Contre La sansure

Guinée: les failles actuelles de l’unité nationale (Par Jacques Kamano)

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Des voix s’élèvent et de plus en plus de personnes s’inquiètent d’une dérive tribale. Ces inquiétudes sous – entendent que l’unité nationale est en péril.

Nous allons partir du postulat que l’unité nationale en Guinée n’est pas acquise, qu’elle reste à consolider et que sur certains plans, il y a des signaux inquiétants.

A notre avis, la faiblesse et le recul du sentiment national en Guinée tiennent à plusieurs éléments. Éléments qui ne sont pas exhaustifs.

Ce sont ces éléments non exhaustifs que je vous propose d’explorer dans les lignes qui suivent.
– La question tribale et identitaire.

La Guinée est une vaste mosaïque de peuples. Cela constitue certes un atout mais il faut le dire aussi, un formidable défi.
Un atout car cette diversité des tons, de sensibilités et d’imaginaires constituent autant de ressources pour faire face aux défis de la vie moderne.

Un défi car il n’est pas évident de faire cohabiter tous ces peuples en bonne intelligence. Il est surtout plus ardu de construire une identité nationale face au primat que certains continuent d’accorder au fait ethnique sur le fait national.
Cette diversité a été utilisée pour diviser. Depuis l’époque coloniale jusqu’à l’heure actuelle.

Tant qu’elle est perçue comme une faiblesse, tant que l’autre est source de méfiance et d’inquiétude, elle constituera un frein à toutes nos ambitions d’unité.
C’est pourquoi il est temps de ne plus cristalliser dans des lois de circonstances ni des politiques d’un autre âge les craintes et les réticences de certains. Car le mouvement de l’histoire, particulièrement de l’histoire Guinéenne, est celui d’une marche vers le brassage des peuples et le brassage des cultures.
Il faut dès lors veiller aujourd’hui à ce qu’au plus haut niveau comme à la base, tous les comportements et pratiques rétrogrades soient fermement bannies.
Il faut à grand pas en finir avec l’instrumentalisation de l’ethnicité qui au fond, permettent à des élites locales de maintenir le statu quo ou de s’assurer des rentes dans le système en place.
– La question de la gouvernance
Une mauvaise gouvernance, c’est évident, ne peut pas consolider l’unité nationale. D’autant plus que l’unité nationale, de notre point de vue, ne va pas sans l’intégration nationale.

Celle-ci suppose, notamment sur le plan culturel, que les individus partagent de plus en plus les mêmes valeurs, ont les mêmes référents et se perçoivent de plus en plus comme membres d’une même communauté.

Au niveau économique, elle suppose l’absence de discrimination dans la participation à la production des richesses et l’accès à des conditions de vie décentes.

Sur le plan politique, elle suppose un respect entier des droits et libertés du citoyen et une visibilité de tous les groupes ou courants dans le jeu politique.
Dès lors, il est clair qu’il n’y a pas d’approfondissement de l’unité nationale sans un approfondissement et une amélioration constants de cette intégration nationale.

Cette intégration nationale elle-même, comme nous le savons, est une conséquence de l’ensemble des politiques mises en œuvre par le gouvernement. Elle est le résultat de la manière dont on organise la participation des uns et des autres à la construction du pays.

Elle est aussi le résultat de la répartition des richesses aux différentes composantes de la population Guinéenne. Il n’y a rien de plus corrosif pour le sentiment national que l’exclusion et la marginalisation.

Or de nos jours, la société Guinéenne est traversée par plusieurs fractures qui accroissent l’occurrence de replis identitaires. A voir les uns et les autres s’exprimer, on a l’impression que la Guinée est bel et bien un gâteau que les Guinéens et Guinéennes,veulent se partager. Les memoranda se révèlent être des expressions d’une conception pour le moins curieuse, archaïque et rétrograde de la république.

Ils témoignent de la persistance, dans l’arrière-plan mental de nos élites politiques et peut-être de certaines populations, de l’idée que nous ne formons pas une nation. Car comment expliquer que les députés de la nation, les ministres et des leaders d’opinions ne fassent pas, par exemple, des memoranda pour des universités dans toutes régions du pays ?

Pourquoi, par les voies institutionnelles, on n’exige pas du gouvernement de mettre en place des projets et des politiques qui assureront à toutes les catégories déclassées, à toutes les régions en retard l’atteinte des standards préalablement élaborés ?

