Comment la « gabonisation » a provoqué la polémique entre Béninois et Gabonais sur les réseaux sociaux
Il a fallu que le gouvernement béninois réagisse, et avec un ton menaçant, et qu’il demande à ses citoyens d’arrêter les invectives sur les réseaux sociaux à l’encontre des Gabonais et leurs autorités, sous peine de poursuites judiciaires, pour que la tension baisse un peu.

Avant cela, le Consul honoraire du Bénin à Libreville a été convoqué par le ministre gabonais des Affaires étrangères pour manifester son indignation face aux propos outranciers proférés contre les autorités de son pays sur les réseaux sociaux par des Béninois.
« J’ai construit toute ma vie ici. Si on nous enlève tout ça, nous allons mourir », confie à BBC News Afrique Christelle (nom d’emprunt pour question de sécurité) qui vit au Gabon depuis 24 ans, restauratrice dans un quartier de Libreville. Elle ajoute que depuis que la situation s’est déclenchée, elle ne fait que subir des menaces.
« Même ce matin, trois Gabonais sont venus manger chez moi. Un est calme, mais les deux autres sont menaçants. Mais les autres clients ont réussi à les calmer ».
Malgré l’intervention des autorités des deux pays, la désescalade tant espérée n’est pas encore effective. Sur TikTok, Instagram ou encore Facebook, les prises de position provocatrices et désobligeantes de certains influenceurs des deux pays continuent d’animer la toile.
« Ça continue sur les réseaux sociaux », regrette Hervé Wendyam Lankouande, Analyste et spécialiste des questions sur la paix, la sécurité et le développement en Afrique, qui s’est confié à BBC News Afrique.
Pour lui, ce sont les réseaux sociaux animés par des influenceurs des deux pays, qui amplifient et essaient de dramatiser une situation qui pouvait être gérée calmement. « Quand vous prenez les relations diplomatiques entre les deux pays, ce sont des relations qui sont empreintes de cordialité et de fraternité », fait-il remarquer.
« Le Gabon n’a aucun problème avec le Bénin et le Bénin n’a aucun problème avec le Gabon. Les Béninois n’ont aucun problème avec les Gabonais et les Gabonais n’ont aucun problème avec le Bénin. Il se trouve que ce sont les réseaux sociaux qui ont amplifié cette situation », affirme également Nicaise Moulombi, président du Consortium des ONG sur la défense de l’environnement et acteur de la société civile gabonaise.
« C’est à nos frères béninois de se calmer. Parce que nous qui sommes ici, nous sommes embêtés et menacés. Eux, ils sont sur les réseaux sociaux et sont loin de nous. Ce sont nous qui subissons », s’inquiète Christelle.
Les autorités gabonaises, dans la recherche de solutions au problème de chômage au Gabon, ont décidé de « gaboniser » certains secteurs de l’économie jusque-là détenus par des étrangers. D’où est partie cette polémique qui touche même la diplomatie des deux pays.
« Gaboniser » le secteur informel, le point de départ de la polémique

Le terme « gaboniser » est utilisé ces derniers jours par les Gabonais. Il a pris son sens dans la décision du gouvernement le 12 août dernier de nationaliser ou gaboniser certains secteurs d’activité dans lesquels évoluent rien que des non nationaux.
Selon le recensement général des entreprises de 2023 au Gabon, environ 70 % des entreprises évoluent dans le secteur informel qui contribue à 35 % du Produit intérieur brut (PIB). Et plus de 80 % de ces structures sont détenues par des étrangers.
Le commerce de proximité, le transfert d’argent, la réparation d’appareils électroniques, la coiffure, l’esthétique, l’orpaillage artisanal et le secteur des machines de jeu sont des domaines concernés. Le gouvernement gabonais a indiqué que ces secteurs seront désormais interdits aux étrangers.
« Le gouvernement a donc été obligé de trouver des solutions, à la fois pour réduire le chômage et améliorer les conditions de vie des populations, et ceci passe par une réappropriation de tous les métiers possibles », souligne Nicaise Moulombi.
Il note cependant que dans un passé récent, les Gabonais ne s’adonnaient pas à ces petits métiers qui ont été appropriés par plusieurs nationalités, pas uniquement les Béninois. « Et donc tous ces métiers-là, le président Oligui a demandé aux Gabonais de se les réapproprier ».
« Il y a des Béninois ici qui ont fait des choses que les Gabonais n’ont même pas pu faire. Nous ne les avons pas escroqués. Nous nous sommes construits grâce au travail acharné de tous les jours », explique Christelle qui ajoute que les Gabonais « n’aiment pas faire les petits travaux que nous faisons ».
« J’ai une Gabonaise là où je vous parle. Elle doit laver seulement les assiettes. EJe lui ai dit de venir à 7h30, mais elle vient au travail à 9h. On termine à 17h30. Mais je lui paie 80 000 francs CFA. Quand ils nous voient travailler comme ça, ils disent que nous sommes des esclaves. Nous ne sommes pas des esclaves. Nous, nous sommes nés dedans. C’est ce qu’on peut faire pour pouvoir satisfaire aussi nos besoins. Et comme ils n’arrivent pas, ça les énerve. Ils nous disent : ‘Vous venez ramasser de l’argent chez nous’. On souffre avant de gagner de l’argent », témoigne Christelle.
Le président Brice Clotaire Oligui Nguema, dans un discours à la nation il y a quelques jours, a réitéré le soutien du gouvernement à la jeunesse pour l’entrepreneuriat. « Depuis plusieurs mois, nous avons mis en place un fonds d’aide à l’entrepreneuriat des jeunes et aux agriculteurs, d’un montant de 25 milliards de francs CFA à la Banque pour le commerce et l’entrepreneuriat du Gabon pour encourager l’auto-employabilité des jeunes afin de les sortir du chômage avec des taux d’intérêt préférentiel de 5 % », a-t-il indiqué.
Au Gabon, selon Hervé Wendyam Lankouande, les Béninois qui vivent depuis des décennies, notamment à Port-Gentil, Lambaréné, Franceville sont reconnus pour leur savoir-faire dans les petits commerces, la réparation des téléphones portables, la coiffure, la restauration, etc.
« Il n’y a pas que les Béninois. Il y a aussi les Nigériens, les Camerounais et bien d’autres communautés étrangères qui sont touchées par cette décision », indique-t-il, soulignant que la polémique est née du fait que « des Gabonais et Béninois ont mal interprété la décision » des autorités gabonaises.
Une sortie d’une « influenceuse » gabonaise enflamme les réseaux sociaux

