Contre La sansure

Massacre 28 septembre 2009: la Guinée à l’épreuve du principe de complémentarité (Par Catherine Maia, Ghislain Poissonnier)

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Le massacre du 28 septembre 2009 à Conakry a connu un fort retentissement médiatique tant en Afrique de l’Ouest que dans le monde, justifiant un intérêt particulier de la communauté internationale et imposant une réponse judiciaire.

Plus de dix ans après ce massacre, alors que l’information judiciaire sur les faits est close et que l’ouverture d’un procès en Guinée se fait toujours attendre, les inconnues autour d’un futur jugement des responsables du massacre demeurent nombreuses. La situation en Guinée constitue ainsi un test quant à la possibilité de mettre en œuvre le principe de complémentarité selon lequel la Cour pénale internationale n’intervient qu’en cas de manque de volonté ou de capacité d’un État à juger les responsables de crimes internationaux.

Le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition tournait au drame dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade de Conakry pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle du capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte au pouvoir – le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) –, les forces de sécurité réprimaient violemment le rassemblement[1]. Le jour même et les jours suivants étaient commises diverses exactions, notamment des meurtres, des coups et blessures volontaires, des séquestrations et actes de torture, des viols et des pillages par les membres des forces de sécurité déployés dans les quartiers d’où était issue la majorité des sympathisants de l’opposition[2].

Ces évènements sont connus comme le « massacre du 28 septembre »[3]. En raison de leur gravité, ils ont eu un retentissement médiatique tant en Afrique de l’Ouest que dans le monde, justifiant un intérêt particulier de la communauté internationale (I) et imposant une réponse judiciaire nationale (II). Plus de dix ans après ce massacre, alors que l’ouverture d’un procès en Guinée se fait toujours attendre, les inconnues autour d’un futur jugement des responsables restent très nombreuses (III). Elles le sont d’autant plus que, depuis l’ouverture en 2009 par la Cour pénale internationale (CPI) d’un examen préliminaire concernant la situation de la Guinée, sera ici mis à l’épreuve l’application du principe de complémentarité, imposant que la Cour n’intervienne qu’en cas de manque de volonté ou de capacité de l’État.

 

I. UN INTÉRÊT PARTICULIER DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Le 28 octobre 2009, le Conseil de sécurité des Nations Unies adoptait une déclaration présidentielle dans laquelle il proclamait être « profondément préoccupé par la situation qui règne en Guinée et qui pourrait constituer un risque pour la paix et la sécurité régionales après les massacres de Conakry du 28 septembre ». Il se félicitait, d’une part, « des prises de position publiques du Groupe de contact international, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union africaine, en particulier du communiqué que le Conseil de paix et de sécurité de cette dernière a fait paraître le 15 octobre 2009 et le communiqué émanant de la Réunion au sommet de la CEDEAO tenue le 17 octobre 2009 », d’autre part, « de la médiation entreprise par Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, et notamment des efforts qu’il déploie afin de créer un environnement plus serein et plus sûr en Guinée »[4].

Au regard de la gravité des violations des droits de l’homme commises en Guinée, c’est à la demande de l’Union africaine, de la CEDEAO et des Nations Unies que, le même jour, le Secrétaire général des Nations Unies mettait en place une Commission d’enquête internationale avec pour « mandat d’établir les faits et les circonstances des événements du 28 septembre 2009 et de leurs suites immédiates, de déterminer la nature des crimes commis, d’établir les responsabilités et, dans la mesure du possible, d’identifier les auteurs »[5]. Le 30 octobre 2009, il y nommait trois membres bénéficiant d’une grande réputation de probité et d’impartialité, à savoir Mohamed Bedjaoui (Algérie), Françoise Ngendahayo Kayiramirwa (Burundi) et Pramila Patten (Maurice).

Après l’audition de près de 700 témoins, la Commission d’enquête internationale présentait son rapport au Conseil de sécurité des Nations Unies le 18 décembre 2009[6]. Le rapport indiquait que :

« La Commission est en mesure de confirmer l’identité de 156 personnes tuées ou disparues, soit 67 personnes tuées et dont les corps ont été remis aux familles, 40 autres qui ont été vues mortes au stade ou dans les morgues mais dont les corps ont disparu, ainsi que 49 autres vues au stade dont le sort reste inconnu. Elle confirme qu’au moins 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles et d’esclavage sexuel. Plusieurs femmes ont succombé à leurs blessures suite à des agressions sexuelles particulièrement cruelles. Elle confirme également des centaines d’autres cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des dizaines de personnes ont été arrêtées et détenues arbitrairement dans les camps militaires Alpha Yaya Diallo et Koundara ainsi qu’à la caserne de la police anti-émeute (CMIS) où elles ont été torturées. Les forces de sécurité ont aussi systématiquement dépouillé les manifestants de leurs biens et ont commis des actes de pillage. La Commission estime que, lors des exactions du 28 septembre et des jours suivants, les autorités guinéennes se sont engagées dans une logique de destruction des traces des violations commises, qui vise à dissimuler les faits : nettoyage du stade, enlèvement des corps des victimes d’exécutions, enterrement dans des fosses communes, privation de soins médicaux aux victimes, altération intentionnelle des documents médicaux et prise de contrôle militaire sur les hôpitaux et les morgues. Cette opération a eu pour résultat d’instaurer un climat de peur et d’insécurité au sein de la population. Par conséquent, la Commission considère que le nombre de victimes de toutes ces violations est très probablement plus élevé »[7].

Le rapport démontrait que la junte au pouvoir avait prémédité et lancé, le 28 septembre et les jours suivants, des attaques meurtrières des cibles civiles en raison de leur appartenance ethnique et/ou de leur affiliation politique présumées. Aussi, le rapport estimait-il « raisonnable de conclure que les crimes perpétrés le 28 septembre 2009 et les jours suivants peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité. Ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique lancée par la garde présidentielle, des gendarmes chargés de la lutte anti-drogue et du grand banditisme et des miliciens, entre autres, contre la population civile. La Commission conclut aussi qu’il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale de certaines personnes nommées dans le rapport, soit directement soit en tant que chef militaire ou supérieur hiérarchique »[8].

Tel est le cas, en particulier, du président et numéro 1 du CNDD, le capitaine Moussa Dadis Camara[9], de son aide de camp et chef de la garde présidentielle, le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité (dit Toumba)[10], et du ministre chargé des services spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, le commandant Moussa Tiégboro Camara[11].