Au passage, il convient de préciser que le principe plus ou moins officiel de l’équilibre régional, en vigueur depuis plusieurs décennies, constitue une vraie – fausse solution à un vrai problème. C’est une mesure qui par nature devait s’inscrire dans le court terme en attendant que soient mises en place les conditions d’une égalité réelle des chances entre les fils et filles du pays. Car c’est bel et bien de cela dont il est question.
A la place, l’échec des politiques publiques et l’absence de résultats concrets, rapides et tangibles ont été masqués par une mystique de l’unité qui reflétait tout, sauf la réalité vécue par les populations.
On ne peut pas continuer sur cette voie. On ne peut pas continuer à nier les évidences. On ne doit plus proposer des rafistolages sans lendemains historiques aux questions de fond qui se posent depuis des décennies aux Guinéens.
Il faut amorcer une rupture avec cet ordre des choses.
Le sentiment d’exclusion, tant qu’il persiste dans les cœurs, demeure une source de conflit et un frein à la construction de l’unité nationale.
Il faut donc, si nous souhaitons véritablement avancer, traiter directement, sincèrement et effectivement cette question déjà vieille de plusieurs décennies.

Tant que cela ne sera pas fait, cette question constituera toujours un caillou dans la chaussure de l’État.
Soyons clairs ! En résolvant une fois pour toutes ce contentieux historique, il ne s’agit pas de prêter le flanc aux thèses sécessionnistes ni de remettre en cause un seul instant le principe de l’indivisibilité de l’État en Guinée. Il s’agit d’écouter, de discuter, de s’entendre sur les moyens structurels de mettre un terme à des injustices afin de tourner la page définitivement.
– La question des inégalités et de l’injustice sociales

Il apparaît aussi évident que l’existence d’une fracture sociale ne contribue pas à renforcer le sentiment d’appartenance à une nation. La souffrance, la misère, les injustices vident les mots de leur sens et rendent les citoyens sourds aux discours qui exaltent la nation.

En Guinée, le chômage des jeunes, la marginalisation des femmes, la non prise en compte des handicapés et en général, le mépris des « petites gens « , constituent une menace sérieuse. Une menace à la paix sociale et à la paix tout court. Une menace à la stabilité politique et donc, à tout moment, un risque d’explosion et de chaos.

On ne peut simplement pas parler d’unité sans participation de tous et toutes. On ne peut parler d’unité sans justice sociale. On ne peut parler d’unité sans approfondissement et élargissement permanent de la solidarité.

La construction de l’unité nationale chez nous ne peut faire l’économie d’une amélioration constante des conditions de vie des populations.

– La question du verrouillage politique
Il serait tout à fait illusoire de parler d’unité nationale lorsque l’espace politique est verrouillé et les règles du combat ne font pas consensus. C’est le cas en Guinée avec des autorités administratives qui se font les garantes des intérêts d’un parti politique ou d’un régime en dénaturant au quotidien les concepts d’  » ordre public »pour interdire des manifestations et violer les libertés publiques.

C’est aussi le cas lorsque le processus électoral est vicié de part en part de telle sorte qu’il rend improbable toute perspective d’une alternance pacifique et démocratique.

Quand on rend une révolution pacifique impossible, on rend une révolution violente inévitable .
– La question foncière et les conflits pour les ressources clés que sont la terre et l’eau

Elle est présentée par tous les observateurs comme une bombe à retardement.
Elle revient de temps en temps lors des expropriations plus ou moins légitimes, plus ou moins légales, plus ou moins spectaculaires des populations pour des raisons dites d’utilité publique.
Elle revient lorsque des communautés se plaignent du rétrécissement et de l’envahissement de leur espace vital par d’autres communautés ou des entrepreneurs qui profiteraient de leurs vulnérabilités.

Elle se pose aussi lorsque des multinationales étrangères semblent accaparer des terres dans des proportions à peine concevable pour mettre en œuvre des projets économiques dont l’utilité publique peine à être démontrée.
Elle revient assez souvent devant les tribunaux. Le désordre et l’anarchie règnent sur le terrain et alimentent toutes sortes de replis et de tensions communautaires qui s’exacerbent de plus en plus.
En plus de ces problèmes fonciers, il y a les conflits anciens et récurrents entre communautés pour le contrôle des ressources telles que la terre.

Avec les changements climatiques et les bouleversements croissants des écosystèmes, ces conflits vont se faire plus nombreux, plus violents et plus récurrents.

Dans la série d’assises et de dialogues entre Guinéens et Guinéennes qui s’imposent dans les mois à venir, il faudra absolument construire le consensus national sur le foncier et la gestion des ressources naturelles essentielles à la vie des communautés.

Jacques KAMANO

Journaliste, Socio-anthropologue
Facilitateur en gestion et prévention des conflits
Assistant en leadership biblique.

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