Crief : le procureur spécial acculé par la défense et par la chambre de contrôle à la deuxième comparution de Kassory et consorts (*)
La Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief) a tenu, vendredi 27 mai 2022, une nouvelle audience sur le dossier Ibrahima Kassory Fofana et ses compagnons, en leur présence. La chambre de contrôle de l’instruction a examiné sa décision de libérer sous condition les détenus. Une décision frappée d’appel il y a une semaine par le parquet spécial contre toute attente et contre toute procédure normale.
Plusieurs heures durant, les avocats de la défense ont été à la barre pour contrebattre les réquisitions hallucinantes du procureur spécial Aly Touré, l’appelant dont l’entêtement à maintenir en prison leurs clients semble assujetti. L’opinion reproche à cet accusateur public non seulement son empressement à placer sous mandat mais également ses dérobades. Il maintient des gens en prison mais vient peu soutenir son accusation devant la chambre et les conseils. Le fait est tellement patent que les critiques fusent de toutes parts et une suspicion légitime pèse sur ses agissements.
Un procureur spécial aux procédés spécieux
Le parquet spécial reproche à la chambre de l’instruction son refus fondé en droit de placer et maintenir Ibrahima Kassory Fofana sous mandat de dépôt. Cette juridiction, face à l’incapacité du procureur à prouver le flagrant délit allégué par lui pour mettre et maintenir en détention l’ancien Premier ministre, avait décidé de placer le prévenu en liberté conditionnelle sous caution. Acculé de toutes parts, et passant outre la décision des juges, la seule perspective accessible au parquet est de continuer à poursuivre une action problématique. Selon lui, libérer et placer Ibrahima Kassory Fofana sous contrôle judiciaire comporterait le risque de le voir se dérober aux sollicitations de la justice et même de quitter le pays. De surcroît, le procureur spécial Aly Touré met en avant la gravité des infractions poursuivies – sans que l’on sache trop lesquelles – et le risque de trouble à l’ordre public. Par là, il donne lui-même, maladroitement, un contenu politique à ses réquisitions et à la chape judiciaire qui pèse sur les principales personnalités politiques du pays et, transitivement, sur leurs partis.
S’il devait y avoir une atteinte significative à l’ordre public, elle serait subséquente à l’incarcération de Kassory Fofana, une personnalité politique majeure. Ses nombreux inconditionnels n’ont pas fait obstruction à la justice à son arrestation. Ils le feraient encore moins à sa libération conditionnelle. C’est évident !
Le parquet spécial ne peut exciper d’aucun risque de nuisance à la quiétude publique si la décision de la juridiction de placer l’ancien Premier ministre et ses codétenus sous liberté conditionnelle et sous caution est exécutée.
Le parquet spécial, toujours en manque d’arguments juridiques, prétend que les personnes mises en cause et poursuivies peuvent se parler et rendre difficile la manifestation de la vérité.
Enfin, selon lui, Ibrahima Kassory Fofana possèderait illicitement une résidence cossue dans un quartier huppé de Conakry. À vrai dire, l’homme a acquis le terrain nu en 1986 pour une poignée de colas et un franc symbolique avec les coutumiers car personne n’en voulait. On y accédait à travers épines et ronces. L’endroit, éloigné de toute agglomération, était habité par les animaux sauvages, dont des serpents venimeux. Cette cambrousse ne pouvait attirer qu’un visionnaire en urbanisme ou un fou. Le défrichage et la mise en valeur des lieux ont été l’œuvre patiente et douloureuse du jeune homme Kassory.
Le procureur spécial est allé jusqu’à soutenir à la barre que Kassory Fofana détiendrait une banque aux États-Unis. Excusez du peu !
Les avocats n’en n’ont même pas eu besoin, les juges eux-mêmes ont apporté la contradiction à ce tissu de mensonges cousu de fil blanc. Malgré ce démenti cinglant, le procureur spécial a continué à soutenir des accusations graves et infondées, créant un incident qui a failli tourner au pugilat.
La défense contre-attaque
La défense a ruiné méthodiquement les arguments du procureur spécial Aly Touré, manifestement aux ordres comme un autre tristement célèbre sous le régime déchu, une période dont on avait pourtant promis que les erreurs ne seraient plus répétées.
Une chose est sûre aujourd’hui, l’appel du procureur est imposé et ne peut prospérer. D’ailleurs, le juge d’instruction a pris le soin de rédiger son ordonnance, motivée, et de la lui notifier.
La défense s’est appesantie sur le sort à réserver par la chambre de contrôle de l’instruction au mandat illégal et irrégulier décerné par le parquet spécial. Celui-ci ayant perçu le caractère erroné de son option et de sa démarche et y ayant renoncé, il n’y a plus aucune raison que ce mandat existe et continue à produire un effet. Ce mandat manifestement asservi vicie toute la procédure et pollue l’affaire. En définitive, l’appel du parquet spécial est impossible et ne peut d’aucune manière maintenir Ibrahima Kassory Fofana en prison.
En bonne justice, n’eût été la hargne du procureur spécial Aly Touré et sa seule volonté de nuire, cette procédure infondée serait arrêtée depuis longtemps.
Au demeurant, la chambre de contrôle doit prendre les mesures qui s’imposent à tout juriste soucieux du droit d’accéder à la demande. Elle doit prononcer que l’appel du parquet est impossible, constater la caducité du mandat irrégulièrement décerné par le parquet spécial, remettre Kassory Fofana en liberté et ramener le quantum de la caution au même niveau que le ministre Djakaria Koulibaly, à savoir trois milliards au lieu de vingt.
Et ce sera justice.
Pierre Zola