La Commission d’enquête internationale identifiait, par ailleurs, d’autres personnes pouvant être considérées comme pénalement responsables pour leur implication dans les événements du 28 septembre et des jours suivants, mais dont le rôle et le degré exact d’implication devraient être examinés dans le cadre d’une enquête judiciaire. Sont visés le ministre de la Sécurité présidentielle, le capitaine Claude Pivi (dit Coplan)[12], et le ministre de la Santé, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby[13].

Elle identifiait, enfin, ceux dont l’implication présumée les désigne comme devant faire l’objet d’une enquête plus approfondie. Sont concernés l’aide de camp du lieutenant Toumba, le sous-lieutenant Marcel Guilavogui[14], le chauffeur du président, le sous-officier Sankara Kaba[15], le ministre de la Défense, le général Sékouba Konaté[16], et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le général Mamadouba Toto Camara[17]. Il s’agit également du ministre de la Jeunesse et des Sports, Fodéba Isto Keira, du directeur du stade du 28 septembre, Ibrahima Sory Keïta (dit Petit Sory)[18], et de la directrice de l’hôpital Donka, Fatou Sikhe Camara[19]. Pouvaient, en outre, être concernées des personnes non dénommées, telles que les responsables des milices venues du camp de Kaleah (en particulier en relation avec leur rôle dans les événements du 28 septembre et des jours suivants) et des cadres civils du CNDD (en particulier en relation avec la dissimulation des faits et des preuves)[20].

Parallèlement, une Commission nationale d’enquête indépendante, mise en place le 7 octobre 2009 par les autorités guinéennes, rendait son rapport le 2 février 2010, confirmant qu’avaient été commis des meurtres, des viols et des disparitions forcées, bien qu’en nombres légèrement inférieurs à ceux avancés par la Commission d’enquête internationale. Elle dédouanait cependant les principaux leaders de la junte militaire, à l’exception du lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité (dit Toumba), alors en fuite et qui était présenté comme le principal responsable des évènements.

À la suite de la transmission au Bureau du Procureur de la CPI de nombreuses communications relatives à des allégations graves d’exactions sur le territoire guinéen, le Procureur annonçait, le 14 octobre 2009, l’ouverture d’un examen préliminaire[21]concernant la situation de la Guinée[22], examen toujours en cours actuellement. L’ouverture de cet examen préliminaire était possible en raison de la qualité d’État partie de la Guinée au Statut de Rome depuis le 14 juillet 2003, date à laquelle elle a déposé son instrument d’adhésion[23].

En 2011, le Procureur de la CPI concluait que « le 28 septembre 2009, les événements survenus dans le stade de Conakry peuvent être qualifiés d’attaque généralisée et systématique contre la population civile. Au vu du volume considérable d’informations disponibles sur ces événements, le Bureau est en mesure d’établir l’existence d’une base raisonnable de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis à Conakry ce jour-là et les jours suivants, dont des meurtres, une réduction en esclavage, des emprisonnements, des actes de torture, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, des disparitions forcées de personnes et d’autres actes inhumains »[24].

En 2018, le Procureur de la CPI confirmait qu’« il existait une base raisonnable permettant de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis au stade national de Conakry le 28 septembre 2009 et les jours suivants, à savoir : le meurtre visé à l’article 7-1-a ; l’emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté, visé à l’article 7-1-e ; la torture visée à l’article 7-1-f ; le viol et autres formes de violence sexuelles, visés à l’article 7-1-g ; la persécution visée à l’article 7-1-h ; et la disparition forcée de personnes visée à l’article 7-1-i du Statut de Rome »[25].

Conformément au principe de complémentarité, souvent présenté comme la pierre angulaire du Statut de Rome[26], la CPI n’a qu’une compétence « complémentaire des juridictions pénales nationales »[27]. En conséquence, elle doit juger une affaire irrecevable si cette « affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites » (art. 17-a du Statut de Rome)[28]. Ce principe vise à mettre les États face à leur responsabilité première en matière de prévention et de lutte contre l’impunité des crimes internationaux, les tribunaux nationaux étant supposés avoir une meilleure connaissance du contexte historique et politique interne, de même qu’un accès facilité aux victimes et aux preuves.

La complémentarité réalise ainsi « un équilibre ou un compromis acceptable » pour les États parties au Statut de Rome « entre le respect de leur souveraineté et le développement d’une institution judiciaire autonome et indépendante »[29]. Toutefois, l’appréciation du système judiciaire interne qu’exige le principe de complémentarité pour déterminer si les procédures menées sont adéquates et effectives n’a pas manqué de causer des tensions.

En effet, les autorités nationales peuvent chercher à l’instrumentaliser à des fins politiques, notamment dans les cas d’auto-renvois par les États à la CPI (Ouganda, République démocratique du Congo I et II, République centrafricaine, Mali). Dans de telles hypothèses, le risque est élevé que seuls soient poursuivis des opposants au régime en place[30].

Les autorités nationales peuvent aussi l’instrumentaliser afin de protéger des agents de l’État et en particulier les hauts gradés des forces de sécurité. À cet égard, il est possible de faire un parallèle avec la situation de la Colombie, laquelle est comparable à celle de Guinée en ceci que très peu d’agents de l’État ont été effectivement poursuivis et jugés.

La situation en Colombie, qui a donné lieu à de nombreuses communications au Bureau du Procureur, fait l’objet d’un examen préliminaire depuis juin 2004. Cet examen porte sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui auraient été commis dans le cadre du conflit armé entre et au sein des forces gouvernementales, des groupes armés paramilitaires et des groupes armés illégaux, ainsi que sur l’existence et sur l’authenticité des procédures pénales nationales relatives à ces crimes, celles-ci n’ayant jusqu’à présent abouti que pour un petit nombre de ceux ayant participé aux exactions[31]. À cet égard, il faut avoir conscience que la nature même des crimes internationaux infère qu’ils sont généralement perpétrés par des agents de l’État ou sous les directives ou avec la complicité des plus hautes instances étatiques[32]. Concernant la situation en Guinée, le gouvernement s’est prévalu de la primauté de la justice nationale découlant du principe de complémentarité de la compétence de la CPI pour faire part de sa volonté et de sa capacité à mener une enquête criminelle sur le massacre du 28 septembre. Il est encore trop tôt pour savoir si les autorités guinéennes utiliseront la primauté de la justice nationale pour écarter des opposants et/ou assurer une protection aux agents de l’État.

