Financement de la stratégie militaire par la junte guinéenne (*)
Voici l’orientation des recettes du projet de minerai de fer de Simandou
Depuis toujours, en Guinée, le déficit budgétaire est une permanente réalité. Parce que ce budget est dominé par un environnement économique moins compétitif, dans lequel, les agrégats économiques dominants sont entre autres le secteur extractif minier et les télécommunications.
En effet, les revenus miniers restent toujours tributaires des perspectives économiques mondiales et la fluctuation des cours des matières premières fixés sur les marchés boursiers. Or, sa contribution oscille entre 25% et 30% au produit intérieur brut (PIB), selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE).
Ainsi, selon des sources au Conseil National de la Transition (CNT), le projet de loi de finances rectificative présenté le 11 septembre 2023, dans son volet recettes a été évalué à 29 029,32 Milliards de GNF contre 27 910,95 Milliards de GNF prévus par la loi de finances initiale, soit une augmentation de 1 118,37 milliards de GNF (4,01 %). Et selon le rapport de la Commission Plan Développement Économique et Contrôle Budgétaire du CNT consulté par lepetitdepute.com, « les équilibres budgétaires et financiers prévus dans la loi de finances initiale (LFI) 2023 ont été modifiés en raison des changements survenus au cours de son exécution en juin, notamment par la prise en compte des ouvertures de crédits gagés par le reliquat du ticket d’entrée de Simandou.
Alors, le cadrage macroéconomique du projet de loi de finances rectificative 2023 se résument à la réalisation d’un taux de croissance du PIB de 6,1% ; à la baisse du taux d’inflation (moyenne annuelle du PIB) à 9,2% contre 10,1% en LFI 2023, à la régression du taux de pression fiscale du PIB de 12% contre 12,52% en LFI, la performance du taux de change par rapport au Dollar à 8 750 GNF contre 9 054,9 GNF en LFI et d’assurer les réserves de change pour cinq mois d’importation.
En effet, si cette loi de finances rectificative exige de la Direction générale des impôts un surplus de mobilisation des ressource de 1 183,99 Milliards et que celle-ci ait engagé, au préalable, des contrôles tous azimuts (lire https://www.lepetitdepute.com/details-article/avis-de-verification-de-comptabilite-lance-par-la-direction-generale-des-impots-une-delicate-situation-pour-les-russes-en-guinee), le gouvernement a inscrit en charge de financement de la garantie de l’État dans le cadre de l’accord Sino-Guinéen pour 1 165,07 Milliards (lire https://www.lepetitdepute.com/details-article/accord-cadre-sino-guineen).
Mais des sources regrettent qu’il ne soit pas possible pour l’instant, d’avoir de « la documentation actualisée sur la situation du compte d’engagement en 2023 » en faveur de l’accord Sino-Guinéen (lire https://www.lepetitdepute.com/details-article/comment-la-guinee-compte-rembourser-la-dette-chinoise-de-us-20-milliards). Ceci s’expliquerait par un « bug informatique » qui aurait détruit des archives de la Douane Guinéenne (lire https://www.lepetitdepute.com/details-article/trafic-de-cocaine-une-passagere-kenyane-interceptee-a-laeroport-de-conakry-avec-1-6-kg-de-cocaine). Car dit-on, seule la Douane avait accès à ce compte et « cela poserait un problème à la Banque Centrale » qui, selon une source spécialisée dans la gouvernance budgétaire, « projetterait d’en revendiquer un accès illimité à ce compte bancaire ». Et voici, pour une des rares fois que le gouvernement Guinéen a, selon cette source, déclaré « l’allocation budgétaire en faveur de cet accord ». Ce qui est qualifié par des interlocuteurs comme étant « une belle initiative de gouvernance ».
Sauf que si en juin 2022, le rapport sur l’exécution du budgétaire, présenté par le Ministère du Budget avait fait mention des recettes exceptionnelles de 661 Milliards payées par la société Winning Consortium Simandou (WCS) au titre d’une tranche du ticket d’entrée sur les blocs 1 et 2 de Simandou, celui-ci n’avait pourtant pas précisé son utilisation (cette opération n’avait pas non plus fait objet d’inscription en loi des finances initiale en raison de son caractère inattendu). Cette fois-ci, la prise en compte des ouvertures de crédits gagés par ce reliquat de ticket d’entrée de Simandou pour 25 Millions de Dollars (211,5 Milliards de GNF), a été dédiée, par la loi de finances rectificative, « au renforcement des capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité ».
