Les Guinéens attendent du pain, pas des trophées financiers
Le 2 octobre 2025, la Guinée a fêté ses 67 ans d’indépendance. Comme à l’accoutumée, le président de la Transition, Mamadi Doumbouya, s’est adressé à la Nation. Cette fois, dans son discours, il a brandi une nouvelle distinction : la notation B+ attribuée à notre pays par une organisation internationale. Présentée comme un « trophée ». Cette note a d’abord été accueillie avec jubilation par les autorités, comme une reconnaissance de la bonne santé économique de la Guinée bien avant la fête, inondant tous les discours.
Mais au-delà de la communication politique, il est essentiel de prendre du recul : que signifie réellement cette note ? Est-elle une victoire ? Et surtout, est-elle un indicateur du développement réel du pays et du mieux-être de ses citoyens ?
1. Une notation financière, ce n’est pas un trophée national
La première chose à comprendre est que cette note B+ ne reflète pas directement la vie des Guinéens. Elle n’est pas attribuée par une institution qui mesure le niveau de pauvreté, la qualité des infrastructures ou le bien-être social. Elle est donnée par une organisation qui évalue essentiellement la capacité d’un pays à rembourser ses dettes et à inspirer confiance aux investisseurs.
Prenons une image simple : c’est comme si un commerçant de marché recevait un prix pour sa ponctualité à payer ses fournisseurs, alors que ses clients, eux, continuent de se plaindre de la mauvaise qualité de ses produits. Autrement dit, le commerçant rassure ses partenaires financiers, mais il ne satisfait pas ceux qui font vivre son commerce au quotidien.
La Guinée a donc reçu un « assez bien » en matière de crédibilité financière, mais cela ne signifie pas que la vie s’améliore pour la majorité de ses citoyens.
2. Une déconnexion totale entre la note et le vécu quotidien
Dans les quartiers de Conakry, à Kankan, Labé, Boké ou N’Zérékoré, cette note B+ ne change rien au prix du riz, du sucre ou de l’huile. Elle n’allège pas la facture d’électricité, quand bien même celle-ci reste irrégulière ou absente pour des millions de foyers. Elle n’ouvre pas d’hôpitaux bien équipés pour soigner les femmes enceintes ou les enfants malnutris. Elle n’emploie pas les milliers de jeunes diplômés qui errent dans les rues à la recherche d’un travail digne.
Selon la Banque mondiale, près de 43% de la population guinéenne vit toujours sous le seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes reste massif, et les inégalités entre Conakry et l’intérieur du pays se creusent. Dans les zones rurales, certaines familles survivent encore avec moins de 2 dollars par jour. Voilà la vraie notation que les Guinéens connaissent : celle de leur assiette vide et de leur quotidien difficile.
Alors, peut-on sérieusement brandir comme « trophée » une note qui ne reflète pas la réalité sociale ?
3. Qui note, et selon quels critères ?
Ces notations ne tombent pas du ciel. Elles sont le fruit d’organismes internationaux, souvent installés en Occident, qui appliquent des critères financiers : stabilité macroéconomique, gestion de la dette, discipline budgétaire. Mais elles ne mesurent ni la corruption quotidienne, ni les coupures de courant, ni la qualité de l’école publique.
Un pays peut donc obtenir une bonne note s’il inspire confiance aux investisseurs, même si sa population continue de souffrir. L’exemple de certains États d’Afrique est révélateur : ils ont obtenu des notations financières positives, mais cela n’a pas empêché leurs populations de descendre dans la rue pour protester contre la vie chère.
C’est dire que cette note B+ n’est pas une photo de la Guinée réelle, mais un signal envoyé aux marchés financiers.
4. Les investisseurs ne sont pas des philanthropes
Un autre point essentiel mérite d’être souligné : les investisseurs internationaux n’investissent jamais pour faire plaisir à un pays. Ils viennent pour leurs propres intérêts, parce que, dans le monde des affaires, personne n’investit pour perdre.
