CNRD : La Guinée prise au piège d’une gouvernance à deux visages

Trois ans après le renversement du régime civil précédent, la junte militaire guinéenne dirigée par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) s’enlise dans un labyrinthe de contradictions.
D’un côté, elle orchestre une vaste campagne de chasse aux sorcières contre les dignitaires de l’ancien régime, traduits en justice pour corruption et détournement. De l’autre, elle laisse prospérer, en son sein même, une corruption d’une ampleur inégalée, ponctuée par des détournements colossaux de fonds publics, une impunité sélective et un mépris total des aspirations citoyennes.
L’illusion d’une justice équitable et d’un État réformateur a été magistralement entretenue par des procès très médiatisés. Parmi eux, celui des massacres du 28 septembre 2009, où des figures de l’ancien pouvoir, dont l’ex-chef de junte Moussa Dadis Camara, ont été condamnées pour crimes contre l’humanité. Mais derrière cette démonstration de force, la réalité est toute autre. Tandis que ces procès offrent une vitrine d’une soi-disant volonté de rupture avec l’impunité, le régime actuel se complaît dans une gestion opaque, marquée par des crimes économiques dont les auteurs sont souvent proches du pouvoir.
Un pillage organisé sous couvert de réformes
Le tableau des détournements sous le CNRD est accablant. À l’heure où la junte promet de bâtir une Guinée plus stable et prospère, les caisses de l’État se vident dans des proportions alarmantes. Des milliards de francs guinéens disparaissent dans les méandres de la gabegie financière, sous la responsabilité d’acteurs stratégiques : 265 milliards de GNF subtilisés par le DG du patrimoine bâti public, Mohamed Dousou Traoré, aujourd’hui en fuite ; 280 milliards de GNF détournés à l’ARPT, avec un DG toujours protégé par sa proximité avec le sommet de l’État ; 4 tonnes d’or volatilisées à la Banque Centrale sous la supervision de Karamo Kaba, libre malgré son implication ; 1000 milliards de GNF évaporés dans les douanes ; Et une myriade d’autres détournements qui, au total, dépassent l’entendement dans un pays où la population vit dans une pauvreté abjecte.
Un régime répressif et hypocrite
Ces crimes économiques se produisent alors même que la junte affiche une posture de chevalier blanc, multipliant les arrestations spectaculaires et les condamnations des figures de l’ancien régime. Ce double discours est flagrant : d’un côté, on réprime ostensiblement la corruption passée ; de l’autre, on laisse proliférer des pratiques encore plus scandaleuses sous une façade de réformes. Cette hypocrisie atteint son paroxysme dans la gestion de la liberté d’expression.
Le musèlement de la presse et les arrestations d’activistes et de dissidents politiques traduisent une gouvernance autoritaire, déterminée à étouffer toute voix critique. Les kidnapping d’opposants et la censure des médias témoignent d’un régime qui ne tolère aucun contre-pouvoir, préférant utiliser la peur comme levier de contrôle. Cette dérive autoritaire, couplée à une corruption galopante, mine irrémédiablement la confiance des citoyens envers l’État.
Une justice sélective comme alibi
Les procès publics des caciques du régime déchu ne sont, en réalité, qu’un écran de fumée. Ils permettent à la junte de se draper dans une posture moralisatrice tout en consolidant son pouvoir. Mais à y regarder de près, ces condamnations ne traduisent pas une véritable volonté de justice : elles servent avant tout à distraire l’opinion publique de la corruption endémique qui gangrène les cercles du pouvoir actuel.

Comment expliquer que les auteurs des détournements sous le CNRD bénéficient, pour certains, de libertés provisoires ou échappent à la justice ? Pourquoi les responsables les plus proches du régime ne sont-ils pas inquiétés, alors même que leurs crimes sont connus de tous ? Cette gestion à double vitesse démontre que la justice sous la junte n’est qu’un outil de répression politique, et non un instrument de vérité ou de reddition des comptes.
Un avenir hypothéqué
À ce rythme, la Guinée est condamnée à rester prisonnière de ce cercle vicieux où chaque régime se succède en répétant, voire en amplifiant, les erreurs du précédent. Les slogans sur une Guinée prospère et stable ne peuvent cacher la dure réalité : un pays où l’État est pillé sans vergogne, où les citoyens sont réduits au silence et où les promesses de réformes ne sont qu’une façade pour perpétuer l’enrichissement personnel des élites.
Face à ces contradictions criantes, les citoyens guinéens doivent s’interroger : à quoi sert une lutte contre la corruption si elle est sélective et instrumentalisée ? À quoi sert une junte répressive qui détourne des fonds publics au détriment de la santé, de l’éducation et des infrastructures ?
La Guinée mérite mieux qu’un régime qui prône la vertu tout en sombrant dans la cupidité. Elle mérite une gouvernance qui place l’intérêt collectif au-dessus des ambitions personnelles. Sans cela, le pays continuera à tourner en rond, pris en otage par des dirigeants qui ne font que perpétuer les injustices qu’ils prétendaient combattre. Le peuple guinéen, lui, reste seul face à l’effondrement de son État, attendant des réponses qui ne viendront peut-être jamais.
Aboubacar Fofana, chroniqueur
Note: L’image de la UNE est de https://facelykonate.com/