Présidentielles au Liberia et à Madagascar: les élections ne sont pas des catastrophes naturelles inévitables
Deux élections ont eu lieu sur le continent africain cette semaine : le second tour de l’élection présidentielle au Liberia le 14 novembre et deux jours plus tard, le premier tour du scrutin présidentiel à Madagascar. Des contextes différents, des risques aussi différents de crises postélectorales et des leçons à tirer à nouveau sur les processus électoraux et sur les pratiques politiques qui font tant de mal dans beaucoup de pays du continent.
Des scrutins dans deux pays africains fort éloignés culturellement et géographiquement, le Liberia, 5,4 millions d’habitants sur la côte ouest-africaine, Madagascar, la grande île située au large de la côte sud-est de l’Afrique, qui compte environ 30 millions d’habitants. Mais des enjeux assez similaires à l’approche de chaque élection, celui des conditions pacifiques ou non du déroulement du processus électoral du début à la fin et celui de la crédibilité des résultats.
J’avais rendu compte à cette antenne du premier tour de l’élection au Liberia et des résultats extrêmement serrés entre le président sortant George Weah et son principal rival Joseph Boakai, devancé de seulement 7 000 voix. Le second tour allait être très incertain et il l’est. Les résultats sont encore incomplets et provisoires. Ils sont tellement serrés qu’il serait imprudent de dire à ce moment précis qui a gagné.
Mais après un dépouillement de 99,5% des bureaux de vote vendredi, Boakai devance le président sortant avec 50,8% des suffrages exprimés. On devrait être fixé dans les prochaines heures sur le résultat provisoire mais complet en attendant d’éventuels recours. L’acceptation du résultat final par les deux candidats sera le dernier test de la qualité du processus électoral et du progrès dans l’ancrage de la culture démocratique des leaders politiques libériens.
Mais on peut déjà saluer le déroulement des deux tours sans incidents graves, la conduite satisfaisante du processus par la Commission électorale nationale, dont un indicateur essentiel est le fait d’avoir commencé à publier très rapidement les résultats sur un portail internet ouvert à tous. Cela rassure et cela rappelle à tous qu’une suite d’additions ne devient un exercice arithmétique insurmontable, secret et mystérieux que lorsqu’on veut frauder. Et faut-il le rappeler : la fraude, le travestissement du choix des électeurs n’est pas une prescription de la démocratie. Le vol n’est pas une obligation.
À Madagascar, l’élection a eu lieu dans des conditions politiques qui garantissent une crise postélectorale et des lendemains incertains…
Madagascar est éloignée de la zone géographique de focalisation de Wathi et mes connaissances sur les arcanes de la politique dans la grande île sont très limitées. Mais il y a peu de doutes sur le fait que le pouvoir en place incarné par le président sortant et candidat Andry Rajoelina n’a fait aucun effort pour créer les conditions d’un scrutin apaisé et crédible malgré les nombreuses alertes, les demandes de report pour permettre un dialogue politique qui aurait pu donner un peu plus de crédibilité au processus dans un pays coutumier des crises électorales.
C’est sans surprise que dix candidats dont deux anciens présidents ont décidé d’appeler au boycott du scrutin et c’est sans surprise que le taux de participation annoncé par la commission électorale est de 39%, un taux qui pourrait même être surévalué. Que la faible participation résulte de l’appel des opposants au pouvoir ou du désintérêt des électeurs pour une élection perçue comme jouée d’avance n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui est certain, c’est que la probable victoire du président Rajoelina sera fortement contestée.
Dans un article que vous avez publié en 2014, avec le titre explicite « La démocratie de l’angoisse », vous écriviez que « la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, mais la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles »…
Oui, et c’est triste que dans beaucoup de pays du continent, chaque année électorale continue à être une année de montée en flèche des angoisses. L’exemple de Madagascar montre clairement comment des choix délibérés sapent la confiance des populations dans leurs institutions et créent les conditions de crises sociopolitiques. L’exemple du Liberia montre – au moins jusque-là – j’espère ne pas être démenti dans quelques heures – qu’il est possible pour une commission électorale dans un pays démuni et fragile de donner des gages d’indépendance et d’intégrité. Je disais dans ce vieil article il y a neuf ans que les élections calamiteuses n’étaient pas des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables.
In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/ça-fait-debat-avec-wathi/20231118-presidentielles-au-liberia-et-à-madagascar-les-elections-ne-sont-pas-des-catastrophes-naturelles-inevitables
Image de la UNE : Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga