier en réponse aux demandes de plusieurs pays appelant à une annulation de leurs dettes, ou à minima un moratoire.

L’initiative de suspension du service de la dette proposée est bienvenue en particulier pour certains pays. Nous pensons cependant que cette solution devrait être complétée pour répondre encore plus efficacement à la crise que nous traversons, par la mobilisation urgente, la mise à disposition immédiate de nouvelles ressources et la relance des économies via des financements concessionnels nous semble prioritaire.

Notre approche est enfin conforme à notre volonté de préserver la perception de la qualité du crédit du Bénin, conserver notre accès aux marchés et faire perdurer les bonnes relations que nous avons développées avec les investisseurs internationaux au fil des dernières années.

Contrairement aux décideurs qui ont opté pour une demande d’allègement de la dette par exemple, vous restez un fervent défenseur de la mobilisation urgente de liquidité nouvelle en lieu et place justement des annulations ou moratoires de dette. Pourquoi ?

Comme évoqué précédemment, nous préférons aux moratoires la mobilisation de nouvelles ressources selon des termes favorables. Deux arguments peuvent être évoqués pour justifier cette position. Premièrement, seule la mobilisation de nouvelles ressources est à même de soutenir les dépenses urgentes et considérables que suppose la lutte contre les impacts sanitaires et économiques du Covid-19. Deuxièmement, cette approche est conforme à notre volonté de préserver la perception de la qualité du crédit du Bénin, conserver notre accès aux marchés et faire perdurer les bonnes relations que nous avons développées avec les investisseurs internationaux au fil des dernières années.

Toujours par rapport à la question de la dette, vous proposez le scénario des financements concessionnels, notamment pour relancer les économies à l’échelle du continent. Pouvez-vous nous étayer cette approche ?

Les financements concessionnels et semi-concessionnels constituent une source de financement à privilégier dans le contexte actuel de durcissement des conditions de marché pour les pays émergents. Ces structures, qui s’appuient partiellement ou intégralement sur les partenaires bilatéraux et multilatéraux, permettent d’atteindre des conditions de financement très favorables.   

Cependant, la capacité de financement des institutions multilatérales et bilatérales demeure limitée. C’est pourquoi des solutions innovantes peuvent être structurées, afin d’associer la capacité du marché bancaire ou obligataire aux termes des financements concessionnels, notamment par la mise à disposition de garanties. Le Bénin a une grande expérience en la matière, et n’a cessé de renforcer son expertise depuis la mobilisation de 260 millions d’euros en 2018 avec une garantie partielle de la Banque Mondiale,à un taux très attractif.

Quelles sont les principales décisions qui ont été introduites sur le prochain budget pour faire face à la situation inédite qui pourrait se maintenir dans les prochains mois ?

Nous devons, en effet, anticiper les répercussions de la pandémie sur le budget 2021. Ces éléments ont été discutés lors de la soumission à l’Assemblée nationale des orientations budgétaires du gouvernement pour 2021, le 29 juin dernier, qui intervient en amont de l’étude du budget.

La conjoncture actuelle ne doit pas entraver nos efforts pour le développement de notre pays. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite maintenir la priorité donnée aux dépenses de protection sociale, et de solidarité nationale, d’accès aux soins, à l’eau potable et à l’énergie.           

Par ailleurs, la sécurisation du recouvrement des impôts, l’élargissement de l’assiette fiscale et la promotion du civisme fiscal doivent permettre de mobiliser les ressources nécessaires à la conduite de la politique économique du gouvernement.

 

Propos recueillis par Mounir El Figuigui

Rédacteur en chef afrique.latribune.fr

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