LES AVOCATS PARISIENS DU FNDC SAISISSENT LE PROCUREUR GÉNÉRAL CHARLES WRIGHT.
Dans une correspondance adressée au Procureur général près la cour d’appel de Conakry, Alphonse Charles Wright, dont l’objet est « Dénonciation des crimes et exactions commis sous le régime d’Alpha Condé et transmission de la liste des personnalités directement ou indirectement impliquées », le Cabinet d’avocats Bourdon & Associés indique sa disponibilité « à tout mettre en œuvre pour accompagner les victimes dans la manifestation de la vérité et la recherche d’une justice et réparation des préjudices subis ». Lisez…
Monsieur le Procureur Général près la cour d’appel de Conakry,
Nous avons l’honneur de vous écrire en qualité de Conseils des membres du FRONT NATIONAL DE DEFENSE DE LA CONSTITUTION (ci-après le « FNDC »), mouvement citoyen créé le 3 avril 2019. Ce Front a notamment pour objectif de dénoncer toutes les formes de violation de la Constitution, des lois de la République et d’œuvrer à la réunion de conditions idoines pour l’organisation d’élections transparentes, libres et justes.
Le 22 mars 2020, s’est tenu en République de Guinée un double scrutin aux fins, d’une part, de renouveler le mandat de l’Assemblée nationale, venu à terme le 28 décembre 2019, d’autre part, d’adopter par voie référendaire une réforme constitutionnelle dans le seul but de permettre au Président Alpha CONDE de briguer un troisième mandat à l’élection présidentielle d’octobre 2020, ce que la Constitution lui interdisait, en application, au surplus, d’une règle commune adoptée par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest – la CEDEAO dont la Guinée est membre.
Élu dans des conditions controversées, pour la première fois le 7 novembre 2010, il sera réélu le 10 octobre 2015.
Dans un rapport rendu public le 13 novembre 2019, l’ONG Amnesty International a souligné qu’au cours de cette période, plus de 200 personnes avaient été tuées et des milliers d’autres blessées lors de manifestations politiques ou sociales en Guinée.
La violence excessive des forces de l’ordre, forces armées, de gendarmerie et de polices confondues, exercée dans la plus totale impunité et la répression y afférente, se sont amplifiées depuis le mois d’octobre 2019.
Malgré les avertissements unanimes de la communauté internationale dénonçant le fait que les conditions d’organisation de ce double scrutin constitueraient une violation grave des règles démocratiques d’un Etat de droit, les autorités guinéennes, contre toute raison, en maintinrent le principe et la tenue.
En effet, le droit de suffrage a pour corollaire, dans la conception de la démocratie pluraliste, la tenue d’un scrutin garant de la libre expression de l’opinion du peuple, ce qui implique que le fichier électoral, qui en est l’assise matérielle, reflète fidèlement le corps des citoyens en droit de voter et d’être consultés dans le cadre d’élections et/ou d’un suffrage.
L’Organisation Internationale de la Francophonie (ci-après le « OIF ») a contrôlé la compatibilité du fichier électoral, géré par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), avec l’intégrité et l’effectivité de la procédure électorale concernant le double scrutin.
Le 22 mars 2020, contre toute raison – situation politique intérieure tendue à l’extrême, propagation du coronavirus, condamnations internationales – les autorités guinéennes organisaient le double scrutin. Il se déroulera en milieu clos hors la présence d’observateurs neutres aptes à contrôler l’épuration effective du Fichier électoral.
Cette exigence d’un contrôle neutre et objectif de l’état réel du fichier électoral était d’autant plus nécessaire que l’OIF avait affirmé dans son rapport que « la CENI ne dispose pas d’une structure technique professionnelle indépendante des aléas politiques ».
Le bilan des violences électorales et post électorales du double scrutin contesté est très lourd :
• Au moins douze morts à Conakry,
• Des blessés en grand nombre,
• Une cinquantaine de morts avec présence de charniers à N’zérékoré.
Ce bilan a pour cause l’usage d’une force excessive, indue et illégale par les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police qui n’hésiteront pas à tirer à balles réelles sur les opposants au double scrutin.
A l’origine de ce climat de guerre civile et de violences, on trouve les déclarations du chef de l’Etat et des représentants de la mouvance présidentielle qui ont multiplié depuis le mois d’octobre les appels à la violence, aux divisions et aux confrontations ethniques comme à N’zérékoré.
Dans un tel contexte, les résultats de ce double scrutin étaient dénués de toute crédibilité.
L’absence de sincérité de cette consultation a été dénoncée par la France et l’Allemagne dans une déclaration commune, l’Union européenne et les Etats Unis dont l’Ambassade en Guinée a souligné : « à la lumière de nos observations et au regard des rapports du gouvernement faisant état de la fermeture et de la destruction de bureaux de vote, le taux de participation – 61,18 % – et les résultats proclamés – 91,59 % de oui au projet de réforme constitutionnelle – suscitent des interrogations portant sur la crédibilité du scrutin ».
Il en résulte que depuis le mois d’octobre 2019, les homicides commis à grande échelle dans le cadre d’une répression meurtrière, les disparitions forcées, les attaques systématiques et généralisées, sur la base de critères ethniques, contre la population civile apparaissent pouvoir être qualifiés de crimes contre l’humanité tels qu’incriminés par le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (ci-après le « CPI »).
Les actes de violence et d’intimidation commis contre les journalistes, les professionnels des médias et les représentants de la société civile, ainsi que les détentions arbitraires constituent également des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme et il sera rappelé ici que la République de Guinée figure à la 101ème place sur 180 pays au classement de la liberté de la presse de 2019.
En avril 2020, nous avons saisi la Cour pénale internationale concernant des persécutions visant tout particulièrement le FNDC et ses partisans, fondées sur des considérations politiques et ethniques, susceptibles, selon nous, de justifier la qualification de crimes contre l’humanité.
En juillet 2020 et en septembre 2021, nous avons écrit à nouveau à la CPI pour faire état des appréhensions du FNDC quant à la survenance de nouvelles violences, compte tenu notamment de l’absence d’enquête indépendante portant sur les conditions de la répression des manifestations.
L’élection présidentielle avait, vous le savez, été fixée au 18 octobre 2020. Selon les résultats rendus publics par la Commission électorale nationale indépendante, le Chef de l’État déchu aurait remporté le scrutin du 18 octobre dès le premier tour dans les conditions décrites précédemment.
A ces éléments, s’ajoute le constat de graves violences qui se sont encore intensifiées à la suite du scrutin. Dans une communication en date du 25 octobre 2020, Amnesty a révélé l’existence de récits de témoins, des vidéos et images satellites analysés confirmant les tirs à balles réelles par les forces de défense et de sécurité sur des manifestants.
Il y a lieu de rappeler que, notamment dans une communication datant d’avril 2020, l’organisation Human Rights Watch affirmait : « les forces de sécurité ont réprimé dans la violence des partisans de l’opposition avant et pendant la tenue, le 22 mars 2020, du référendum constitutionnel et des élections législatives ».
Il se déduit de ce qui précède qu’un certain nombre de membres de la société civile ont dénoncé les graves violences survenues en Guinée. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que de nombreuses organisations et instances internationales avaient condamné de précédentes violences et les atteintes portées aux libertés publiques. Le 25 mars 2020, les Etats-Unis avaient déjà condamné les violences liées au référendum constitutionnel en Guinée.
En février 2020, le Parlement européen avait déploré les violences actuelles dans le pays et condamné fermement les atteintes à la liberté de réunion et d’expression, ainsi que les actes récents de violence commis par les forces de sécurité contre des manifestants politiques, les meurtres et les autres violations des droits de l’homme.
Les nouvelles violences électorales ont redoublé devant la volonté du pouvoir en place de se maintenir en dépit de la contestation populaire et des accusations de graves irrégularités dans le processus électoral au bénéfice de Monsieur Alpha CONDE.
Si nous vous écrivons, c’est pour dénoncer, au nom du FNDC, les crimes et exactions qui ont été commis par le pouvoir d’Alpha Condé et vous transmettre la liste des personnalités de son régime, selon toute vraisemblance, impliquées directement ou indirectement dans cette période sombre de notre histoire collective
Les conseils du FNDC ont suivi avec une attention soutenue votre communication sur l’ouverture des enquêtes sur les crimes présumés commis sous le régime de l’ex président Alpha Condé.
Nous saluons cette décision qui s’inscrit dans la lutte contre l’impunité en Guinée et la promotion de l’Etat de droit.
Nous avons également pris connaissance de ce que, conformément à vos instructions, le parquet de Dixinn a ouvert une information judiciaire sur les crimes commis pendant la période allant de 2010 à 2021.
Avec plus de 99 personnes tuées, des centaines de personnes blessées, torturées et emprisonnées pour imposer un troisième mandat illégitime et illégal, Nous, conseils du FNDC, fondons un espoir dans cette démarche du Procureur pour que le droit à la vérité, à la justice, à réparation et à des garanties de non répétition des nombreuses victimes des crimes d’Etat soit garanti.
Attachés au respect des droits de l’Homme et aux valeurs démocratiques, nous restons disposés à tout mettre en œuvre pour accompagner les victimes dans la manifestation de la vérité et la recherche d’une justice et réparation des préjudices subis.
Il n’est pas possible d’accepter la perpétuation de tels faits sauf à considérer que certaines autorités publiques peuvent impunément s’exonérer des obligations impératives tirées des règles et des principes de l’ordre public international.
À lire dans le prochain article : Les 92 personnalités du régime d’Alpha CONDÉ visées par la plainte des avocats du FNDC