Contre La sansure

Comment La Guinée A-T-Elle Été Peuplée ? (3 ème Partie)

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Face aux pyromanes de Guinée qui veulent manger, se vêtir et se loger en mentant et en falsifiant pour faire plaisir aux égos de leur mentor, j’ai pensé qu’il est temps que quelqu’un assume, en puisant et rendant publique, une petite partie des travaux des historiens de Guinée (je ne nomme personne pour ne pas insulter ceux qui ne le seront pas) et les centaines de diplômés qui ont réalisé des mémoires sur les mouvements migratoires et la mise en place des populations guinéennes, malheureusement, rarement consultés de nos jours. Suite des 2 premières parties ( et ) 

 

II. LES AUTRES COTIERS

Il semble qu’avant d’arriver sur le long du littoral, les Baga, les Landouma et les Nalou ont aussi transité par la région du Foutah Djalon. Arrivés en ces lieux depuis le haut Moyen Age et devenus sédentaires, ils s’occupaient essentiellement de l’agriculture et d’élevage. Ils seraient refoulés vers les côtes atlantiques par les Dialonké qui occupaient alors les plateaux du Nord et du Centre du Foutah d’où certains parmi eux seraient, plus tard au XVIIIe siècle, refoulés à leur tour par les Peul musulmans18.

3. LES BAGA
Reprenant F. K. Voeltz, MOUSER (1999)19 écrit que le mot « Baga » dérive du susuxuy bae, « la mer », et raka, « de là », d’où baeraka, « ceux de la mer », terme utilisé pour désigner ceux qui vivent le long de la côte. Une conclusion allant dans le sens de ce que WILSON (1961 : 1) indiquait il y a quarante ans, lorsqu’il remarquait que « Baga » est plutôt prononcé Baka par les intéressés et les Temne.

Dans le cours développé par Zaïnoul A. SANOUSSI et ses autres collègues du Département d’Histoire- Sociologie, d’Histoire-Philosophie et autres binaires de l’époque de l’Institut Polytechnique « Gamal Abdel Nasser » de Guinée, intitulée « la mise en place des populations guinéennes »20, il est affirmé que les Baga seraient l’une des toutes premières migrations du Tekrur vers la côte. En tous cas, les explorateurs portugais notent la présence des Baga dès le XVIème siècle le long des côtes atlantiques de la Guinée. Ils auraient emprunté plusieurs chemins et à des périodes étalées sur plusieurs siècles. Ce qui aurait conduit à l’existence de plusieurs groupes sociolinguistiques Baga.

MOUSER (1999) nous apprend qu’en 1885, le révérend P.H. DOUGHLIN divise les Baga en Baga Koba, Baga Kakisa, Baga Nus ou Baga Noirs, Mikhii-Fori et Baga Kalum. Quant à Denise PAULME (1956)21, elle distingue de son côté les embranchements suivants de Baga :

1. Mandori autour de l’embouchure du Rio Componi (ils cohabitent avec les Nalous). Ils viendraient de la zone comprise entre Télimélé et Kindia ;

2. Sitémus à l’embouchure du Rio Nunez demeurant surtout dans la région du Nunez (village de Katoko, Katongoro, Kawtel) (ils auraient migré de la région de Labé vers la zone de Kamsar) ;

3. Koba au Sud du Pongo ;

4. Kakissa (ou Sobané) sur les côtes entre le Cap Verga et le Rio Pongo ;

5. Pukur ou Binani Baga (ils seraient l’un des plus anciens groupes et auraient migré de l’actuelle Préfecture de Gaoual sous aucune pression particulière). Dans le Binani (Préfecture de Gaoual, il est encore possible de retrouver certains lieux de passage des Baga avec des zones de fétiches qui restent encore des endroits gardés intacts par les populations Peul de la zone) et enfin après le Konkouré ;

6. Les Baga de Kalum auxquels s’ajoutent les Baga Foré et le groupe Buluñits entre le Nunez et le Cap Verda (ils auraient migré de Timbo et seraient l’un des derniers groupes à migrer vers la côte).

Nous avons donc, sous une même appellation Baga, un groupe diversifié et sans doute assez mixte.

4. LES LANDOUMA OU LES LAND-MEN ?

Les données de la tradition suggèrent que le nom de « landuma » leur aurait été attribué par les premiers explorateurs anglais. Les Landouma seraient donc l’expression anglaise de « land man » (homme du territoire, paysan).