 

II. UNE RÉPONSE JUDICIAIRE NATIONALE

Le 8 février 2010, suivant les recommandations préconisées dans les rapports respectifs des Commissions d’enquêtes nationale et internationale, le procureur général de la Cour d’appel de Conakry a décidé l’ouverture d’une information judiciaire sur les événements du 28 septembre 2009, en la confiant à trois juges d’instruction. Dans cette affaire, le Procureur de la CPI applique donc le principe de complémentarité, en assurant un suivi de l’enquête menée par les autorités nationales et en évaluant si les poursuites internes en cours sont « effectuées dans le but de traduire en justice les auteurs présumés des crimes en cause dans un délai raisonnable »[33]. À cette fin, le Bureau du Procureur demeure en contact étroit avec l’ensemble des acteurs concernés, tout particulièrement les autorités guinéennes et les organisations de la société civile[34].

L’enquête nationale, visant à identifier les personnes portant la plus lourde part de responsabilité pénale dans les crimes commis, a progressé à un rythme relativement lent, mais régulier. Si l’absence de sécurité appropriée[35], des conditions logistiques difficiles[36]et le manque de moyens[37]ont affecté la procédure, les trois juges d’instruction ont entendu de nombreuses victimes, dont beaucoup se sont constituées partie civile. Ils ont engagé des recherches, auditionné des témoins et interrogé des suspects. Ils ont inculpé quinze personnes, dont six ont été placées en détention.

L’instruction s’est achevée le 29 décembre 2017 avec l’adoption par les trois juges d’instruction d’une ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal criminel. Si deux inculpés ont bénéficié d’un non-lieu (le lieutenant-colonel Mathurin Bangoura, alors ministre des Télécommunications et des Nouvelles technologies de l’information et numéro 4 du CNDD, et le capitaine Bienvenue Lamah, alors instructeur du camp de Kaleah), les treize autres ont été renvoyés devant le tribunal criminel de Dixinn, à Conakry, qui jouit d’une compétence territoriale concernant les évènements en cause[38].

Selon l’ordonnance des juges, les faits ont été commis par « les bérets rouges de la garde présidentielle et des miliciens en civil [qui] investissaient l’enceinte du stade. Les premiers tirant des rafales d’armes automatiques sur la foule, pendant que les seconds bastonnaient, torturaient et poignardaient les manifestants. Ils commettaient également plusieurs infractions, dont, entre autres, des assassinats, des meurtres, des coups et blessures volontaires, des viols et d’autres violences sexuelles. Les jours suivants, certains militaires, gendarmes et autres miliciens ont aussi commis des pillages, des séquestrations et autres actes de torture sur des personnes dans différents camps militaires, certains quartiers de la capitale, notamment à Cosa, Bambéto, Donka et également aux domiciles de certains leaders des forces vives »[39].

Parmi les treize prévenus, dont la plupart ont été identifiés par les victimes comme étant présents au stade le 28 septembre 2009 ou dans les camps militaires dans les jours suivants, se trouvent : le chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara[40]; le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et numéro 2 du CNDD, le général Mamadouba Toto Camara ; le ministre de la Sécurité présidentielle, le capitaine Claude Pivi ; le ministre chargé des Services spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, le commandant Moussa Tiégboro Camara ; l’aide de camp du capitaine Moussa Dadis Camara et chef de la garde présidentielle, le lieutenant Aboubakar Sidiki Diakité (dit Toumba), lequel, en fuite, a été arrêté au Sénégal en décembre 2016 et extradé en Guinée en mars 2017, où il a été placé en détention ; l’aide de camp du lieutenant Toumba et chef adjoint de la garde présidentielle, le sous-lieutenant Marcel Guilavogui, placé en détention depuis 2010 ; le ministre de la Santé, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby[41]; l’un des adjoints du commandant Tiégboro, le lieutenant Blaise Guemou ; l’aide de camp et garde du corps du capitaine Moussa Dadis Camara et membre influent de la garde présidentielle, l’adjudant Cécé Raphaël Haba, placé en détention depuis 2010 ; l’un des responsables du camp Koundara, le sergent Paul Mansa Guilavogui (dit Sergent Paul), placé en détention depuis 2015 ; les gendarmes Mamadou Aliou Keita (placé en détention depuis 2013), Alpha Amadou Balde (placé en détention depuis 2010) et Ibrahima Camara (dit Kalonzo).

Ont été retenus contre les accusés, selon les fonctions occupées et le rôle joué dans le massacre du 28 septembre, divers chefs d’accusation de meurtre et assassinat[42], viol, violence sexuelle et attentat à la pudeur, enlèvement, séquestration et torture, coup et blessure volontaire, pillage et incendie volontaire, vol à main armée, entrave à l’arrivée des secours, abstention d’empêcher un crime, non-assistance à personne en danger et détention illégale de matériel de guerre et d’arme.

Le droit pénal guinéen, applicable à la date des faits, est issu du Code pénal de 1998[43]. Ce Code n’érigeait pas en crimes les actes de torture[44]et les crimes contre l’humanité[45], si bien que les faits du massacre du 28 septembre 2009 sont poursuivis sous la qualification de crimes et délits de droit commun[46].

Certes, la conclusion de l’enquête a constitué une avancée importante, surtout si on la compare à d’autres procédures – anciennes ou en cours[47]– portant sur des violations des droits humains commises dans le pays. Toutefois, l’ouverture possible du procès a été longtemps reportée par des recours formés par certains accusés et certaines parties civiles contre l’ordonnance des juges d’instruction du 29 décembre 2017. Par son arrêt du 18 mai 2018, la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel de Conakry a rejeté ces recours[48]. Des pourvois en cassation ont été formés. Au dernier échelon, la Cour suprême a, dans son arrêt du 25 juin 2019[49], confirmé la totalité de l’instruction, mettant fin à l’ultime obstacle procédural à la tenue du procès.

Par arrêté du 9 avril 2018[50], le ministre guinéen de la Justice, Maître Cheik Sako[51], a créé un comité de pilotage pour l’organisation du procès du massacre du 28 septembre 2009. La mission de ce comité consiste notamment en « l’organisation du procès ; la recherche des ressources financières pour la facilitation de la tenue du procès ; la mise en place d’un dispositif de sécurité pour assurer la protection des magistrats, des parties, des témoins ainsi que de tous les intervenants au procès ; la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation des victimes ; la recherche des fonds pour l’indemnisation des victimes ; l’enregistrement des audiences ; la facilitation de l’accès du procès aux parties, à la presse ainsi qu’aux observateurs de la communauté internationale et de la société civile » (art. 3 de l’arrêté).

