« Le mal Africain se trouve dans les libertés et l’impunité de ceux qui sont chargés de mettre en œuvre l’action publique… » (Me Ciré C. Ly)
La liberté d’expression et d’opinion ainsi que le droit de ne pas être envoyé au bagne sont des baromètres pour jauger le degré d’encrage des autorités d’un État dans la démocratie et l’État de droit.
Au lendemain du renversement du gouvernement de Monsieur Alpha Condé et la prise du pouvoir par un groupe de militaire, le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a adopté une charte de la Transition en date du 27 septembre 2022 dispose dans son préambule ce qui suit : « Réaffirmant notre attachement aux valeurs et principes démocratiques tels qu’inscrits dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union Africaine, ainsi que le Protocole A/SPI/13:01 du 21 décembre 2000 de la CEDEAO sur la Démocratie, la bonne gouvernance et les élections. … », ce qui a suscité un espoir dans l’esprit de certains car, des peuples n’aspirent qu’à la liberté au droit à la santé et à la vie, à la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et environnementaux au partage équitable des richesses, à l’égalité sans aucune forme de discrimination dans tous les domaines de la vie.
Cependant, la suspension de la Constitution dont l’opportunité et l’utilité sont discutables, avait plongé la Guinée dans une zone de non droit. La création de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières a très vite jeté un doute sur la capacité et surtout la volonté de la nouvelle administration à respecter la dignité humaine, les droits et libertés individuels, publics et politiques et surtout le droit à la justice.
Le docteur Mohamed Diané a été arrêté et mis en prison pour enrichissement illicite, détournement de dernier public et blanchiment d’argent sans que les autorités de poursuite et d’enquête ne soient en mesure d’établir l’imputation d’un seul fait précis constitutif de détournement de deniers publics ayant entrainé par voie de conséquence un enrichissement illicite, a fortiori un blanchiment de capitaux dont l’origine pourrait être rattachée à une infraction pénale.
Dans la mise en œuvre des règles de procédure, le Procureur spécial près la CRIEF a commis une grave entorse à la loi, en manœuvrant avec les règles de compétence juridictionnelle, pour usurper le pouvoir du juge d’instruction et maintenir illégalement le mandat de dépôt décerné contre le docteur Diané, alors que l’ouverture d’une information judiciaire le privait de tout pouvoir de détention les autorités d’instruction étant les seules habilitées par le lou de décider d’une privation de liberté.
Le plus extraordinaire est que malgré les dénonciations publiques, toutes les autorités de l’État Guinéen qui pouvaient mettre fin aux abus du Procureur Spécial et restaurer la crédibilité de la justice, se sont abstenues à ce jour de réagir, de sorte qu’il existe de justes motifs de penser que malgré les déclarations et professions de foi, les dérives autoritaires pourraient être un système de gouvernance qui désillusionnerait tout ce qui pourrait espérer des changements positifs et une bonne gouvernance.
Le constat amer est que Le mal Africain se trouve dans les libertés et l’impunité de ceux qui sont chargés de mettre en œuvre l’action publique à savoir ses procureurs et ses ministres de la justice qui décrédibilisent les systèmes et assurent leur fonction avec arrogance, excès et mépris des droits et libertés citoyens, ce qui naturellement déteint sur l’ensemble et hôte la confiance des populations sur ceux qui les ont nommés.
Les procureurs et ministres de la justice sont toujours responsables du discrédit de leur pays auprès des populations et de la communauté internationale, car ne respectant pas leur propre loi interne en refusant de respecter les engagements internationaux de leurs États.
Le seul titre de détention qui retient le docteur Mohamed Diané en détention est le mandat de dépôt décerné le 06 Avril 2022 par le Procureur spécial à la suite du procès -verbal d’interrogatoire de flagrant délit qui avait programmé l’audience de comparution rapide au 11 Avril 2022 devant la Chambre de Jugement. Toutefois, dès le lendemain, le 07 Avril 2022, le Procureur spécial qui voulait seulement s’assurer du contrôle de la détention, mais savait qu’aucune audience ne se tiendrait pas le 11 Avril 2022 puisqu’il n’a jamais eu l’intention de l’organiser a pris un réquisitoire introductif saisissant la Chambre de l’instruction pour l’ouverture d’une information judiciaire et sollicitant le placement sous mandat de dépôt.
Au grand malheur du Procureur spécial, la formation collégiale de la 1ère Section de la Chambre de l’Instruction de la Cour Répression des Infractions Économiques et Financières refuse de décerner le mandat de dépôt requis et ordonnant ainsi le 19 Mai 2022 le simple placement du docteur Mohamed Diané, ex ministre de la défense sous contrôle judiciaire, doublé d’un cautionnement de la somme de 30.000.000.000 de Francs Guinéen soit 2.097.964.900 FCFA.