Un investisseur averti analyse plusieurs paramètres avant de s’engager : la stabilité politique, la sécurité juridique, l’accès aux infrastructures, la capacité de rapatrier ses profits. Une simple notation B+ ne suffit pas à balayer tous ces doutes. C’est comme si on disait à un entrepreneur : « Viens investir dans un pays, parce qu’une ONG a donné une bonne note », alors même que l’électricité est instable, les routes délabrées et la justice peu fiable.
Soyons réalistes : les capitaux étrangers ne se jettent pas dans un pays à cause d’un classement ou d’une note internationale. Les investisseurs savent que leurs fonds doivent être protégés. Ils ne prendront pas le risque de « jeter » leur argent dans un environnement qui ne leur garantit ni sécurité ni rentabilité.
Et lorsqu’ils viennent malgré tout, ce n’est jamais par charité. Ils viennent pour exploiter des matières premières, pour bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché ou pour capter des avantages fiscaux. Autrement dit, ils viennent chercher leur bénéfice, pas pour résoudre nos problèmes de développement.
L’exemple du secteur minier en Guinée est parlant : nos mines attirent depuis longtemps les géants internationaux. Pourtant, malgré des milliards de dollars d’investissements, la population guinéenne reste majoritairement pauvre, et l’économie nationale reste fragile et dépendante. Cela prouve que la présence d’investisseurs étrangers ne garantit pas automatiquement le développement local.
5. Le danger du triomphalisme officiel
Le plus grand risque, c’est que nos autorités se contentent de brandir cette distinction comme une victoire, au lieu de se concentrer sur l’essentiel. Célébrer une note financière comme un trophée national, c’est prendre un raccourci dangereux : on détourne l’attention de la population vers un symbole creux, alors que les défis fondamentaux demeurent.
C’est comme une équipe de football qui fêterait un match nul comme une victoire en Coupe du monde. Cela fait sourire, mais ça ne trompe personne sur le long terme.
6. Les vrais indicateurs du développement
Le vrai trophée, pour la Guinée, ce n’est pas une notation donnée par une agence étrangère. Le vrai trophée, c’est :
- Quand le prix du sac de riz cesse de fluctuer au gré des importations.
- Quand les femmes enceintes peuvent accoucher dans des hôpitaux équipés, sans que leurs familles soient obligées de vendre leurs biens pour payer les soins.
- Quand chaque enfant peut aller à l’école dans une salle de classe décente, avec des enseignants bien formés et motivés.
- Quand les routes de l’intérieur du pays cessent d’être des pièges boueux pendant la saison des pluies.
- Quand les jeunes trouvent des emplois dans leur pays au lieu de risquer leur vie sur les routes de l’exil.
Ce sont ces éléments qui constituent la véritable notation d’un État : celle que donnent ses citoyens, pas des experts étrangers.
7. Les leçons à tirer
La Guinée peut se réjouir de ce pas en avant symbolique, mais elle doit rester lucide. Une notation financière n’est pas une fin en soi. Elle ne doit pas devenir une excuse pour se complaire dans des victoires de façade.
Les autorités devraient plutôt prendre cette note comme un rappel de responsabilité : si nous inspirons confiance à l’extérieur, il faut que cette confiance se traduise par des résultats concrets à l’intérieur. Les ressources et les opportunités que cela peut générer doivent être investies dans les secteurs vitaux : santé, éducation, emploi, infrastructures.
Car au bout du compte, le développement se mesure dans les assiettes, dans les salles de classe, dans les hôpitaux, pas dans les rapports d’organisations internationales.
La Guinée a 67 ans. Elle n’a plus le temps de se contenter de symboles. Les Guinéens ont besoin d’actes, pas de trophées illusoires.
Oui, la note B+ peut ouvrir des portes sur le plan financier, mais elle ne doit pas devenir un écran de fumée. La réalité est là, tenace : une population jeune, ambitieuse, qui réclame un avenir meilleur. Et cet avenir ne viendra pas d’une notation, mais d’un travail acharné, d’une gouvernance responsable et d’une politique centrée sur l’humain.
Un pays ne se nourrit pas de mirages. La Guinée doit transformer les symboles en actions. Sinon, ce B+ restera une médaille en papier dans un pays qui a soif de progrès réel.