Présidé par le ministre de la Justice, ce comité de 13 personnes est composé par des représentants des autorités nationales et de la société civile, ainsi que des représentants de partenaires internationaux comprenant les États-Unis, l’Union européenne et les Nations Unies. Entre avril 2018 et décembre 2019, le comité de pilotage a tenu sept réunions, au cours desquelles il a été décidé que le procès se déroulerait à Conakry, sur le site de la Cour d’appel. Le comité a également établi un budget prévisionnel d’environ 7,5 millions d’euros, qui est mobilisé aux trois-quarts par la Guinée, le reste étant à la charge des États-Unis et de l’Union européenne. La France, en particulier, finance la formation en renforcement linguistique des magistrats (siège et parquet) et des greffiers qui composeront le tribunal criminel chargé de juger les treize accusés, ainsi que des formations en droit pénal, procédure pénale et en techniques de gestion des procès difficiles. Ces formations sont mises en œuvre en 2019 et 2020 par l’Institut français et l’École nationale de la magistrature.

 

III. UN PROCÈS INCERTAIN AUX RÉSULTATS INCONNUS

Plusieurs fois annoncé et plusieurs fois reporté, le procès national à résonnance internationale pourra-t-il avoir lieu ?

Oui, l’assurent l’actuel ministre de la Justice, Mohamed Lamine Fofana, nommé en mai 2019, et l’actuel président de la République, Alpha Condé. Si tel est le cas, dans quel délai ? Le 29 octobre 2019, Mohamed Lamine Fofana a déclaré, à l’occasion de la visite en Guinée d’une équipe du Bureau du Procureur de la CPI, que le procès se tiendrait au plus tard à partir de juin 2020[52]. Ce calendrier sera-t-il tenable, alors que non seulement deux scrutins nationaux sont prévus en 2020, avec des élections législatives et présidentielles, mais qu’un changement de Constitution est envisagé, avec un référendum[53]? Les différents scrutins qui s’annoncent sont-ils compatibles avec le retour en Guinée du capitaine Moussa Dadis Camara, en vue de sa comparution devant le tribunal ? Vivant depuis 2010 en exil au Burkina Faso mais se déclarant prêt à revenir en Guinée pour s’expliquer dans le cadre d’un procès, son éventuel retour constituerait inévitablement un casse-tête politique et sécuritaire. Issu de la Guinée forestière, et toujours capable de mobiliser une partie de l’électorat auprès duquel il continue de bénéficier d’un certain soutien, la perspective de son retour pourrait dissuader le président Alpha Condé – qui envisagerait de se représenter – de permettre la tenue rapide d’un procès. Dans le même temps, la tenue d’un procès sans le capitaine Moussa Dadis Camara, président et chef de la junte lors des évènements du 28 septembre 2009, perdrait une partie de son sens.

Outre ces possibles obstacles politiques, des incertitudes techniques persistent. Comme le souligne le Bureau du Procureur de la CPI[54], certains préparatifs n’ont pas encore été finalisés, notamment la construction ou la rénovation de locaux adaptés destinés à accueillir le procès – locaux situés sur le terrain de la Cour d’appel de Conakry –, leur équipement et la mise en place de garanties entourant la tenue du procès : plan de sécurité, participation et protection des victimes et des témoins, activités de communication. Ce n’est que le 13 janvier 2020 que le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, a posé, en présence de la presse, la première pierre du futur bâtiment destiné à accueillir le procès[55]. Les travaux devraient durer au moins dix mois. Le bâtiment devra ensuite être entièrement équipé pour pouvoir abriter les débats. Des délais supplémentaires qui rendent vraisemblable la tenue du procès au mieux au cours de l’année 2021, soit après les échéances électorales …

Par ailleurs, si ce procès hors-norme est finalement organisé, la question de la capacité des juges guinéens à le tenir se pose. Ce procès pourra-t-il se tenir dans le respect de normes et standards acceptables, tout en établissant la vérité judiciaire sur le massacre du 28 septembre 2009 ? Les juges guinéens auront-ils les aptitudes professionnelles nécessaires pour traiter de faits pouvant relever de la compétence de la CPI et se situant parmi les plus graves sur l’échelle des infractions internationales ? Certes, la magistrature guinéenne a été renforcée depuis 2011 (statut, recrutement, formation, rémunération, équipements, locaux), notamment grâce aux réformes conduite par le ministre Maître Cheik Sako, mais ses capacités demeurent limitées. Depuis sa création en 1958, elle n’a jamais été réellement indépendante du pouvoir politique et ses pratiques demeurent marquées par la corruption et les conflits d’intérêt. Elle n’a pas non plus l’expérience de procès emblématiques réussis dans un contexte national d’impunité généralisée des forces de sécurité[56].

La clôture officielle de l’enquête nationale a abouti à la mise en accusation de treize personnes renvoyées en procès. Pour autant, le tribunal criminel pourra-t-il faire face, en toute indépendance, à ces treize accusés ? Nombre d’entre eux ont exercé de hautes fonctions au sein de l’armée alors au pouvoir et sont perçus comme exerçant encore une capacité d’influence, réelle ou supposée[57]. Deux des accusés (Tiégboro et Pivi), promus au grade de colonel, sont toujours en poste dans l’équipe de l’actuel président Alpha Condé, le premier comme secrétaire général à la présidence chargé des services spéciaux, de la lutte contre le trafic de drogue et du crime organisé et le second au sein de l’équipe chargée de la sécurité du président. Six des treize prévenus continuent à être détenus à la maison d’arrêt de Conakry, ce qui questionne le respect des délais légaux de leur détention. Les autres prévenus se présenteront-ils volontairement devant les juges ?

Le tribunal criminel pourra-t-il entendre plus de 450 victimes constituées parties civiles et leur donner la place nécessaire dans le procès ? Ces victimes, organisées au sein de l’Association des Victimes, Parents et Ami-e-s du 28 Septembre 2009 (AVIPA), et soutenues par l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH) et la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH)[58], réclament la vérité, mais aussi la sécurité et une juste indemnisation. Comment prendra-t-il en compte les atteintes et les craintes des victimes de violences sexuelles ? En cas de condamnation, quels seront les mécanismes prévus pour assurer l’indemnisation des victimes ? Ces dernières seront-elles indemnisées uniquement par les condamnés ou un Fonds d’indemnisation sera-t-il créé et abondé par l’Etat guinéen et certains acteurs de communauté internationale ?[59]Nul n’est, à l’heure actuelle, en mesure de répondre à l’ensemble de ces questions.

Enfin, sur le fond, le procès permettra-t-il réellement de cerner les responsabilités des accusés et retenir le mode de responsabilité adapté ? La complicité – par provocations et fournitures d’instructions[60]– des hauts cadres de la junte sera-t-elle prouvée ? L’information judiciaire a-t-elle donné lieu à des investigations suffisamment larges et approfondies pour rendre compte de l’ensemble des faits ? Il n’est un secret pour personne que les juges d’instruction n’ont pas exploité nombre de données contenues dans le rapport de la Commission d’enquête internationale et dans ses annexes[61]. Pas plus qu’ils n’ont exploité les informations contenues dans les rapports réalisés par les ONG internationales et les nombreuses photos et films / vidéos réalisés lors du massacre du 28 septembre.

