Lettre ouverte à la Guinée et à ses institutions (Par Djanii Alfa)
Ma très chère Guinée,
Je ne te demanderais pas si tu vas bien car je sais que ce n’est pas le cas.
Je sais qu’aucune mère ne peut être heureuse de voir ses enfants pleurer, et pourtant aujourd’hui, c’est par millions que tes enfants pleurent ici.
Certains le font en silence, d’autres en cachette, et il y a aussi tous ceux qui pleurent de l’intérieur car ils n’ont plus de larmes à verser pour une situation que leur passivité juge perdue d’avance.
Je sais que je ne suis pas ton enfant préféré ; d’ailleurs, je ne pense même pas que tu aies un enfant préféré car je suis sûr que tu nous aimes tous de manière égale, avec un amour inconditionnel. J’imagine donc que ça doit te briser le cœur de voir tes enfants se déchirer autant, surtout pour des choses qui n’honorent aucunement l’éducation commune que nous avons reçue de toi.
Maman, tout comme le frère Camara Laye par le passé, aujourd’hui moi aussi je suis victime de certains de mes frères et sœurs. Ils m’ont insulté, frappé, emprisonné, et comme si cela ne suffisait pas, ils m’ont obligé à m’éloigner de toi, maman. J’ai demandé pourquoi ? Ils n’ont pas daigné me répondre, et lorsque j’ai réclamé justice auprès du conseil de famille, celui-ci s’est déclaré incompétent pour trancher sur mon cas, prétextant que l’injustice dont je suis victime implique directement un membre du conseil.
Mais ne t’inquiète pas, maman. Sache que je vais bien, et même si cela m’a attristé de voir que leur attitude a fait rire certains de mes frères et sœurs et a fait pleurer d’autres au nom de mon amour pour toi, j’accepte la situation car la distance ne diminue en rien l’amour que j’ai pour toi. Dans l’espoir de te revoir très vite et en bonne santé, je te prie, maman, de bien prendre soin de toi et de tous tes enfants.
Amoureusement, ton fils.
À mon très cher Président de la transition.
Mon très cher colonel, même si je pense que non, car en me basant sur votre discours de prise de pouvoir, je sais que ça ne peut pas être le cas, du moins pas moralement, j’espère que vous allez bien, ne serait-ce que physiquement.
Lors de notre dernier échange, vous m’aviez laissé entendre que vous comptiez sur l’apport de chacun pour agir au mieux dans l’intérêt supérieur de tous. Voici donc ma contribution :
Mon colonel, votre transition fonce droit dans le mur. Elle a perdu ses repères, son âme, elle a perdu l’essence même de sa raison d’exister. Je sais et j’espère que vous le savez aussi, qu’un pays ne peut pas se gérer au cas par cas, mais mon colonel, c’est le cas par cas qui définit le tout. J’espère que vous en êtes conscient.
Mon colonel, votre transition est injuste. Elle est injuste car sous cette transition que vous dirigez, c’est à l’accusé de prouver son innocence et non à l’accusateur d’apporter les preuves de culpabilité de la personne accusée. Elle est injuste car sous votre transition, la plupart des décisions de justice sont prises avant le procès.
La preuve en est que des conflits domaniaux ont été réglés sans aucune décision de justice, exemple: la maison de M. CDD et celle de M. Sidya Touré, pour ne citer qu’eux.
Des personnes ont été arrêtées et jetées en prison sans que les procédures légales ne soient respectées, et si certaines ont été libérées, elles n’ont jamais été rétablies dans leurs droits exemple: tous les membres du FNDC, pour ne citer que nous.
Mon Colonel, tout cela se fait dans le silence coupable de toute l’administration, en commençant par la vôtre. On pourrait croire que vous cautionnez cette injustice.
Mon colonel, votre transition est arrogante. Elle est arrogante car certaines personnes qui profitent de vos largesses se prennent pour des Guinéens supérieurs. Ils narguent, briment, bâillonnent et/ou assassinent le peuple qui vous a pourtant soutenu le 5 septembre 2021, précisément parce que vous lui aviez promis de ne pas reproduire les erreurs du passé. Pourtant, aujourd’hui encore, il est victime des mêmes erreurs sans avoir nulle part où se plaindre, même pas chez vous. On pourrait croire que vous cautionnez cette arrogance.