Pour Marie Paul FERRY et Lansana SANDE (2000)22, « Landouman » a une étymologie possible, ce serait le nom qui fut donné dès le XVIIème par les Anglais, aux hommes qu’ils voyaient le long de la côte depuis leurs bateaux : land-man en anglais signifie simplement paysan. Reprenant Marie Yvon Curtis (1996), FERRY (2000) aurait fait remarquer que le mot apparaît pour la première fois chez le compilateur espagnol Sandoval (1623) sous la forme Landama, et qu’on le retrouve ensuite en 1664 chez André de Faro. Si l’interprétation de Ferry est exacte, ces derniers auteurs auraient en ce cas employé le terme donné par les navigateurs anglais et c’est celui qui aurait perduré dans le temps.

Les Landouma auraient deux noms : landouma et tyapi. Le nom de « tyapi » serait celui par lequel les autres populations voisines, notamment les Peul les nommeraient. Il semble se dégager deux noms pour le même peuple : les Landouma restés dans la région de Koundara sont appelés par le nom de tyapi alors que ceux qui vivent dans le Kakandé (Préfecture de Boké) gardent le nom de Landouma. Paul PELISSIER (1966 : 524)23 dira que :

« Une partie de ces Cocoli-Landouma ont dû quitter leur pays d’origine situé au nord de Kadé, chassés par les Foulas, et ils sont venus chercher une nouvelle patrie dans les forêts désertes qui couvrent le pays situé entre le Rio Compony et le Rio Nunez ».

Alors que ceux-ci devenaient des Landouman, ceux établis au pied de la falaise de Kumbia, étaient nommés « Tyapis » par les coloniaux français sous l’influence de leurs interprètes Peul. La question qui reste sans réponse est de savoir quel est le nom de ce groupe humain avant le XVIIème ?

C’est la trajectoire migratoire des Landouma qui est suffisamment documentée. Il semblerait que les Landouma seraient venus du Tekrur, comme les Bagas, et seraient arrivés au Foutah Djalon à la même période que les Puulis sous la direction de Koly Tenguela avec lesquels ils s’affrontèrent dans la zone comprise entre les Préfectures de Télimélé et de Pita selon Aliou WANN et Bubakar BA (1974)24.

Du Foutah Djalon, les Landouma auraient migré, selon ces deux auteurs, à partir de Kököli (l’Ouest de Gaoual) vers la côte sous la conduite de Manga DIBI. C’est ce patriarche qui aurait donné à la nouvelle région d’arrivée des Landouma, le nom de Kakandé qui signifierait « quand on a vu une fois ce pays on ne le quitte plus ».

5. LES NALOU
Pour Zainoul A. SANOUSSI (1969), même si l’on ne connaît pas la date d’arrivée des Nalou le long des côtes guinéennes, il y aurait au moins une certitude : les portugais auraient signalé leur présence depuis le XVème siècle.

Les Nalou auraient séjourné au Foutah Djalon aux environs du XIIIème siècle comme les Landouma et les Baga et auraient été refoulés vers la côte par les Dialonké aux environs du XIVème siècle. Du Foutah Djalon, il y aurait eu deux vagues de migration des Nalou.

La première vague se serait dirigée vers le Badiar (à la lisière des frontières de la Guinée, du Sénégal et de la Guinée-Bissau) à la suite des affrontements avec les Dialonké. De nos jours, aucune étude ne permet de savoir ce que cette vague serait devenue. On peut penser que ce groupe aurait été assimilé, mais il est impossible à ce niveau de connaissance de dire lequel des groupes vivants dans cette zone l’aurait fait. La seconde vague aurait quitté le Foutah Djalon, bien plus tard aux environs du XVIIIème siècle. Ce serait ce groupe qui serait arrivé dans le Kakandé (Préfecture de Boké).

Chez les Nalou comme chez les Baga, on noterait plusieurs sous-groupements. Ainsi, on parlerait, selon Rouguyatou DIALLO (1974)25 de :

• Nalou Basintyé (les Nalou de la terre ferme) ;

• Nalou Babiniké (les Nalou des rizières) ;

• Nalou Kubu ;

• Nalou Köööl, etc.

Cette différenciation à l’intérieur du même groupe, comme on a pu le constater ailleurs, est le résultat de la migration à des périodes différentes et à des effets environnementaux et sociaux sur chaque vague de migration.

III. LES POPULATIONS DU NORD DE LA GUINEE : LES TANDA ?

Toutes les populations du Nord de la Guinée sont-t-elles des « Tanda » ? Pour Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972)26 la réponse est affirmative. Pour ces deux auteurs, le terme « Tanda » est donc générique et sert à désigner un groupe de population qui regrouperait les Könyagui, les Basari et les Badiaranké.