Ainsi, l’information judiciaire n’a pas permis de retrouver les corps de la centaine de personnes disparues lors du massacre du 28 septembre et aucune des fosses communes suspectées d’avoir été utilisées par les forces de sécurité n’a été fouillée[62]. Elle n’a pas réussi à établir la composition exacte des unités des forces de sécurité (bérets rouges, gendarmes, policiers) ayant participé au massacre du 28 septembre, pas plus que le rôle précis de chaque unité et leur chaine de commandement. Elle n’a pas non plus réussi à établir la composition des milices civiles[63]présentes aux côtés de forces officielles de sécurité et le rôle joué par ces milices dans le massacre[64]. Si elle a permis d’établir la réalité des viols et violences sexuelles, elle n’a pas pu identifier la plupart des auteurs de ces faits[65]. Il est vrai que la recherche des responsabilités n’a pas été facilitée par le décès de certains des protagonistes, qui auraient pu fournir des informations précieuses : le capitaine Joseph Loua (dit Makambo)[66], le sergent-chef Mohamed II Camara (alias Bégré)[67], et le sous-officier Sankara Kaba[68]. Et surtout, les juges d’instruction n’ont guère été épaulés par des officiers de police judiciaire bien formés et efficaces[69], tandis que ni les forces de sécurité (armée, gendarmerie, police), ni l’administration n’ont accepté de leur ouvrir leurs portes et leurs archives.

Cependant, sans que l’ordonnance du 29 décembre 2017 ne l’explique, les juges d’instruction ne se sont guère intéressés à l’éventuelle responsabilité pénale de certains des hauts responsables de l’époque cités dans le rapport de la Commission d’enquête internationale ou dans ceux de Human Rights Watch[70], d’Amnesty International[71]et de la FIDH qui étaient soit en situation de responsabilité dans la gestion de la manifestation, soit présents au stade ou dans ses alentours le 28 septembre 2009 ou dans les camps militaires, où des manifestants ont été détenus et maltraités les jours suivants. Il s’agit notamment des personnes suivantes : Fodéba Isto Keira, alors ministre de la Jeunesse et des Sports[72]; Ibrahima Sory Keïta (dit Petit Sory), alors directeur du stade du 28 septembre[73]; Fatou Sikhé Camara, alors directrice de l’hôpital Donka[74]; le colonel Sambarou Diamakan, alors commandant du camp Alpha Yaya Diallo[75]; le colonel Oumar Sanoh, alors chef d’état-major général des armées[76]; le capitaine Sory Condé, alors membre du secrétariat d’État chargé de la lutte contre la drogue et du grand banditisme et présent aux côtés du commandant Tiégboro le jour des faits[77]; le capitaine Ibrahima Sanoh, alors en charge de la planification au camp Alpha Yaya Diallo et présent au camp le 28 septembre 2009 et les jours suivants ; le capitaine Siba Théodore Kourouma, attaché de cabinet et neveu du capitaine Moussa Dadis Camara[78]; le général Sékouba Konaté, alors ministre de la Défense et numéro 3 du CNDD[79]; Valentin Haba, alors directeur national des services de police[80]; le colonel Ansoumane Camara, (dit Baffoé), alors commandant de la CMIS[81]; le commandant Ibrahima Balde, alors chef d’état-major de la gendarmerie nationale[82]. Les choix effectués – parfois volontaires, parfois imposés par le manque de moyens ou les difficultés d’enquêter – par les juges d’instruction de retenir la responsabilité des uns et d’écarter celle des autres – sans argumentation dans l’ordonnance du 29 décembre 2017 – seront surement âprement discutés par les parties lors du procès.

Nul ne sait encore si la Guinée pourra devenir un exemple de complémentarité « positive » ou « proactive »[83]souhaitée par le Bureau du Procureur[84]. Selon cette optique, la CPI n’intervient pas seulement en dernier recours lorsque l’État ne veut pas ou ne peut pas poursuivre, mais elle encourage et assiste les juridictions nationales à juger les responsables allégués de crimes internationaux. Dans un tel cas de figure, la nature de la collaboration de la CPI avec l’État recouvre des modalités diverses : « le Bureau peut rendre compte du suivi de la situation, envoyer des missions sur place, demander des informations sur la procédure, tenir des consultations avec les autorités nationales de même qu’avec des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, participer à des activités de sensibilisation sur la compétence de la Cour, faire profiter de son expérience et des meilleures pratiques à suivre pour appuyer les stratégies de ces pays en matière d’enquêtes et de poursuites, et aider les parties prenantes à repérer l’impunité latente et les possibilité d’y remédier »[85]. Cette collaboration multiforme de la CPI peut même avoir un effet d’impulsion de réformes au niveau de la police et de la justice nationales.

Dans le cas de la Guinée, si procès il y a, reste la question essentielle de savoir s’il permettra de marquer une rupture, de répondre aux attentes d’une population en soif de justice et de poser des jalons permettant d’ancrer l’État de droit dans le pays ou, au contraire, s’il ne sera qu’un nouvel exercice raté dans la longue histoire de l’impunité dans le pays, impunité vectrice de nouvelles violations de droits humains. Une issue positive implique que les autorités guinéennes parviennent à faire juger les principaux responsables des crimes commis le 28 septembre 2009 et dans les jours suivants selon les normes de procédures et standards internationaux. Une issue négative – absence de procès ou procès sans la présence du capitaine Moussa Dadis Camara ou encore procès n’ayant pas permis d’établir les principales responsabilités pénales – pourrait conduire le Bureau du Procureur à engager des poursuites devant la CPI. Une hypothèse qui ne constitue pas non plus une garantie absolue de réussite, compte tenu des résultats aléatoires des enquêtes conduites par le Bureau du Procureur de la CPI, que les affaires Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo ont mis en lumière.

[1]Le leader du CNDD, le capitaineMoussa Dadis Camara,a pris le pouvoiren Guinée le 23 décembre 2008 à la suite d’un coup d’État à la mort du présidentLansana Conté, qui dirigeait le pays depuis 1984. Le 25 décembre, le Premier ministreAhmed Tidiane Souaréet la majeure partie du gouvernement ont fait allégeance à la junte et, le 30 décembre, le CNDD a nomméKabinet Komaraau poste de Premier ministre. Victime d’une tentative d’assassinat le 3 décembre 2009, le capitaine Moussa Dadis Camara a dû se retirer et laisser la présidence de la République par intérim au généralSékoubaKonaté, qui a mené la transition jusqu’à l’élection puis l’investiture du présidentAlpha Condé, le 21 décembre 2010.

