Fonction publique : pourquoi les autorités du Cameroun ont radié plus de 3500 agents publics ?
Les autorités camerounaises ont annoncé la radiation de près de 1200 nouveaux agents de la fonction publique, ce qui porte à un peu plus de 3500 fonctionnaires radiés en trois ans. 5500 autres sont dans le collimateur.
Au Cameroun, l’opération s’appelle « assainissement du fichier solde de l’État ». Une opération instruite, selon les autorités, par le chef de l’État en 2018, dans le but de débusquer des fonctionnaires fictifs.
Elle consiste en un comptage physique des agents publics, invitant chaque personnel émargeant dans les caisses de l’État à apporter la preuve physique et les justificatifs de son recrutement.
Depuis le lancement de l’opération, les autorités ont fait deux mises à jour.
Lors de la première en mai 2021, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, responsable des carrières du personnel de l’État, a fait état de 1981 agents licenciés et de 428 révoqués.
Puis, le 18 novembre dernier, Joseph Le, le responsable de ce département ministériel, a parlé d’une nouvelle radiation de 1172 agents du fichier solde de l’État.
Ce qui fait au total 3577 agents publics radiés depuis 2021, sur les quelques 8766 agents publics en indélicatesse.
Il s’agit principalement d’agents publics servant comme, entre autres, enseignants, infirmiers diplômés d’État, cadres d’administration, techniciens du génie civil ou d’agriculture, contrôleur des régies financières, assistante sociale.
Il leur est notamment reproché « leur absentéisme non justifié, des cas de démission ou de décès non déclaré ».
Le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, explique que l’opération de » nettoyage » doit permettre « d’évacuer non seulement les agents publics décédés, démissionnaires, en situation d’absence irrégulière, en détachement, mis en disponibilité, etc., mais aussi les éléments de rémunération indus »
Ce que les fonctionnaires fictifs coutent à l’Etat
Les agents fictifs coutent à l’État camerounais quelques 10 milliards de francs CFA par an. C’est ce qu’a révélé Cyrille Edou Alo’o, le directeur général du Budget, dans une interview publiée le 18 avril 2018 par le quotidien à capitaux publics Cameroon Tribune.
Il présentait alors l’opération de comptage physique du personnel de l’État comme une bouffée d’oxygène.
En 2021, un premier bilan établi a révélé une économie de près de 30 milliards de francs CFA. Car d’après le ministre de la Fonction publique, le coût mensuel d’absentéisme public est estimé à environ 5,4 milliards de F, soit environ 6 % de la masse salariale moyenne mensuelle.
La masse salariale moyenne, quant à elle, étant de 90 milliards de F par mois au Cameroun, mais l’État espère réaliser encore plus d’économies.
Dans une circulaire signée le 23 octobre dernier, le chef de l’État instruit « la finalisation de la phase contentieuse du Comptage physique des personnels de l’État, par la sortie définitive du fichier solde de l’État de tous les agents publics définitivement reconnus absents et suspendus à cet effet ».
De même, Paul Biya a également ordonné « la poursuite de l’assainissement du fichier solde et personnel, à travers la suppression des agents démissionnaires ou par la clôture des éléments de salaires ou de pensions indûment perçus ».
À ce jour, d’après le dernier comptage, plus de 5500 agents de l’État n’ont toujours pas clarifié leur situation et sont donc susceptibles de radiation.
Rappels à l’ordre incessants
Lancée en avril 2018, l’opération de comptage physique du personnel de l’État (Coppe) vise une mise à jour du fichier solde de l’État, de manière à ce qu’il n’y figurent que les agents publics régulièrement recrutés, placés dans leurs situations administratives et salariales idoines.
D’avril à juillet 2018, puis d’octobre à janvier 2019, l’identification devait se faire à travers les établissements bancaires en présentant les différentes pièces prouvant l’effectivité au poste de travail de chaque agent.
Mais, dans son communiqué du 18 novembre 2024, Joseph-Le, le ministre de la Fonction publique, indique que « nonobstant de nombreux communiqués et mises en demeure du ministre des Finances et du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative à l’adresse des 8766 agents publics mis en cause, seuls 601 personnels ont répondu aux demandes d’explication écrites qui leur étaient adressées et, pour certains, déféré aux convocations du conseil permanent de discipline de la Fonction publique ».
Au terme de leur audition, 177 mis en cause ont été réhabilités au travers des reprises en solde simples ou assorties d’avertissement, de blâme, d’abaissement d’échelons, etc.
Mais également des licenciements ou révocations ont été prononcés à l’encontre d’autres bien qu’ayant répondu aux convocations, mais ont « excipé de faux documents à l’effet d’induire l’administration en erreur », souligne le communiqué du chef de la fonction publique.
Toutefois, le gouvernement a laissé une chance aux mis en cause qui s’estimeraient injustement sanctionnés. Ils ont encore la possibilité par voie de requête de saisir le Conseil supérieur de la fonction publique, expliquent les autorités.
La gangrène des fonctionnaires fictifs
Cela fait bientôt deux décennies que le Cameroun mène une lutte acharnée contre le phénomène de fonctionnaires fictifs. Un sujet qui fait chaque année des vagues au sein de l’opinion publique nationale.
En 2015, le gouvernement avait publié une liste de 10 000 fonctionnaires invités à clarifier leur situation administrative.
À cette époque, le phénomène n’était déjà pas nouveau. En mars 2005, une opération d’assainissement du fichier solde de l’État avait permis de débusquer 500 fonctionnaires du ministère de l’Économie et des Finances percevant des salaires indus, depuis de nombreuses années.
Au-delà des sanctions administratives, le Premier ministre avait engagé des actions de restitution des sommes indûment perçues, à travers des précomptes directs sur les salaires des coupables et de leurs complices.
Deux ans auparavant, les services du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative avaient pourtant découvert un peu plus de 1800 fonctionnaires fictifs émargeant au budget de l’État.
À l’époque, les pouvoirs publics compétents avaient expliqué que ces cas d’irrégularités, devaient rapidement trouver une solution grâce au système intégré de gestion informatique du personnel de l’État et de la solde (SIGIPES).
Par Jean Charles Biyo’o Ella et Armand Mouko Boudombo
Journalistes- BBC Afrique