Naturellement, l’ex ministre de la défense qui n’avait pas comparu libre, mais sous le mandat de dépôt du 06 Avril 2022 que le Procureur spécial s’était gardé malicieusement de lever ne sera pas libre et retournera en prison.
A la suite de l’appel interjeté avec le maintien du docteur Mohamed Diané en détention arbitraire, la Chambre spéciale de contrôle de l’instruction de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières décerna le 31 Mai 2022 un second titre de détention provisoire en décernant un mandat de dépôt qui n’est pas, à ce jour formalisé, de sorte que seul le premier titre du 06 Avril 2024 établissait la privation de liberté.
Le Procureur spécial aura cependant un autre revers puisque la Chambre de l’Instruction ordonnera de nouveau le 14 Décembre 2022 la mise en liberté et le placement sous contrôle judiciaire de Mohamed Diané sous réserve du paiement d’une caution de 5.000.000.000 de GNF et le 03 Janvier 2023, la Chambre de Contrôle de l’Instruction confirmant la mesure de liberté sous contrôle judiciaire et ramena la caution à 2.500.000.000GNF soit 174.958.970 FCFA et nonobstant l’impossibilité de saisir la Cour Suprême sur la détention provisoire puisqu’aucune disposition légale ne le permettait, le Procureur spécial persista dans le déni de justice, la violation de la loi par refus d’exécuter une décision de justice et la détention arbitraire puni par la dégradation civique alors qu’il n’est pas à l’abri de poursuites pénales.
Contre toute attente, la Cour Suprême ne se contenta pas de déclarer à tort recevable le recours du Ministère Public, mais glissa un coup au bas de la ceinture de la loi en se contentant de dire que le recours est sans objet en déclarant qu’il appartenait à une juridiction de jugement de statuer sur la liberté, ce qui est un déni flagrant de justice puisque la liberté avait été accordée par la Chambre de l’Instruction et que la Cour Suprême avait l’obligation de se prononcer sur ce recours dès lors qu’elle avait déclaré même à tort ce dernier recevable.
En tout état de cause, cette détention arbitraire sera constatée par la Cour Communautaire Sous Régionale de Justice de la CEDEAO qui ordonnera une énième fois la libération de l’ex ministre Mohamed Diané en constatant que son maintien en détention était arbitraire.
Après avoir défié la justice nationale, le Procureur spécial défie la justice internationale, ce qui jette le discrédit sur l’État de droit et la démocratie sous le silence des autorités de la transition qui dans le premier communiqué public N°1 du 05 Septembre 2021 rassurait le peuple de Guinée par la déclaration suivante : « Guinéenne et Guinéen, Chers Compatriotes. La situation politique et socio-économique du pays, le disfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont emmené l’armée Guinéenne à travers le CNRD à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée dans sa totalité. »
Avec les événements survenus dans la nuit du 03 au 04 Novembre 2023, les droits de l’ex ministre de la défense garantis et protégés par les règles minima sur la détention en Afrique ratifiées par la Guinée sont gravement violées avec l’interdiction aux avocats de toute visite y compris celles autorisées par la justice pour son épouse, le refus des repas apportés directement par la famille alors que Mohamed Diané suit un régime alimentaire strict depuis des années en raison de son état de santé.
Sa santé et sa vie sont ainsi menacées et la décision de justice rendue le 18 Octobre 2023 l’autorisant à établir un bilan médical suite à une demande qui avait été formulée auprès des juges depuis le 14 Juillet 2023 de sorte qu’il y’a lieu de s’inquiéter sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, le droit à la santé étant un corolaire du droit à la vie.
Mohamed Diané est un citoyen Guinéen et le citoyen Guinéen pourrait retrouver l’espoir si les droits et libertés sont respectés ainsi que les principes démocratiques avec une justice indépendante et impartiale qui n’est soumise qu’à l’autorité de la loi égale pour tous et non à celle d’un procureur spécial ou d’un ministre de la justice.
La libération de Mohamed Diané et de tous ceux qui sont libérés par la justice, mais gardés en prison par la seule volonté d’un procureur qui n’est pas appelé à la raison et au respect de la loi, pourrait faire renaître l’espoir d’un État qui se construit suivant un idéal qui est le vœu de tout être humain.
Maître CIRE CLEDOR LY, avocat sans frontière du barreau de Dakar, inscrit sur la liste des conseils de la Cour Pénale Internationale