[2]Pour un récit heure par heure de cette journée tragique du 28 septembre 2009, voir « Le film du carnage de Conakry »,Jeune Afrique, 6 octobre 2009.

[3]Le stade en question est dénommé le « stade du 28 septembre », en référence au 28 septembre 1958, date du référendum organisé en Guinée concernant la création d’une « communauté » franco-africaine proposée par le général de Gaulle et dont le résultat négatif a donné lieu à l’indépendance immédiate du pays, proclamée officiellement le 2 octobre 1958.

[4]CSNU, S/PRST/2009/27, 28 octobre 2009, respectivement §§ 1 et 3.

[5]S/2009/556.

[6]Rapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des événements du 28 septembre 2009 en Guinée, CSNU, S/2009/693, 18 décembre 2009.

[7]Ibid., p. 2.

[8]Ibid., p. 3.

[9]Ibid., § 215, p. 52.

[10]Ibid., § 38, p. 13 et § 215, p. 52. Il avait une autorité de fait sur la garde présidentielle (les « bérets rouges ») et rendait compte directement au capitaine Moussa Dadis Camara.

[11]Ibid., § 35, p. 12 et § 215, p. 52. Il avait autorité sur au moins 200 gendarmes et sur quelques policiers spécialisés.

[12]Ibid., §§ 243 à 348, pp. 58 et 59. Il avait autorité sur quatre bataillons de l’armée formés de troupes spéciales.

[13]Ibid., § 243, p. 58 et §§ 249 à 251, p. 59. Il avait autorité sur les deux hôpitaux publics de la ville, Ignace Deen et Donka.

[14]Ibid., § 64, p. 19, § 231, p. 56 et § 253, p. 60. Il était considéré comme l’adjoint du lieutenant Toumba et avait donc autorité, sous le contrôle de ce dernier, sur la garde présidentielle.

[15]Ibid., § 64, p. 19, § 231, p. 56 et § 253, p. 60. Pour lui et le lieutenant Marcel Guilavogui, le rapport de la Commission d’enquête internationale s’interrogeait sur leur possible responsabilité pénale, « en particulier en relation avec leur implication directe dans les événements où ils ont été identifiés personnellement par de nombreux témoins ».

[16]Ibid., § 32, p. 12 et § 253, p. 60. Il avait autorité sur les forces armées et sur la gendarmerie nationale en sa qualité de ministre de la Défense nationale. Le rapport de la Commission d’enquête internationale précisait, en outre, qu’une enquête approfondie devrait être conduite pour déterminer la responsabilité éventuelle des « cadres de l’armée, y compris ceux de la Gendarmerie nationale, et les responsables des camps militaires, en particulier en ce qui concerne l’implication des gendarmes dans les événements et l’implication des gendarmes et des militaires dans le déplacement des cadavres et dans les autres événements qui ont eu lieu dans les camps Samory Touré et Koundara ».

[17]Ibid., § 30, p. 11 et § 253, p. 60. Il avait autorité sur les forces de la police nationale et notamment sur les commissariats de Conakry et sur la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS). Le rapport de la Commission d’enquête internationale précisait, au surplus, qu’une enquête approfondie devrait être conduite pour déterminer la responsabilité éventuelle des « cadres de la Police nationale, en particulier en ce qui concerne l’implication de la police dans les événements ».

[18]Ibid., § 253, p. 60. Pour chacune de ces deux personnes, la Commission d’enquête internationale s’interrogeait sur son éventuelle responsabilité pénale, « en particulier en relation avec le nettoyage du stade et la destruction subséquente des preuves ».

[19]Ibid., § 253, p. 60. La Commission d’enquête internationale s’interrogeait sur son éventuelle responsabilité pénale, « en particulier en relation avec la prise de contrôle militaire de son hôpital et les diverses dissimulations des faits médicaux ».

[20]Ibid., § 253, p. 60.

[21]En vertu de l’art. 15 du Statut de Rome.

[22]Le Bureau du Procureur, CPI, « Le Procureur de la CPI confirme que la situation en Guinée fait l’objet d’un examen préliminaire », déclaration du 14 octobre 2009.

[23]En vertu de l’art. 12 du Statut de Rome. La CPI a donc compétence pour juger les crimes visés par le Statut de Rome qui ont été commis sur le territoire de la Guinée ou par ses ressortissants depuis le 1eroctobre 2003.

[24]Le Bureau du Procureur, CPI,Rapport sur les activités du Bureau du Procureur en matière d’examens préliminaires, 13 décembre 2011, § 113.

[25]Le Bureau du Procureur, CPI,Rapport sur les activités menées en 2018 en matière d’examen préliminaire, 5 décembre 2018, § 171.

[26]Sur cette notion, voir notamment : Kristýna Urbanová, « The principle of complementarity in practice »,inPavel Šturma (ed.),The Rome Statute of the ICC at its twentieth anniversary: achievements and perspectives, Leiden/Boston, Brill/Nijhoff, 2019, pp. 163-176 ; Mauro Politi and Federica Gioia (eds.),The International Criminal Court and national jurisdictions, Aldershot, Ashgate, 2008 ; Éric Canal-Forgues et Mireille Delmas-Marty (dir.),Quelle(s) complémentarité(s) en droit international pénal ?, Paris, Pedone, 2017 ; Vincent Chetail, « Tous les chemins ne mènent pas à Rome : la concurrence de procédures dans le contentieux international pénal à l’épreuve du principe de complémentarité »,inYann Kerbrat (dir.),Forum shopping et concurrence des procédures contentieuses internationales, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 127-181 ; Christine A.E. Bakker, « Le principe de complémentarité et les ‘auto-saisines’ : un regard critique sur la pratique de la Cour pénale internationale »,Revue générale de droit international public, vol. 112, 2008, pp. 361-414.

[27]Al. 10 du préambule et art. 1erdu Statut de Rome.

[28]Pour une analyse de cet article, voir notamment Abdoul Aziz Mbaye et Sam Sasan Shoamanesh, « Article 17 »,inJulian Fernandez, Xavier Pacreau et Muriel Ubéda-Saillard (dir.),Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, tome 2, Paris, Pedone, 2019,pp. 867-894.

[29]Maxime C.-Tousignant, « L’instrumentalisation du principe de complémentarité de la CPI : une question d’actualité »,Revue québécoise de droit international, 2012, vol. 25, p. 73.

[30]Ibid., pp. 73-99.

[31]Voir Le Bureau du Procureur, CPI,Rapport sur les activités menées en 2018 en matière d’examen préliminaire,op. cit., §§ 125 et suivants.

