Contre La sansure

«Il n’y avait pas besoin d’interrompre l’aide d’urgence pour réformer l’USAID»

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Dean Karlan était jusqu’en février dernier le chef économiste d’USAID, l’Agence des États-Unis pour le développement international. Il revient sur la décision du président Donald Trump de revoir totalement la politique d’aide internationale américaine.

Premier pourvoyeur d’aide humanitaire, USAID a vu son budget revu drastiquement à la baisse par Donald Trump. Alors que certaines ONG, notamment en Afrique, ont déjà dû arrêter leurs activités faute de financements, les conséquences sont encore en cours d’évaluation. Une récente étude publiée dans The Lancet estime que ces coupes pourraient entraîner 14 millions de morts supplémentaires d’ici à 2030, dont un tiers d’enfants. Entretien avec Dean Karlan, professeur d’économie et de finance à l’université américaine Northwestern, et ex-chef économiste d’USAID.

RFI : Quelle est la vision de l’aide prônée par Donald Trump ?

Dean Karlan : Pour l’instant, nous savons ce qu’il ne fait pas. Nous ne savons pas vraiment ce qu’il va faire. Ce que Donald Trump a fait, c’est démanteler l’USAID en licenciant du personnel, mais aussi en coupant sévèrement dans les budgets. Mais il n’y a pas vraiment de plan très clair sur la façon dont cela va fonctionner. Ce qui est clair, c’est qu’il s’agira d’un type d’aide plus transactionnel, où l’on se concentrera sur ce que peuvent en retirer les États-Unis.

Pendant les deux ans et demi où j’y ai travaillé, je ne connaissais personne qui pensait qu’il n’y avait pas moyen d’améliorer ce que faisait l’USAID. C’est pour cela que je me suis engagé. L’idée qu’il fallait changer le système n’est donc pas controversée. La question est de savoir quel est le résultat final, quel est le nouveau plan, et si c’est la bonne manière d’y parvenir. Et c’est là, selon toutes les indications, qu’il n’y a pas vraiment eu un processus réfléchi. Il n’était pas nécessaire d’interrompre l’aide d’urgence et les médicaments destinés aux enfants au beau milieu d’un programme pour procéder à une réforme. C’est quelque chose qui se fait sur le long terme. Ce qui s’est passé est un réel désastre, avec des enfants qui sont morts à cause de cela.

La manière dont les coupes ont été réalisées vous a choqué ?

C’est choquant de voir l’insensibilité et le refus de regarder les faits. Mais dans un certain sens, ce n’est pas surprenant, étant donné ce que nous voyons dans d’autres domaines. La rhétorique a beaucoup porté sur le gaspillage et la fraude. C’est un langage puissant qui a rallié des gens qui ne savaient pas ce qui se passait et qui ne fait que masquer ce que le président Trump voulait vraiment dire, à savoir qu’il n’était pas d’accord avec un petit sous-ensemble des politiques mises en œuvre par l’USAID. Il y a une grande différence entre être en désaccord avec une politique et la qualifier de gaspillage, alors qu’elle a bien été exécutée.

Dans ce contexte, de nombreuses institutions, comme la Banque Mondiale, estime que le secteur privé peut combler le vide laissé par l’USAID. Est-ce la bonne approche selon vous ?

Dean Karlan, professeur d’économie et de finance à l’Université Northwestern et ancien économiste en chef de l’USAID, dans son bureau à Northwestern le 25 février, jour de sa démission. « J’ai tout simplement envoyé un e-mail à l’USAID pour leur dire : « J’annule le contrat par la présente » », a-t-il déclaré à NPR. « Et c’était tout. »

Il y a beaucoup de domaines dans lesquels le secteur privé est un excellent vecteur de changement social. Lorsqu’une entreprise privée a un impact social considérable, c’est formidable. Et c’est la meilleure solution. Et puis lorsque ce n’est pas le cas, parce que ce n’est pas rentable, et parce qu’il y a un intérêt social et sociétal, alors c’est au tour du gouvernement d’agir. Il suffit de regarder le secteur des services financiers. Il a généré beaucoup de croissance et de développement, dans les pays riches comme dans les pays pauvres.

Aujourd’hui, il est nécessaire de protéger les consommateurs et de mettre en place une réglementation, mais je ne suggérerais pas que le gouvernement se mette à gérer les banques. Il y a aussi beaucoup de choses à faire dans le domaine de l’agriculture pour développer les exportations afin d’apporter plus de revenus aux zones rurales en Afrique. Si l’approche à but lucratif fonctionne, l’avantage est que vous pouvez utiliser l’argent public pour financer ce que le secteur privé ne veut pas faire, par exemple, la santé et l’éducation. Ce sont d’excellents exemples de droits fondamentaux qu’une société suffisamment riche devrait offrir à tous.

Qu’attendez-vous de la conférence de Séville sur le financement du développement, qui s’est ouverte lundi ?

C’est le moment de faire le point sur l’utilisation de ressources. Alors que les financements sont de plus en plus réduits, comment pouvons-nous aider les pays bénéficiaires à mieux tirer parti de leurs propres ressources financières. Cela permettra d’améliorer leur développement, leur croissance et leur stabilité à long terme. Vous aurez beaucoup plus d’impact si vous aidez un état à être plus efficace que si vous financez directement le service recherché. Ce qu’il faut chercher, c’est un effet de levier.

Par :Charlotte Cosset

In. https://www.rfi.fr/fr/economie/20250701-il-n-y-avait-pas-besoin-d-interrompre-l-aide-d-urgence-pour-reformer-l-usaid

 

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