Curieusement, par la même loi de finances rectificative, le gouvernement a prévu une hausse du taux de croissance économique qui passe de 5,7% à 6,1%, soit une progression de 0,4%. Ne peut-on pas voire là une des conséquences de la complaisance dans les nominations, qui désorganise l’administration publique et impacte la performance de la mobilisation des ressources intérieurs. Et c’est pourquoi, le solde budgétaire révisé fait apparaître un déficit de 8 220,13 Milliards GNF, correspondant à 3,86% du PIB contre 8 195,79 Milliards (3,84% du PIB) dans la loi de finances initiale 2023.
Face à ce déficit budgétaire prévu par la LFR, que le gouvernement avait prévu de le combler « principalement par des ressources intérieures et extérieures, notamment des emprunts sur le marché financier national », les commentaires divergent selon les obédiences politiques et techniques. Ainsi, le Ministre en charge des finances a été autorisé à procéder aux cessions d’actifs pour 0,01 Milliards; émettre des bons du trésor (BDT) pour 10 042,21 Milliards et des obligations du trésor (ODT) pour 7 136,15 Milliards; d’utiliser le découvert exceptionnel de la Banque Centrale pour 986,95 Milliards et surtout d’utiliser une partie des ressources affectées au projet de « construction de la contournante de Boké » pour 520 Milliards.
Toutefois, en septembre dernier, pendant la session d’examen de cette loi de finances, une source rapporte que « le gouvernement était dans l’incertitude concernant l’émission des emprunts obligataires prévus pour 3 000 Milliards GNF dans la loi de finances initiale » (lire, en pièce jointe, le protocole d’accord portant mobilisation d’un financement exceptionnel de 5000 Milliards GNF).
Pour une source bancaire, « le CNRD a séquestré les banquiers pour obtenir une nouvelle levée de fonds de 5 000 Milliards auprès du secteur bancaire du pays. Les 19 banques ont été contraintes d’accepter cette injonction de la junte, sous peine de représailles ». Ce qu’a démenti dans les colonnes d’un média local, l’Association Professionnelle de des établissements de Crédit de Guinée (https://www.africaguinee.com/levee-de-fonds-pour-financer-les-projets-dinfrastructures-les-banques-ont-souscrit-de-maniere-libre-precise-lapb-guinee/).
Ce protocole d’accord du 15 septembre entre les parties fait bien mention d’un besoin de financement d’urgence pour les infrastructures prioritaires, sans toutefois préciser « les chantiers à entreprendre ni les entreprises qui bénéficieront de ces contrats. Cela ouvre-t-il la porte à de éventuelles futures surfacturations ? Surtout qu’avec des marchés conclus de gré à gré », regrette une source bancaire concernée.
Selon ce scénario, les banques seront contraintes d’utiliser une partie de leurs réserves obligataires, transformées en obligations du Trésor (ODT), pour un premier montant de 2 000 Milliards sur 4 ans à un taux de 9%, suivi d’une deuxième tranche de 3 000 milliards sur 5 ans, avec un taux net de 13% après déduction des impôts et taxes. Les marchés futurs de 5 000 Milliards suscitent des questions quant à leurs objectifs.
De son côté, la Coordination Nationale du FNDC a lancé un appel à témoin pour identifier et localiser tous les biens des membres de l’élite de l’administration publique, afin de les documenter, et pouvoir engager ainsi des poursuites judiciaires contre eux pour enrichissement illicite.
La LFR 2023 reflète le dilemme devant lequel se retrouve le CNRD : comment maintenir la stabilité macroéconomique du pays, tout en mobilisant des ressources additionnelles pour financer les projets structurants et les dépenses sociales qu’il définit dorénavant comme les deux premières priorités de la transition. Faut-il rappeler que les institutions financières internationales ferment toujours les robinets pour les régimes de transition, en dehors des financements destinés directement aux populations et ceux initiés avant l’avènement du régime d’exception.
Devant ces difficultés, il est tentant de recourir à la planche à billets, créant ainsi une inflation insoutenable pour l’économie, de contracter des prêts bilatéraux dans des conditions financières désastreuses pour le pays. Qu’on se souvienne de l’inflation et de l’accord chinois à China International Fund au temps du CNDD. Pour l’instant, le CNRD a fait le choix de l’endettement interne mais jusqu’à quand ?
À la lumière de cette LFR, nous constatons le manque de transparence et de traçabilité des recettes exceptionnelles liées à la première partie du ticket d’entrée du projet Simandou, qui n’ont pas fait l’objet d’une affectation claire et d’un contrôle parlementaire. Aussi, la dépendance excessive du budget aux fluctuations des cours des matières premières, la fragilité du système fiscal et douanier. De surcroît, l’incertitude politique liée à la transition en cours est un très grand risque pour l’économie guinéenne devant le manque d’investissements étrangers.
(*) https://www.lepetitdepute.com/details-article/financement-de-la-strategie-militaire-par-la-junte-guineenne-voici-lorientation-des-recettes-du-projet-de-minerai-de-fer-de-simandou