[32]Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour, Doc. NU, S/2005.60 (2005), § 268.

[33]Le Bureau du Procureur, CPI,Rapport sur les activités menées en 2018 en matière d’examen préliminaire,op. cit., § 172.

[34]Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à l’issue de la mission de son Bureau à Conakry (Guinée), 11 novembre 2019.

[35]Entre 2010 et 2011, les cabinets des trois juges d’instruction étaient situés à Kaloum (Conakry) dans la villa 31, qui abritait également la Force spéciale de sécurisation du processus électoral (FOSSEPEL), une force composée de militaires. Cette localisation n’était pas de nature à mettre en confiance les victimes de faits commis par les forces de sécurité. En outre, à cette période, les convocations se faisaient par voie administrative et non par voie d’actes délivrés par huissier de justice. Au cours de l’année 2011, la situation s’est normalisée, les magistrats instructeurs ayant pu s’installer dans les locaux de la Cour d’appel de Conakry.

[36]Les juges d’instruction ont bénéficié d’un appui logistique limité, à l’exception des dons matériels et informatiques offerts par les Nations Unies. Par ailleurs, dans le cadre d’un Communiqué conjoint signé entre les Nations Unies et le Gouvernement guinéen en novembre 2011, une équipe d’experts des Nations Unies sur l’Etat de droit / violences sexuelles dans les conflits, a fourni, entre 2012 et 2017, un soutien technique aux trois juges d’instruction pour enquêter et poursuivre les crimes perpétrés lors des évènements du 28 septembre 2009.

[37]En personnel d’appui (greffe et personnel administratif), en fournitures, en véhicule, en expertise etc. Sur ces aspects, voir Human Rights Watch,En attente de justice, New York, Rapport du 5 décembre 2012.

[38]Voir Ghislain Poissonnier, « La justice guinéenne pourra-t-elle juger les responsables du massacre du 28 septembre 2009 »,Dalloz, 2019, p. 1770.

[39]Tribunal de première instance de Dixinn, cabinet du pool des juges d’instruction, ordonnance n° 07/17, 29 décembre 2017.

[40]En exil au Burkina Faso depuis 2010, il a été inculpé par les juges d’instruction le 8 juillet 2015 à Ouagadougou.

[41]Il lui est notamment reproché d’avoir empêché aux nombreuses victimes qui affluaient au Centre hospitalier de Donka après avoir été blessées au stade, d’être prises en charge par les médecins, et d’avoir facilité la prise de contrôle des hôpitaux par les miliaires, où les crimes se sont poursuivis.

[42] Onze des treize prévenus sont renvoyés des chefs de meurtre et assassinat, soit en qualité de coauteur, soit en qualité de complice.

[43]La loi n° 2016/059 du 26 octobre 2016 portant Code pénal a abrogé et remplacé la loi n° 98/036 du 31 décembre 1998 portant Code pénal.

[44]La Guinée a pourtant ratifié le 10 octobre 1989 la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

[45]Les art. 194 et 195 du Code pénal de Guinée de 2016 définissent et répriment les crimes contre l’humanité. Ils transposent en droit pénal guinéen le Statut de Rome (en vigueur en Guinée depuis 2003), dont l’art. 7 qui indique que les crimes contre l’humanité sont « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».

[46]Voir Cour suprême, ch. pénale, arrêt n° 06 du 25 juin 2019 : « Considérant que les crimes commis au stade du 28 septembre en 2009 ont été commis sous l’empire de la loi L 98/036 et 037 du 31 décembre 1998, toutes deux portant Code pénal et Code de procédure pénale en République de Guinée ; mais considérant que les demandeurs quant à eux reprochent à l’arrêt attaqué, la violation de la loi L/2016/059/AN portant Code pénal en ses articles 194 et 195 ; qu’au moment des faits, ladite loi n’existait nulle part dans la législation guinéenne ; d’où il suit que le moyen sera rejeté ».

[47]Par exemple, les informations judiciaires ouvertes sur la répression par les forces de sécurité des manifestations de janvier et février 2007 ayant fait plusieurs centaines de morts dans les principales villes du pays n’ont toujours donné lieu à aucune inculpation, malgré le dépôt de plusieurs plaintes (voir FIDH, « 10 ans après, les victimes des répressions de janvier et février 2007 demandent justice», communiqué du 24 janvier 2017). Par ailleurs, le procès de l’affaire d’Hamdallaye portant sur des actes de torture commis par des gendarmes sur une quinzaine de personnes en octobre 2010, commencé fin 2017, n’est actuellement toujours pas achevé (voir FIDH, « Guinée : le procès des tortionnaires de la gendarmerie d’Hamdallaye fixé au 13 novembre 2017 », communiqué du 23 octobre 2017).

[48]Cour d’appel de Conakry, ch. de contrôle de l’instruction, arrêt n° 23 du 18 mai 2018.

[49]Cour suprême, ch. pénale, arrêt n° 06 du 25 juin 2019.

[50]Ministère de la Justice, arrêté du 9 avril 2018 n° 2018/3173/MJ/CAB portant création, organisation et fonctionnement du Comité de pilotage du procès des évènements du 28 septembre 2009.

[51]Avant son entrée au gouvernement en 2014, il exerçait la profession d’avocat au barreau de Montpellier (France).

[52]Déclaration du Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à l’issue de la mission de son Bureau à Conakry (Guinée), 11 novembre 2019 : « je prends acte de la déclaration que le Ministre guinéen de la Justice, M. Mohamed Lamine Fofana, a faite à l’occasion de la visite de mon Bureau et selon laquelle le procès devrait s’ouvrir au plus tard en juin 2020 ».

[53]Voir notamment Christophe Châtelot, « En Guinée, Alpha Condé a confirmé son intention de changer la Constitution »,Le Monde, 20 décembre 2019.

[54]Le Bureau du Procureur, CPI,Report on Preliminary Examination Activities(en anglais seulement), 5 décembre 2019.

[55]Tokpanan Doré, « Procès du 28 septembre : le Premier ministre pose la première pierre du tribunal criminel spécial », Guinée news, 13 janvier 2020.

[56]Voir Amnesty International,Guinée.Les voyants au rouge pour les droits humains à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, Londres, Rapport du 13 novembre 2019. Le rapport évoque « au moins 70 manifestants et passants tués depuis janvier 2015 », sans enquête crédible et condamnation des auteurs. Voir aussi, la déclaration commune Amnesty International et ACAT,Guinée : l’impunité pour l’usage excessif de la force continue, 11 juin 2013. La déclaration évoque une cinquantaine de morts lors des manifestations de l’année 2013, sans enquête ni condamnation.

