L’opposant gabonais Albert Ondo Ossa: «Ce n’est pas un coup d’État, c’est une révolution de palais» (*)
Au Gabon, les putschistes ont annoncé jeudi 31 août que le chef de la Garde républicaine, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, prêterait serment le 4 septembre en tant que président de la transition. Ils ont annoncé la « mise en place progressive des institutions de la transition », promis que le pays respecterait tous « ses engagements extérieurs et intérieurs », et enfin demandé aux agents de l’État d’assurer la reprise du travail.
L’opposition, elle, le répète : elle a remporté les élections et affirme toujours que le candidat unique de la plateforme Alternance 2023, Albert Ondo Ossa, a remporté la présidentielle. Celui-ci est notre invité. Il répond à Sébastien Németh.
RFI : Est-ce que vous soutenez le coup d’État ?
Albert Ondo Ossa : Je suis un démocrate, un démocrate ne soutient pas les coups d’État, c’est une question de principes. Je crois que la population a manifesté parce que c’était utile, sinon il y aurait eu mort d’hommes. Or, ce dont j’ai parlé, lors du dernier meetinget lors de la campagne électorale, c’est que la présente élection, ce sera zéro mort. Donc, de ce point de vue, si Ali Bongo peut être évacué sans que le sang coule, c’est en cela que c’est une bonne chose.
D’autant que le coup d’État entraîne la chute du pouvoir d’Ali Bongo, vous souhaitiez un changement de pouvoir, c’est en train d’arriver finalement ?
Non, ça n’entraine pas la chute… Ce n’est pas un coup d’État, c’est une révolution de palais. Oligui Nguema est le cousin d’Ali Bongo, derrière Oligui Nguema il y a Pascaline Bongo, donc les Bongo ont trouvé un moyen de contourner, c’est l’imposture perpétuelle. Les Bongo ne perdent rien. Ils se remettent en selle pour renouveler le système Bongo-PDG [Parti démocratique gabonais, NDLR] à travers Oligui Nguema.
Ça voudrait dire que peut-être Pascaline Bongo, des proches de la famille Bongo, seraient derrière, en train de tirer les ficelles ?
Il n’y a pas de peut-être. J’en suis sûr. L’intérêt, c’est préserver le pouvoir des Bongo, et on règle un problème familial : Pascaline et Ali Bongo avaient des contradictions. On règle le problème Ali, et on règle le problème du pouvoir. C’est la garde prétorienne qui a fait le coup. Les autres militaires n’y étaient nullement associés.
Que dites-vous aujourd’hui aux militaires qui sont aux commandes alors que vous estimez avoir gagné l’élection ?
Un militaire, c’est deux choses : ou il est légaliste, ou il est putschiste. Et quand un militaire est putschiste, il sait ce qui l’attend, donc je leur demande de revenir à la légalité républicaine, c’est tout.
Que faudrait-il faire pour revenir à la légalité concrètement ?
C’est plus facile que de faire une transition. [Les militaires] détiennent Michel Stéphane Bonda, qui est le président du CGE [Centre gabonais des élections, NDLR], le président du CGE proclame les élections, c’est-à-dire décompte de voix, proclamation des vrais résultats que tout le monde connait. Dès lors qu’il les a proclamés, je deviens le président légitime. Et ensuite, on appelle le président de la Cour constitutionnelle, je deviens le président légal. Il n’y a pas de perte de temps. L’État redémarre et tout refonctionne. Je regarde les militaires et je ne sais pas jusqu’où ils iront, mais ils n’ont pas le peuple avec eux et ils sont dans l’incapacité de relever économiquement ce pays.
Pourtant, les putschistes ont déclaré que le général Oligui Nguema prêterait serment lundi comme président de la transition, ils annoncent qu’ils mettront progressivement en place les institutions de cette transition, on dirait qu’ils n’ont aucune envie de revenir sur les élections.
C’est leur problème à eux. Chacun compte sur ses forces. Ils savent sur quoi ils comptent, certainement les armes, 8 000 personnes, et moi, je compte sur la population gabonaise, et de ce point de vue, 500 000 Librevillois qui peuvent s’opposer à cela. Alors c’est dire que chacun sait ce sur quoi il compte.
Deuxièmement, je compte sur la communauté internationale qui va peser de tout son poids pour qu’on revienne à l’ordre républicain. J’ajoute que j’avais prévenu la France, là précisément, elle ne peut pas se déjuger, si elle condamne le coup d’État ipso facto, elle doit pouvoir rayer d’un trait tout ce qui s’ensuit, à savoir la transition. Il faut que toute la communauté internationale, y compris la France, revienne à l’ordre républicain.
En ce qui concerne l’Afrique, c’est une nouvelle Afrique, il faut qu’on s’accommode des présidents qui ne sont pas des béni-oui-oui, mais qui traitent avec la France d’égal à égal, et qui comprennent que c’est un partenariat où tout le monde est gagnant. La France gagne, l’Afrique gagne, pour le bien-être de nos populations. C’est ça la nouvelle donne.
Vous parlez de 500 000 Librevillois face à quelques milliers de militaires, est-ce que vous appelleriez les Gabonais à descendre dans la rue si les putschistes ne vous remettent pas le pouvoir ?
Non, je ne ferai pas ça, on va crescendo. Je laisse libre cours à la diplomatie. La diplomatie interne, la diplomatie de la communauté internationale. Il faut dire en plus que toutes les missions diplomatiques avaient déjà eu les résultats, elles les connaissent. Ils ont le même document qui est à ma disposition.