Au Gabon, des rivalités économiques apparaissent souvent dans les quartiers populaires comme Lambaréné où la concurrence est rude. Des Gabonais accusent parfois des étrangers de prendre leur place dans l’économie informelle.
Déjà, certains étrangers perçoivent la décision du gouvernement gabonais comme de la xénophobie. La décente de l’influenceuse gabonaise a donc attisé les débats qui se sont transportés sur les réseaux sociaux avec les invectives entre Béninois et Gabonais.
Tout est parti de la vidéo de l’influenceuse qui était arrivée dans le marché de Lambaréné où elle a pris pour cible des commerçantes béninoises qui y exercent leurs activités. « Toutes les Gabonaises doivent avoir ici des places avant vous. Vous irez vendre au Bénin. Si Oligui a fait le marché pour les Béninois, vous n’allez pas vendre ici. Ça ne va pas se passer comme ça », a-t-elle crié devant des commerçantes béninoises surprises par cette descente.
Cette sortie a provoqué une hydre sur les réseaux sociaux entre les deux peuples. Et depuis quelques semaines, cette tension croissante qui s’est installée entre ressortissants béninois et gabonais, s’alimente de contenus malsains sur les réseaux sociaux.
Dans une série de contenus diffusés sur Tik tok surtout, certains Gabonais fustigent la place qu’occupent des étrangers dans leur économie, pointant particulièrement du doigt des commerçants béninois.
Des Béninois répliquent avec des réponses virulentes publiées sur le même réseau, allant jusqu’à tenir des propos jugés offensant vis-à-vis des autorités gabonaises. Ce qui a provoqué une descente des forces de sécurité gabonaises sur les lieux de commerce des Béninois, avec des fermetures de certaines boutiques tenues par ces derniers.
« Et c’est cet amalgame que les réseaux sociaux se sont permis d’amplifier, créant une espèce de révolution dans chaque citoyen. Parce que quand on va jusqu’à injurier les autorités d’un pays, vous comprenez qu’il se crée en chaque citoyen, qu’on soit Béninois ou qu’on soit Gabonais, une espèce de, je ne dirais pas de vengeance, mais de clarification. Mais ces clarifications peuvent être disproportionnées », explique Nicaise Moulombi.
Les vidéos, devenues virales sur TikTok, montrent des forces de l’ordre, visiblement remontées, qui intiment l’ordre à des commerçants béninois de fermer leurs boutiques ou commerces.
« Ce sont des influenceurs maintenant en fait qui se sont emparés du sujet et malheureusement ça va très vite, parce que quand vous ouvrez les réseaux sociaux, vous voyez des vidéos qui sont disséminées ici et là. Par exemple, des Béninois ou en tout cas des gens présentés comme tels qui sont victimes de la vindicte populaire. On jette en fait leurs marchandises, on ferme les boutiques », regrette Hervé Wendyam Lankouande.
Des influenceurs des deux pays, au lieu d’analyser la situation et appeler au calme, ont plutôt choisi de défendre leur nation respective, tenant également des propos malsains et publiant des contenus provocateurs et désobligeants envers les dirigeants et des citoyens ordinaires.
Ils s’attaquent l’un à l’autre, avec des propos d’une extrême gravité, sans aucune retenue. Cette « guerre virtuelle » avec des impacts profonds a fini par faire réagir les autorités des deux pays.
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