JOYEUX ANNIVERSAIRE, ARMÉE GUINÉENNE — LA FÊTE DES MANGEURS ET DES MANGÉS
Lettre ouverte à la Grande Muette devenue Grande Complice
Soixante-sept bougies. Soixante-sept ans de fanfares pour couvrir des coups de feu. Joyeux anniversaire ! On te chante des « bravo » pendant que tu enterres des vies. Tu célèbres ta longévité comme on célèbre une épidémie : par le spectacle, le maquillage et l’hypocrisie.
Tu sais faire le show : marche, pose, salut, sourire pour la caméra. Mais dans l’ombre des défilés, tu as appris une autre discipline — la plus expérimentée : l’autophagie. L’armée qui se bouffe elle-même est devenue ton véritable rituel. La hiérarchie n’est plus un code d’honneur, c’est une chaîne alimentaire : on mange celui qui t’a précédé, on devient la proie du suivant. Loyautés vendues, frères d’uniforme trahis pour un galon, pour un portefeuille, pour une impunité.
Regarde les trous dans ton récit officiel : des noms qu’on a avalés.
Ils ne sont pas des statistiques ; ce sont des visages, des familles, des vies.
Foniké Menguè, Billo Bah, Habib Marouane Camara, Mabory Diallo— enlevés, rendus invisibles, leurs trajectoires broyées dans le silence d’un État qui sait trop bien comment convertir la disparition en oubli officiel.
Et puis il y a ceux qu’on a retrouvés : blessés, bâillonnés, cassés — Maître Traoré, Abdoul Sacko — que l’on livre à la rue après les avoir Brisés. On les exhibe comme des avertissements : qui parle, finit par être neutralisé, si ce n’est effacé.
Noyer la vérité dans des communiqués, truffer les médias d’images de force, distribuer des décorations — voilà votre stratégie de diversion. Vous organisez la com’, vous orchestrez la peur, vous distribuez l’impunité comme on distribue des galons. Pendant ce temps, la Guinée se vide.
Et tant que nous sommes sur la table : certains uniformes portent encore des cadavres de réputation. Général Sadiba Koulibali, Colonel Célestin Bilivogui — morts suspectes, enquêtes fantômes, responsabilités occultées. Pas par hasard : l’opacité est un outil politique. Elle nettoie, elle purge, elle neutralise.
La mécanique est simple et cruelle :
— On élimine les gêneurs ;
— On affaiblit les témoins ;
— On crée un climat de terreur qui remplace la légitimité par l’obéissance.
Sous Mamadi, on a entendu le mot « refondation ». On a vu la répression. On nous vendait la transition ; on nous livre la pérennisation d’un système où l’État est la propriété privée d’un sérail d’uniformes. On appelle ça stabiliser la nation ; nous, on appelle ça piller la République sous prétexte d’ordre.
Vous avez troqué le serment républicain contre la servilité.
Vous avez transformé la caserne en chambre d’échos pour complots et règlements de comptes.
Vous avez érigé le secret en principe de gouvernance. Vous appelez cela sécurité ; nous l’appelons exécution lente de la démocratie.
Parlons clair : la disparition et la torture ne sont pas des « dommages collatéraux ». Ce sont des instruments. Instruments de domination, instruments de neutralisation, instruments de mise au silence. Et qui profite de ces instruments ? Ceux qui craignent la lumière — ceux qui savent que la vérité est leur ennemi.
Mais l’autophagie a une conséquence irréversible : elle ronge l’institution.
Une armée qui dévore ses fils et ses frères devient incapable de protéger quoi que ce soit — ni frontières, ni institutions, ni citoyens. Elle perd sa raison d’être, son crédit moral, sa dignité. Elle se transforme en gang qui porte un uniforme.
Tu peux décorer les vivants. Tu peux faire poser les corrompus devant tes binômes fleuris. Tu peux parader et allumer des feux d’artifice. Mais tu ne masqueras pas l’odeur de la corruption qui suinte de tes casernes. Tu ne fermeras pas à jamais les plaies des familles qui réclament la vérité.
La mémoire, ce tue-mouche que vous croyez avoir extirpé, travaille autrement. Les rues se souviennent. Les visages reviennent. Les mères n’oublient pas. Les dates restent. Les noms résistent : Foniké, Billo, Habib, Mabory, Maître Traoré, Abdoul Sacko, Sadiba, Célestin — ce ne sont pas des bulletins administratifs, ce sont des reproches que l’histoire retiendra.

Si vous avez un reste d’honneur — et je dis bien « si » — faites surgir la lumière. Ouvrez les dossiers. Rendez des comptes. Dites la vérité. Que les enquêtes aient lieu devant des juges indépendants, pas devant vos commérages de caserne. Rappelez-vous que la justice apaisée vaut mieux que la peur entretenue.
Sinon, sachez que l’Histoire ne s’écrit pas avec vos communiqués. Elle s’écrit par la mémoire des victimes et la colère des vivants. Une armée qui se nourrit de ses propres chairs finit par pourrir de l’intérieur. Et rien n’est plus dangereux qu’un cadavre qui continue de commander.
Joyeux anniversaire, Armée nationale. Que tes 67 ans ne soient pas une dernière parade avant l’oubli. Que ces bougies éclairent enfin les enquêtes et non tes maquillages de scène. Que les noms que vous avez voulu effacer retrouvent la clarté.
Que la République redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une communauté de citoyens protégés, et non une propriété d’uniformes voraces.
La Guinée n’a pas besoin d’une armée qui se nourrit d’elle-même.
Elle a besoin de républicains.
Alpha Issagha Diallo

Fils indigné de la République
Auteur des colères lucides