On a vu dans de nombreux pays autres que le Gabon des putschistes prendre le pouvoir, pour finalement ne plus le lâcher, est-ce que vous craignez qu’on en arrive là ?
Je ne le crains pas. Le Gabon, c’est le Gabon. Les putschistes qui ont pris le pouvoir, c’étaient les putschistes qui allaient dans le sens du peuple. Or, c’est une prise de pouvoir en dehors du peuple. Le peuple ne veut plus des Bongo et soixante ans de Bongo, ça suffit. C’est ce que dit le peuple, et c’est ce que j’ai relayé. De ce point de vue, qu’on amène Oligui Nguema, qui est en fait un Bongo, prendre le relais, ça ne change rien effectivement à la situation du peuple. Le peuple continuera de revendiquer, et de faire en sorte que les Bongo soient écartés du pouvoir.
Est-ce que vous ne craignez pas que vos propos raidissent la junte et qu’on aille au bras de fer entre vous et les militaires ?
Quelqu’un qui pense au développement de son pays ne va pas au face-à-face, mais on est des Gabonais, on se dit les vérités entre nous. Aucune armée au monde, aussi forte soit-elle, ne s’est jamais opposée de manière durable à un peuple. Ce n’est pas possible. Le peuple a toujours raison de l’armée. Et là, précisément, si les militaires sont républicains, ils ont l’obligation et le devoir de remettre le pouvoir à l’ordre constitutionnel.
Est-ce que ça veut dire que vous proposez le dialogue aux putschistes ?
Le Gabon est un pays de dialogue. Les putschistes sont des Gabonais. Et moi, je suis ouvert, on peut discuter. Mais il y a des questions de principe. On peut discuter, savoir ce qu’ils veulent, quelles sont les conditions qu’ils posent, je suis ouvert. Mais il y a des choses avec lesquelles je ne transige pas : c’est la revendication profonde du peuple gabonais qui a voté. Et cela ne peut pas aller en pertes et profits. Ce n’est pas possible.
C’est-à-dire que pour vous, il n’est pas question de refaire une élection, par exemple ?
Non. Il faut comprendre que lorsqu’il y a une crise politique dans un pays, c’est là que toute la classe politique s’assoit. Un dialogue est inclusif. La démocratie est plurielle, libre, consensuelle et de ce point de vue, elle n’est pas exclusive. Si tel est le vœu de toute la classe politique, je me soumettrai à cela. Mais ça ne peut pas être le fait de quelques militaires du sérail, c’est-à-dire la garde prétorienne, ou que je me lève un beau matin et que je sois disposé à aller à une nouvelle élection. Ce n’est pas possible. Les Gabonais qui ont voté pour moi, ils doivent entrer dans leur droit, et c’est cela l’ordre républicain.
Avez-vous des contacts avec la junte ? Est-ce qu’une rencontre est prévue ?
Nous sommes des Gabonais, on se connait tous, c’est un petit peuple, on s’aidede cousins à parents, mais là, il s’agit d’un problème national, je crois que des passerelles existent. Moi, je suis ouvert à la discussion parce que ce sont des compatriotes. D’un autre côté, le problème n’a pas été résolu en entier, c’est un problème à étapes. Première étape : mettre Ali Bongo Ondinmba, quatorze ans d’enfer pour les Gabonais d’un côté, et ensuite, faire en sorte que les Bongo comprennent que soixante ans de pouvoir c’est trop. Les Gabonais, plus compétents, plus sérieux, peuvent également occuper la fonction présidentielle. Le dire, ce n’est pas insulter Bongo, c’est cela la République aussi : accepter qu’il y ait alternance au sommet de l’État.
Quelle serait la configuration du dialogue que vous auriez avec les putschistes ? Est-ce que vous iriez au Palais du bord de mer discuter avec le général Oligui Nguema par exemple ?
Non. Si le général Oligui vient chez moi pour discuter avec moi, il n’y a pas de problème, avec mon équipe on discutera. Maintenant, s’il m’invite au Palais du bord de mer, c’est une reconnaissance objective de son pouvoir que je ne reconnais pas. Discussion dans un terrain neutre, oui. Mais au Palais du bord de mer, c’est hors de question parce que le démocrate que je suis ne saurait accepter des coups d’État.
La junte a annoncé des arrestations de hauts cadres du pouvoir, vous approuvez ce genre d’interpellations ?
Pas plus hier qu’aujourd’hui, je n’approuve ce genre de choses. J’ai été clair lors de la campagne : aucun Gabonais n’ira en prison. C’est les négociations au cas par cas. Et quand on regarde bien, c’est une mascarade, ce n’est pas seulement eux. Il faut qu’on sache que ce sont des négociations au cas par cas. Moi, j’ai proposé qu’il n’y ait pas de prison, j’ai proposé un couloir aux Bongo parce qu’ils sont des citoyens. J’ai proposé à l’ancien chef d’État, effectivement, un statut d’ancien chef d’État, que personne ne touche un cheveu des Bongo, je m’en porte garant. Les petites opérations trompe-l’œil, je n’en suis pas.
Vous privilégieriez une amnistie plutôt qu’une purge ?
Non, il faut qu’il y ait une commission d’ultime conciliation, qu’il y ait une justice qui apprécie, qu’après cette justice-là, on puisse recourir à la raison d’État. C’est une discussion au cas par cas.
(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230901-l-opposant-gabonais-albert-ondo-ossa-ce-n-est-pas-un-coup-d-etat-c-est-une-revolution-de-palais