Mon colonel, votre transition est partisane. Elle est partisane car elle ne traite pas tous les Guinéens de la même manière.
Ce qui est valable pour Cellou, Sidya et Kassory ne l’est pas pour Komara, Kouyaté et Beavogui, bien qu’ils aient tous été Premier ministre à des périodes aussi troubles que sombres de l’histoire de notre jeune République.
Ce qui est valable pour Bill de Sam, Takana Zion et Eli Kamano ne l’est pas pour Djanii Alfa, Lyricson et Dak Kamano.
Ce qui est valable pour Guidho Fulbhe ne l’est pas pour Jack Woumpack.
Ce qui est valable pour Moussa Moise et compagnie ne l’est pas pour Lincoln Soumah et Habib Marouane.
Mon colonel, on pourrait croire que vous cautionnez cette arrogance.
Mon colonel, votre transition est lente. Elle est lente car aucun des dix points du chronogramme établi unilatéralement par vous et vos équipes n’est véritablement entamé.
Le budget demandé pour organiser des élections est perçu par l’opinion publique comme une rançon pour libérer l’état de droit, tant il est « excessif ».
Mon colonel, une transition n’est réussie que si elle se solde par des élections libres, transparentes et inclusives. Mon colonel, votre nom est lié à jamais à l’histoire de notre patrie, il vous appartient de décider comment elle sera racontée.
Fraternellement, votre frère.
À mon très cher Gouvernement de la transition.
Très cher gouvernement,
Je ne te demanderais pas si tu vas bien car, entre nous, le bien-être d’un groupe de personnes individualistes à qui l’on a confié la responsabilité de prendre des décisions pour un bien-être collectif ne m’intéresse pas vraiment.
Vous et moi savons très bien que vous n’êtes qu’un complément d’effectif. Vous êtes là juste pour arrondir les angles d’une certaine ossature étatique. Vous et moi savons très bien qu’à la première occasion, vous viendrez dire que c’est lui qui ne vous laissait pas travailler. Donc continuez de manger en silence. Oui, on ne parle pas la bouche pleine.
Patriotiquement, votre concitoyen.
À mon très cher CNT.
Très cher CNT, les grandes situations font les grands hommes, et quand je dis hommes, je parle d’hommes avec un grand « H », entendez donc humains (hommes et femmes).
Mon très cher CNT, j’espère donc que ça va mal pour toi au même titre que tous ceux que tu es sensé représenter, car si tu vas bien, cela voudrait dire que tu n’es ni conscient de ce que tu représentes, ni conscient des attentes de ceux que tu représentes.
Oui, c’est vrai que le colonel Doumbouya a signé vos décrets à tous, mais au CNT, vous n’êtes pas tous censés représenter son CNRD et ses Forces spéciales. Chacun d’entre vous y est au nom d’une certaine entité, qu’elle soit civile, militaire ou paramilitaire. Un corps de métier, une association ou un parti politique. Vous êtes payés pour et par ceux que vous êtes censés représenter, mais eux-mêmes sont toujours au chômage et cela ne semble pas vous déranger. Vous voyagez avec des passeports diplomatiques, mais ceux que vous êtes censés représenter sont restreints dans leur droit de se déplacer, dans leur liberté d’expression, dans leur droit à la sécurité, au point où même rentrer chez soi est devenu un luxueux rêve pour certains et cela ne semble pas vous déranger.
Vous dites organiser des débats, mais on n’entend que vous, donc vos allocations sont jugées démagogiques par ceux que vous êtes censés représenter et cela ne semble pas vous déranger. Puisque le président de la transition se laisse appeler président de la République au lieu de président de la transition, vous aussi vous vous laissez appeler honorables au lieu de conseillers et cela ne semble déranger ni lui, ni vous.
Mon très cher CNT,
Où se trouve ton honorabilité ? Où sont tes conseils ? À qui conseilles-tu ? À quel prix conseilles-tu ? Pourquoi veux-tu que la transition dure ? Au nom de quel intérêt ? Dans quel but ? Qui représentes-tu au final ? Le peuple ou Toi et tes intérêts belliqueux et bellicistes ? Mon très cher CNT, ressaisis-toi, sinon tu ne feras que confirmer que tu es au service d’une junte militaire qui ne veut qu’éterniser son pouvoir. Démocratiquement, ton « mandant ».
Djanii Alfa