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Côte d’Ivoire: les bayas, un secret de femme devenu accessoire de mode

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Connaissez-vous les bayas ? Ces bijoux de hanches sont faits de perles en verre, en noix, de bois ou en métal… ou en plastique, dans sa version la plus accessible. Traditionnellement employés à des fins rituelles ou symboliques, ils ont longtemps été réservés à l’intimité du couple. Mais en Côte d’Ivoire, une partie de la jeunesse citadine les porte désormais comme un accessoire de beauté, qu’il n’est plus nécessaire de cacher. Non sans quelques réticences…

C’est un secret de femmes qui se transmet de générations en générations, en Côte d’Ivoire. On met d’abord les bayas aux petites filles en bas âge, car ils sont supposés affiner la taille pendant la croissance. Mais une fois adulte, ils deviennent un outil de séduction. Betty Konan, propriétaire de restaurant à Cocody Bonoumin, dit porter jusqu’à une vingtaine de bayas à la fois. « C’est pour séduire ! explique-t-elle. On sent que tu es une femme, ça excite ton homme. C’est toujours caché. Pour nous, les femmes d’un certain âge, ça ne se montre pas, on cache. C’est dans la chambre que l’homme découvre. Mais les jeunes préfèrent les montrer. Le monde évolue. »

Car pour la jeunesse abidjanaise, connectée aux réseaux sociaux et cosmopolite, les bayas sont désormais souvent utilisés comme un simple ornement. Au risque d’un choc des générations, souligne Marie-Hélène Banimbadio Tusiama, qui tient un compte Instagram consacré à la beauté féminine dans l’audiovisuel en Côte d’Ivoire.

« J’ai pas mal de jeans taille basse, de minijupes taille basse aussi, et du coup, les bayas ressortaient de manière un peu instinctive, comme si j’avais juste une belle ceinture, ceinture de taille un peu juste avec des perles, etc, énumère-t-elle. Pour moi, c’était un accessoire au même titre que mes bracelets, donc je le mettais un peu tout le temps… Jusqu’à ce que je me prenne plein de remarques, du style  »Ah mais ma chérie, il faut cacher ça ! » des tanties au marché, ou des hommes un peu plus âgés qui disent  »Ah ma chérie, il ne faut pas montrer ça en public », etc. Et puis, petit à petit, c’est comme ça que même moi, j’ai commencé à le regarder différemment, et me dire  »Ah ce n’est pas forcément un bijou anodin, comme un petit collier ou des bracelets en perles ». C’est vraiment un truc qui accompagne tes sous-vêtements, d’une certaine manière, dans l’objet de la séduction, dans le contexte marital, si on veut vraiment repartir dans la tradition. »

Avant de mettre des tenues qui laissent voir leurs bayas, les jeunes femmes accordent donc une attention toute particulière à l’atmosphère et au lieu. « Quand on est à la plage, j’ai l’impression qu’avec les bayas, ça passe mieux, reconnaît Marie-Hélène Banimbadio Tusiama. Et surtout en soirée, aussi, quand on est tous dans le noir. À chaque fois, je me dis que je vais danser et que ça se verra juste un peu. C’est vraiment dans ces deux contextes-là qu’on les retrouve plus. »

Mais les bayas permettent aussi de renouer avec la tradition, puisqu’ils sont investis d’une dimension symbolique et rituelle, souligne l’artiste et curatrice Lyra-May Ouattara, qui a choisi de porter les siens par-dessus ses vêtements. « Là, je porte un baya de ma grand-mère, indique-t-elle en montrant ses quatre ceintures de cordes et de grosses perles noires et blanches, ornées de motifs abstraits. Donc quand je le porte, pour moi, c’est l’hégémonie matrimoniale. C’est ma grand-mère, son bagage, que je mets sur mes reins aujourd’hui, dans cet environnement-là. Ce sont des bayas baoulés, c’est identitaire. Je ramène, je revitalise l’héritage que ma grand-mère m’a passé parce qu’ils ne restent pas dans mes tiroirs. Je porte ma culture. Donc c’est tout un bagage porté aux reins très simplement, montré pour être partagé, finalement. »

La sculptrice appelle à « laisser en paix la jeune fille qui veut s’exprimer par son apparat, par sa manière de s’habiller ». Pour elle, le baya « peut finalement être un sujet social, un sujet d’analyse, sur comment est-ce que la société réagit au corps, au genre, à la sensualité, à la sexualité ». Et un héritage commun à la plupart des cultures ouest-africaines, puisque si le terme « baya » vient du malinké, le même objet est appelé « bine-bine » en wolof, et « afflema » dans les langues akans.

RFI, avec sa correspondante à AbidjanMarine Jeannin

 

In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20250122-côte-d-ivoire-les-bayas-un-secret-de-femme-devenu-accessoire-de-mode

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