Contre La sansure

Aïcha Henriette Ndiaye, ancienne footballeuse :  » J’ai affronté ma famille pour exercer ma passion  » (*)

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Dans l’univers ultra masculin du football sénégalais, Aïcha Henriette Ndiaye ne passe pas inaperçue. Première capitaine de l’équipe nationale féminine de football du Sénégal (2002-2005), elle est aussi la première dame à entrainer des hommes dans le championnat masculin en national 1.

Un parcours de première de la classe que la native de Ziguinchor (sud du Sénégal) aime raconter non sans fierté.

« Le souhait de tout le monde est d’être premier dans son domaine. Dieu a fait que je sois sortie la première et je souhaite que ce soit suivi par les plus jeunes« , dit-elle.

Cette réussite, Aïcha Henriette Ndiaye, la quarantaine, ne la doit qu’à son mental et sa ferme volonté de s’imposer dans un monde dominé par les stéréotypes et les préjugés.

Aïcha Henriette Ndiaye en a d’ailleurs souffert depuis qu’elle a décidé de pratiquer ce sport, considéré par beaucoup comme un sport d’hommes.

« On m’appelait garçon manqué à la maison et dans le quartier. C’était trop dur surtout avec ma mère, qui ne supportait pas le fait que je m’habille comme un garçon, c’était vraiment insupportable pour elle« , raconte-t-elle à la BBC.

Celle qui dirige l’équipe U20 féminine du Sénégal a franchi un à un tous obstacles pour devenir une technicienne réputée, ce qui n’était pas gagné d’avance.

Aïcha Henriette dirigeant une séance d’entraînement.

« Mon père est la seule personne qui me poussait à opter pour le football. Il ne cessait de m’encourager, c’était très difficile de convaincre les autres hommes de ma famille, surtout mes frères « , se souvient-elle.

« Personne ne m’a motivée à vrai dire, si j’en suis arrivée là où j’en suis, c’est uniquement grâce à ma volonté de réussir dans le football, j’ai beaucoup entendu, les critiques négatives m’ont renforcée mentalement. »

Un mental solide et un caractère de battante qu’elle tient de son idole et modèle, la résistante sénégalaise (ndlr : contre la colonisation française) Aline Sitoé Diatta, originaire de la région naturelle de Casamance comme elle.

« Aline Sitoé, c’est ma référence, ma source d’inspiration. C’est un modèle d’abnégation, elle a mené une brave résistance en tant que femme durant la période coloniale. C’est pour cela que je m’identifie à elle« , explique-t-elle.

CAIRE 86, le déclic

Sportive dans l’âme, Aïcha Henriette Ndiaye s’est d’abord essayée au volleyball puis à l’athlétisme avant d’opter plus tard pour le football.  » Avant de devenir footballeuse, j’étais volleyeuse, j’ai été sacrée deux fois championne du Sénégal avec le Ziguinchor volleyball club. J’aimais beaucoup le basket aussi car une de mes tantes était une ancienne basketteuse internationale du Sénégal « , raconte la jeune technicienne.

« Ma passion pour le football est née alors que j’étais encore une gamine. Je me rappelle de la CAN 86 en Egypte, j’étais fan de Jules François Bocandé, j’aimais beaucoup aussi le footballeur français Jean Tigana. C’est en les regardant jouer que j’ai vraiment eu envie de jouer au football « , se rappelle-t-elle.

Aicha Henriette Ndiaye et son idole Jules François Bocandé.

Son choix de troquer les filets du volleyball pour le ballon rond n’était pas sans conséquence. Elle admet avoir subi les moqueries de toutes sortes : « Au début, c’était difficile, le football était une affaire de garçons. J’ai entendu pas mal de critiques, ma mère ne supportait pas du tout de me voir en tenue de football. A la maison c’était dur, parfois je passais la nuit dehors de peur d’être battue « , témoigne-t-elle.

« J’avais un seul jeu de maillot que je portais chaque jour pour aller aux entrainements, et je le lavais chaque soir dans les toilettes pour pouvoir le reporter le lendemain« .

Malgré ces difficultés et cet environnement peu propice à la pratique du football, Aïcha Henriette Ndiaye a tenu bon, encouragée par son papa et quelques anciens du quartier qui l’ont persuadée d’aller tenter sa chance à Dakar, puisqu’il n’y avait pas d’équipe féminine à l’époque à Ziguinchor.