Le mot serait aussi un mot peul et serait donc, selon TECHER, cité par Naye DYENG et Mundekeno SAA, la désignation en pular des populations présentant certains caractères communs : des personnes qui se promènent le torse nu 27.

Pour ces auteurs, il y aurait plusieurs catégories de Tanda. Le premier groupe serait les Bassari qu’ils nomment aussi « Tanda Donka » ou porteurs de fourreaux (l’étui en bambou est appelé dönka). Le second groupe serait les « Tandas Mayo » (Tanda du fleuve en pular). Ils parleraient la même langue que les Bassari. Un troisième groupe serait constitué des « Tandas Boeni » (ou Tanda du rocher). Le quatrième groupe serait les « Tandas Badi » (Tanda de la moitié) qui habiteraient dans le N’Gamu dans le Sud-Est des provinces orientales de Tambakunda (République du Sénégal). Le cinquième groupe serait les « Tandas Ban’dé » et habiteraient le Sud-Est du cercle de Kedougou (République du Sénégal).

La plupart des auteurs consultés par Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), comme RANCON (1894), TECHER (1933), André ARCIN (1911) partagent l’idée que les Bassari et le Cönyagui seraient venus dans leurs sites actuels en deux vagues : avant l’arrivée de Koli Tenguella et juste après son passage dans la région. Ils auraient été des acteurs importants dans l’armée de ce dernier lors de sa conquête du Tekrur.

 

Des Bassaris (in GuineeElites.org)

 

Les membres de la première vague auraient d’abord séjourné dans le Damantan (République du Sénégal) avant de se fixer dans le Nord de la Guinée entre les territoires d’habitation des Tanda et des Bassari (entre les Préfectures de Koundara et de Mali). La seconde vague aurait été sur le sillage de la migration de Koli Tenguella. Pour DELACOUR (1947), cité par Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), « l’arrivée des Tanda dans la région qu’ils occupent actuellement date de 1522, date à laquelle ils vinrent à la suite de Koli Tenguella parti du pays Mandé ».

Les Bassari seraient venus de l’empire du Ghana vers le XVIIème siècle et se seraient installés dans plusieurs parties du Foutah Djalon avant de se fixer dans leur habitat actuel (en partie en Guinée et en partie au Sénégal) c’est-à-dire à la lisière de la frontière Guinéo-sénégalaise. Selon GIRARD (1993 : 43), ces derniers se dénomment eux-mêmes les « Be-liyan » signifiant « les fils de la pierre » (de la latérite) alors que se fondant sur des notes de TAUXIER, FERRY (2000) donne pour sa part l’étymologie basar, c’est-à-dire lézard. Pendant longtemps, ils ne pratiqueraient que la chasse. Reprenant la narration de Monique de LESTRANGE (1955), Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972) affirment que :

« Les Bassaris et les Coniaguis et d’autres familles établis dans le haut N’Gabou ont eu leur berceau sur les bords du Niger qu’ils ont abandonné avec la grande migration de Koli-Tenguella vers le XIVème siècle. Cette émigration s’est répandue dans toute la vallée du Haut Sénégal, et un groupe principal est descendu dans le Foutah Djalon ».

Les Köniagui, eux, se désignent par le terme de « AWOEN » et parlent la langue « Wamëy ». Ils seraient venus de l’empire du Ghana, bien avant la plupart des populations actuelles de la Guinée. Djibril Tamsir NIANE, dans son ouvrage intitulé « Koli Tengella et le Tékrour », relatant l’épopée victorieuse de ce héros peul mentionne la présence des Könyagui dans la région de Koundara dès le XVIème siècle.

Les Badiaranké, eux, seraient apparentés aux Bassari et Koniagui et sont installés sous et sur la montagne du même nom qu’eux : le mont badiar. Pour Lestrange de LESTRANGE (1955 : 1)28, la désignation Badiaranké « semble avoir été donnée par les Peuls » et signifierait : « captifs des Peuls ». Cette version est manifestement erronée, car dans le mot « Badiaranké » il n’existe pas dans le préfixe, ni dans la racine ni dans le suffixe une composante du mot captif en pular (Matyoudho, esclave ou Djéyadho qui appartient à quelqu’un).

