AN I DE LA CHUTE DE CONDE SUR FOND DE MANIFS EN GUINEE : Le jeu d’échec continue (*)
« Je pousse un pion, tu en pousses un autre ». Tel est le jeu d’échec auquel semblent s’adonner la junte politique au pouvoir à Conakry et les Guinéens réunis au sein d’une coalition de partis politiques et d’organisations de la société civile qui ne veulent pas se laisser conter fleurette. Ainsi, malgré sa dissolution par le régime de la transition et les répressions récurrentes dont ses manifestations sont l’objet, le Front national de défense de la Constitution (FNDC) qui était le fer de lance de la contestation du troisième mandat d’Alpha Condé, a remis le couvert en appelant ses militants à une manifestation, le 5 septembre 2022, pour dénoncer la conduite de la transition. Ce, au moment où la junte militaire au pouvoir à Conakry, entendait donner un cachet particulier à sa première année de prise du pouvoir.
C’est donc un double visage que présentait hier, la capitale guinéenne, à l’occasion de la célébration du premier anniversaire de la chute d’Alpha Condé sur fond de manifestation du FNDC dont l’appel a été entendu au-delà du cercle de ses militants, pour résonner dans les oreilles d’autres Guinéens au nombre desquels l’ANAD (Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie), voire l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple guinéen (RPG), qui ne reste pas insensible à la situation.
Un an après le coup d’Etat de Mamady Doumbouya, les Guinéens sont au bord du désenchantement
C’est dire si un an après sa prise de pouvoir, le colonel Mamady Doumbouya est en passe de réussir, si ce n’est déjà fait, à faire contre son pouvoir, l’unanimité de la classe politique qui reste largement sur sa soif, face au bilan de la transition. Comment pouvait-il en être autrement quand, au lieu de s’atteler à engager un dialogue constructif et inclusif sur le délai et les modalités de rétablissement de l’ordre constitutionnel, la junte au pouvoir à Conakry donne le sentiment de ne pas en faire une priorité si elle ne donne pas tout simplement l’impression d’en faire à sa tête, sans une ligne directrice claire de conduite de la transition ? Il n’est donc pas étonnant de voir les Guinéens aujourd’hui, las de se faire tourner en bourrique, décider de manifester leur impatience face à une junte dont les atermoiements semblent trahir une volonté de s’installer durablement au palais Sékoutouréyah ; d’où ils ont éjecté, par la force du canon et de la baïonnette, le président Condé un an plus tôt. C’est dire si un an après le coup d’Etat du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, qui se voulait pourtant celui de l’espoir, les Guinéens sont au bord du désenchantement. En effet, entre tentatives d’étouffement des voix discordantes et volonté de restriction des libertés individuelles et collectives, le messie annoncé n’est pas loin de se révéler pire que le bourreau d’hier. Et ce n’est certainement pas la répression de la manifestation d’hier qui a, soit dit en passant, donné lieu à des échauffourées avec les forces de l’ordre, qui viendra changer la donne, encore moins redorer l’image des dirigeants actuels aux yeux de leurs compatriotes.
Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya gagnerait à changer…sa kalach d’épaule
Surtout que dans le cas d’espèce, la coalition qui porte la contestation semble jouer sa survie, à commencer par le FNDC qui refuse de mourir. Il en va de même pour les partis politiques qui ne demandent qu’à renouer le plus vite possible avec l’ordre constitutionnel, dans une Guinée qui a trop souvent souffert des abus et autres excès de l’Etat d’exception. En tout état de cause, si le FNDC est prompt à manifester aujourd’hui, c’est que la junte a aussi prêté le flanc. Autrement, comment comprendre que plus d’un après sa prise du pouvoir, elle soit incapable de produire un chronogramme clair de retour à l’ordre constitutionnel ?
A présent, la question est de savoir jusqu’où ira le bras de fer entre la junte au pouvoir et le FNDC qui ne se montre nullement impressionné par les méthodes spartiates des militaires, et qui semble décidé à ne pas reculer quoi qu’il lui en coûte. La question est d’autant plus fondée que face à la détermination des deux parties et aux positions tranchées des protagonistes, on peut nourrir des craintes pour la Guinée où les démons des violences politiques ne sont jamais assoupis que d’un œil et n’en finissent pas, à la moindre occasion, de se repaître du sang d’innocents citoyens. Il faut que ça change. Et le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya gagnerait à changer…sa kalach d’épaule, pour se mettre résolument à l’écoute de son peuple, s’il veut rentrer dans l’histoire de son pays par la grande porte. Autrement, à trop vouloir faire dans la ruse et dans l’oppression, il court le risque de se voir rappeler par l’histoire et d’apprendre à ses dépens, qu’aucun dictateur, aussi puissant soit-il, n’est jamais venu à bout d’un peuple déterminé.
« Le Pays »
(*) In. https://lepays.bf/an-i-de-la-chute-de-conde-sur-fond-de-manifs-en-guinee-le-jeu-dechec-continue/