Contre La sansure

Le Sahel, la France et la fabrique de l’hystérie (*)

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Ça fait débat avec Wathi. Gilles Yabi revient ce samedi 30 septembre sur le départ annoncé des troupes françaises du Niger, après le Mali et le Burkina Faso, et plus largement sur les relations difficiles entre la France et une partie de l’Afrique. 

On n’a peut-être jamais autant parlé des relations entre la France et l’Afrique dans les médias français grand public. On continue à entendre ici et là parler du « sentiment anti-français » en Afrique, en faisant comme d’habitude l’amalgame entre un groupe de pays et l’ensemble du continent.

Mais au-delà de ce raccourci habituel, de nombreuses voix africaines et françaises s’évertuent à expliquer qu’il n’y a pas de sentiment anti-français mais une contestation argumentée de l’action militaire et politique de la France dans les pays du Sahel, où elle a assumé des interventions et une présence militaire depuis une dizaine d’années, mais aussi dans les pays non sahéliens d’Afrique de l’Ouest et du Centre, où elle a exercé une influence politique et économique pesante depuis la décolonisation.

Alors oui, l’étendue de cette influence est délibérément amplifiée par tous ceux qui y ont un intérêt particulier, qu’il s’agisse des auteurs des coups d’État et de leurs partisans, d’acteurs politiques souhaitant bâtir une popularité sans trop d’efforts, ou d’États qui voudraient prendre pied à leur tour dans cette partie du continent.

Mais c’est un fait que du Gabon à la République du Congo, de la République centrafricaine au Tchad, de la Côte d’Ivoire au Togo, du Cameroun au Burkina Faso, du Mali au Niger, il y a beaucoup à dire sur ce que fut l’influence de la politique française sur les évolutions politiques et économiques de ces pays pendant des décennies. De nombreux livres documentent parfaitement cette politique qui ne relève pas seulement d’un passé lointain dont les effets auraient complètement disparu.

De hautes autorités politiques françaises continuent à proposer, dites-vous, des lectures très sélectives de l’histoire des engagements français anciens et récents sur le continent ?

Oui, et c’est un peu agaçant d’entendre des heures de débat sans la moindre reconnaissance des intérêts géopolitiques et économiques évidents qui ont de tous temps été déterminants dans la politique française en Afrique. On devrait être capable de dire que les accords de défense et d’assistance militaire technique, signés à la chaîne entre juin 1960 et juin 1961, incluaient un volet sur la coopération dans le domaine des matières premières et des produits stratégiques, avec un objectif clair de sécurisation des approvisionnements de la France à des conditions très favorables.

Et ce n’est pas parce que les termes de ces accords ont fini par évoluer sous la pression de quelques gouvernements concernés qu’il faut faire comme si tout cela n’avait qu’une importance économique limitée pour la France qui, hier comme aujourd’hui, ne dispose pas de réserves minières, pétrolières ou gazières significatives.

Sur le plan géopolitique, il faudrait arrêter de faire croire qu’une puissance moyenne soucieuse de sa place dans le monde intervient militairement loin de ses bases, sans être pressée de repartir, sans avoir ses raisons propres de le faire. Comme toutes les autres puissances grandes et moyennes, la championne en la matière étant les États-Unis.

On devrait par exemple être capable de dire que la France est intervenue au Mali en 2013, certes sur la demande des autorités de Bamako, mais on devrait pouvoir dire aussi que la France a, dès le début, fixé ses propres objectifs et décidé des modalités de son intervention au fil des années. On devrait pouvoir dire que la guerre menée en Libye sous impulsion française a joué un rôle majeur dans la déstabilisation du Mali et de la région.

Il est temps de revenir, partout, à la raison et de domestiquer les émotions, dites-vous ?

Oui. On ne s’en sortira pas au Sahel si on ignore les faits, la réalité des rapports de force, si on pense que les communiqués quotidiens pour dénoncer des conspirateurs intérieurs et extérieurs permettront de juguler la violence terroriste, les tentatives de coups d’État à répétition, les déplacements de populations, l’aggravation de la pauvreté, le sacrifice de l’éducation de milliers d’enfants. L’urgence, c’est d’arrêter partout la machine à produire une hystérie collective.

(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/ça-fait-debat-avec-wathi/20230930-le-sahel-la-france-et-la-fabrique-de-l-hysterie

Image de la UNE : Gilles Yabi, responsable du Think tank Wathi © Samuelle Banga

 

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