Pour d’autres historiens, les Badiaranké ne seraient qu’une dénomination locale des « mandinko » de l’empire du Gabou qui eux-mêmes ne sont que le résultat de la migration mandingue avec le métissage des populations diolas de la région de Casamance. Ne serait-il pas possible de considérer le nom « Badiaranké » comme l’expression de ceux qui sont au Badiar (la montagne sur laquelle et autour de laquelle ce peuple vit).

Dans leur Mémoire de Fin d’Etudes Supérieures, Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972), signalent un autre point de vue non moins important tiré d’un auteur portugais du nom de L. CORRELA qui défend que les Badiaranké « seraient issus du métissage entre les ‘les Tilibanos (mandingue)’ arrivés dans la région vers 1800 sous la direction de Tramane SANE et des Coniaguis autochtones ». Cependant, le fait que les Badiaranké soient les seuls groupes ethniques de Guinée qui, tout en portant le nom de famille du père, se réclame du lignage de la mère devrait inciter à plus de prudence sur le lien entre Badiaranké et Mandinko.

Ce que cette historiographie laisse dans l’ombre est le processus par lequel la différenciation s’est faite entre des populations qui seraient identiques et qui vivent sur des territoires contigus. Comment des populations, appartenant au même groupe (disons Tanda pour faire simple), sont devenues Könyaguis, Bassaris et Badiaranké ? Une thèse en histoire sur le sujet ne serait pas vaine.

 

Par Pr. A. A. Bano Sow BARRY

Ancien Ministre de l’Éducation

Lire la première partie : https://guinafnews.org/comment-la-guinee-a-t-elle-ete-peuplee-1ere-partie/

Lire la deuxième partie :

 

 

17 Il est même possible que ceux qui appartiennent à des castes ne l’étaient pas avant la constitution et la consolidation de l’empire du Mali. Les travaux de Maurice DELAFOSSE montrent que, par exemple, l’existence d’une dynastie DIAWARA dont les descendants non pas eu le même statut à l’intérieur de l’empire du Mali.

18 Seuls ceux qui n’auront pas accepté d’embrasser l’Islam prôné par les Peul musulmans après leur victoire sur les non- musulmans en majorité Djallonke et Pullis à la bataille de Talansan en 1725, vont quitter le pays.

19 Bruce MOUSSER (1999) ; « Qui étaient les Baga ? », Perception européenne, 1793-1821, Paris, France.

20 Ce cours a eu plusieurs titulaires avec plusieurs intitulés. Le dernier intitulé du cours est : « histoire de Guinée : de la mise en place des populations à l’indépendance » et n’est hélas dispensé qu’au sein du département d’Histoire.

21 Denise PAULME (1956) ; « Structures sociales en pays baga Guinée Française » Bulletin de Institut français, Afrique noire série XVIII 1-2 1956, P 98-116.

22 Marie Paul FERRY et Lansana SANDE (2000) ; « Le passé des langues : Tyapi autrefois, Kokoli aujourd’hui », sous la direction de G. GAILLARD in « Migrations anciennes et peuplement actuel des côtes guinéennes », l’Harmattan, 5-7 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005, Paris, France.

23 Paul PELISSIER (1996) ; « Campagnes africaines en devenir », Cahiers d’études africaines, Année 1996, Volume 36, Numéro 143, p. 540–543.

24 Aliou WANN et Bubakar BA (1974) ; « Les relations entre le futa Djalon théocratique et les principaux royaumes de la Basse-côte : des origines à l’implantation coloniale », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

25 Rouguyatou DIALLO (1974) ; « Monographie historique du Bagatay de la région administrative de Boké des origines à 1958 », DES, IPGAN, Conakry, Guinée.

26 Naye DYENG et Mundekeno SAA (1972) ; « La résistance Könyagui à la pénétration française de 1902-1904 », DES, IPK, Kankan, Guinée.

27 Cette interprétation pose plus de questions que de réponses. Chez les Peul de Guinée, le mot « Tanda » est un adjectif qui sert habituellement à désigner une personne qui est souvent torse nue. Cependant, dans le pular « être nu » ne se dit pas « Tanda », mais « bhorti ». Il se pourrait que le mot « Tanda », pour désigner ce peuple, ne provienne pas des Peul. Mais les Peul utilisent le nom de ce groupe comme un adjectif pour désigner des attitudes au sein de son propre groupe : « lorsqu’un Peul est torse nu, on dit de lui qu’il est un Tanda ».

28 Lestrange MONIQUE (de) (1956) ; « Les Cogniagui et les Bassari », In: Population, 11e année, n°2, 1956 p. 374.

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