« Quand je suis venue à Dakar, j’ai intégré l’équipe féminine de la municipalité, les Gazelles de Dakar. Ensuite j’ai joué avec les Aigles de la Médina puis les Sirènes de Dakar avant de rejoindre la Gambie de 1999 à 2001. « 

Reconversion précoce

Sa carrière de joueuse achevée prématurément en 2002, suite au naufrage du ferry le Joola dans lequel elle a perdu 27 membres de son école de football, la native de Ziguinchor s’est fixée très tôt comme objectif de devenir entraineur chez les hommes.

 » C’était un défi personnel car il fallait s’imposer devant les hommes « , raconte-t-elle.

L’actuelle sélectionneuse des U20 Féminines du Sénégal s’est donnée les moyens de gravir les échelons du football sénégalais en multipliant les formations et en collectionnant les diplômes CAF et FIFA.

Aicha Henriette Ndiaye passe ses diplômes de coach initiateur de football et d’arbitre grade district, alors qu’elle était encore capitaine de l’équipe nationale sénégalaise.

« Je suis devenue coach à l’âge de 20 ans alors que j’étais encore joueuse. Lorsque je portais le brassard de capitaine de l’équipe nationale, j’avais déjà mon diplôme de coach initiateur de football et arbitre grade district « , explique-t-elle à la BBC.

« J’ai préféré devenir entraîneur des hommes pour convaincre l’opinion publique qu’une femme peut bien réussir dans le football. Pour moi c’est très facile d’entrainer les hommes car ils sont plus attentifs que les filles, ils sont plus réceptifs et prêts à découvrir votre savoir  » note-t-elle.

Aicha Henriette s’est vue confier les rênes de l’équipe de l’ASC Diamalaye dans le championnat national populaire, l’équipe masculine senior de Zig Inter qui était en National 1, de l’Olympique de Ngor (2006-2007) qu’elle fera monter en première division, de l’équipe féminine du Casa Sports de Ziguinchor, avant d’hériter de l’équipe nationale féminine U20 du Sénégal.

La jeune technicienne compte ainsi se battre contre les idées reçues et briser les stéréotypes qui empêchent encore à de très nombreuses filles de jouer au football.

« Dans notre société, une fille qui joue au football est vite étiquetée, on la traite de garçon manqué, on met en doute sa féminité et tout, les gens te regardent bizarrement. Beaucoup de filles ont préféré renoncer à leur passion à cause de ces préjugés « , explique-t-elle à la BBC.

 » Le plus dur c’est le fait d’être rejetée par la famille et le manque de soutien des proches. Au niveau de la société, c’est compliqué à cause des mentalités. Les gens nous traitent différemment par rapport aux hommes « , témoigne-t-elle.

« Aujourd’hui même s’il y a eu beaucoup d’avancées, la société sénégalaise a encore du mal à accepter que des femmes jouent au football. Le plus surprenant c’est que ce sont les femmes elles-mêmes qui nous jugent mal, nous disant qu’on devait abandonner le football car ce n’est pas fait pour les femmes « , confie la jeune technicienne.

Mysoginie et clichés

Le quotidien d’une femme dans un milieu exclusivement masculin n’est pas de tout repos. Pour Aicha Henriette Ndiaye, ce scepticisme à son égard était une source de motivation supplémentaire.

« Les joueurs adverses ainsi que les coachs adverses m’ont toujours sous-estimée, ils disaient qu’une équipe dirigée par une femme ne pouvait pas les battre. Ces mots m’ont renforcée mentalement, et m’ont donné plus de courage et de patience. C’était également une source de motivation pour mes joueurs « , raconte-t-elle.

Celle qui se voit un jour sur le banc de la sélection nationale masculine du Sénégal bat en brèche les idées reçues sur la conciliation football et ménage.

« Le football ne m’empêche pas du tout, d’avoir une vie de famille, comme une femme normale. Aujourd’hui, on voit des joueuses mariées fonder leurs familles. Pour moi le football est comme les autres disciplines sportives et comme tous les jobs du monde« , dit-elle.

Aicha Henriette Ndiaye estime malgré tout que le regard du grand public sur le football féminin est en train d’évoluer et les résultats des sélections africaines lors de la coupe du monde 2023 vont contribuer au développement de la discipline.

« Le football féminin a beaucoup progressé en Afrique, la preuve on a eu 3 équipes en 8e de finale de la coupe du monde cette année, c’est intéressant pour la suite. De plus en plus de jeunes filles rêvent de devenir footballeuses « .

« Il faut de meilleures structures et les mêmes moyens mis pour les hommes « , déclare-t-elle avec optimisme.

Par Ousmane BADIANE

(*) https://www.bbc.com/afrique/articles/c97n149dqn9o

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