[57]À cet égard, il convient de noter, en effet, les risques d’influence, réels ou potentiels, par certains inculpés qui occupent toujours des postes au sein de l’administration guinéenne.

[58]Ces deux organisations se sont constituées parties civiles aux côtés des victimes dès mai 2010.

[59]Voir sur ces points, FIDH,Guinée : trois priorités pour combattre l’impunité et renforcer l’Etat de droit, Paris, Rapport du 20 mars 2017.

[60]Art. 51 et 54 du Code pénal de 1998 et art. 19 et 20 du Code pénal de 2016. L’art. 28 du Statut de Rome, relatif à la responsabilité du chef militaire ou du chef hiérarchique et qui permet d’établir cette responsabilité s’il est prouvé que ce chef savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que les forces dont il exerçait le contrôle commettaient ou allaient commettre des crimes, ne semble pas pouvoir être invoqué dans cette affaire, car il n’avait pas été transposé en droit guinéen à la date des faits.

[61]La Commission a reçu un nombre important de documents écrits (documents et textes officiels, articles de journaux) et des documents audiovisuels (photos et films) enregistrés par des victimes et témoins. VoirRapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des évènements du 28 septembre 2009 en Guinée, CSNU, S/2009/693, 18 décembre 2009, § 21, p. 9.

[62]Carol Valade, « ‘Disparus’, les oubliés du 28 septembre 2009 en Guinée »,RFI, 28 septembre 2019.

[63]Elles auraient été composées de jeunes issus de la Guinée forestière et d’ex-rebelles libériens et sierra-léonais.

[64]Pour des éléments d’information sur ces milices, voirRapport de la Commission d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les circonstances des évènements du 28 septembre 2009 en Guinée, CSNU, S/2009/693, 18 décembre 2009, § 206, p. 50 ; « Le massacre du 28 septembre raconté par une recrue de l’ancienne junte – témoignage anonyme d’un ancien combattant du camp de Kaleah », in Mémoires collectives, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée, Gand, FIDH, 2018, pp. 311-312.

[65]Et ce en dépit des préoccupations émises par les Nations Unies (Voir « La Représentante spéciale de l’ONU Pramila Patten appelle à la mise en place, dans les plus brefs délais, du Comité de Pilotage sur l’organisation des procès pour les crimes du 28 septembre 2009 en Guinée », communiqué du 3 avril 2018, New York). C’est donc uniquement au titre de la complicité que certains prévenus sont renvoyés devant le tribunal criminel de ces chefs d’infractions à caractère sexuel.

[66]Chargé des opérations au sein de la garde présidentielle et proche du capitaine Moussa Dadis Camara, il aurait joué un rôle dans la répression de la manifestation du stade. Il a été tué le 3 décembre 2009 par le lieutenant Toumba lors de la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara.

[67]Commandant du camp Koundara et proche du lieutenant Toumba, il serait une des personnes ayant enlevé, torturé et séquestré des victimes au camp Koundara dans les jours ayant suivi le 28 septembre 2009. Il a été tué en décembre 2009 lors de sa fuite vers la Sierra Léone après la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara.

[68]Chauffeur du capitaine Moussa Dadis Camara, il aurait été vu au stade lors de la répression de la manifestation, notamment tirant des coups de feu sur les manifestants. Il a été tué le 3 décembre 2009 par le lieutenant Toumba lors de la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara.

[69]Les juges d’instruction n’ont pas bénéficié d’une équipe d’officiers de police judiciaire dédiée spécifiquement à cette affaire hors-norme. La police judiciaire guinéenne est faible tant en expérience qu’en compétences, moyens et équipements. À l’image de la magistrature, en dépit de progrès substantiels depuis 2011, elle reste connue pour ses conflits d’intérêt et ses pratiques de corruption et n’a jamais vraiment fait la preuve de sa capacité à enquêter sur des violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État.

[70]Human Rights Watch,Un lundi sanglant:le massacre et les viols commis par les forces de sécurité en Guinée le 28 septembre 2009,New York,Rapport du 17 décembre 2009.

[71]Amnesty International,Guinée : « vous ne voulez pas des militaires, on va vous donner une leçon », les évènements du 28 septembre 2009 au stade de Conakry,Londres,Rapport du 24 février 2010.

[72]Il occupe depuis 2016 les fonctions de secrétaire général du ministère des Sports, de la Culture et du Patrimoine historique.

[73]Il occupe actuellement toujours les mêmes fonctions.

[74]Elle occupe actuellement toujours les mêmes fonctions.

[75]Il est décédé à la fin de l’année 2019 en Guinée.

[76]Promu général, il occupe actuellement les fonctions de conseiller du ministre de la Défense.

[77]Il occupe actuellement un poste au sein du haut-commandement de la gendarmerie nationale.

[78]Il aurait accompagné le lieutenant Toumba et le commandant Tiégboro lors de l’acheminement des militaires et des miliciens au stade. Il aurait été vu en train de menacer et frapper des blessés dans les jours qui suivent et serait intervenu aussi à la clinique Ambroise Paré pour faire évacuer les blessés vers le camp Alpha Yaya Diallo. Il est mis en cause dans plusieurs rapports dont celui de la FIDH,Guinée-Conakry, 1 an après le massacre du 28 septembre 2009, Nouveau pouvoir, espoir de justice ?Paris, Rapport de septembre 2010. Il serait actuellement toujours en poste au sein de l’armée guinéenne, mais sans affectation et se rendrait régulièrement à Ouagadougou pour visiter le capitaine Moussa Dadis Camara.

[79]Il réside en France depuis 2012.

[80]Il occupe toujours actuellement un poste de directeur au ministère de la Sécurité et de la Protection civile.

[81]Il est mis en cause dans le rapport de Human Rights Watch,Un lundi sanglant:le massacre et les viols commis par les forces de sécurité en Guinée le 28 septembre 2009,New York,Rapport du 17 décembre 2009. Promu général, il occupe actuellement les fonctions de directeur général de la police nationale.

[82]Promu général, il occupe actuellement les fonctions de haut-commandant de la gendarmerie nationale.

[83]Selon l’art. 93, § 10, a) du Statut de la CPI : « Si elle reçoit une demande en ce sens, la Cour peut coopérer avec l’État Partie qui mène une enquête ou un procès concernant un comportement qui constitue un crime relevant de la compétence de la Cour ou un crime grave au regard du droit interne de cet État, et prêter assistance à cet État ». Sur ce concept de complémentarité positive ou proactive, voir notamment William W. Burke-White, « Proactive complementarity: the International Criminal Court and national courts in the Rome system of international justice »,Harvard international law journal, vol. 49, 2008, pp. 53-108.

[84]Voir Le Bureau du Procureur, CPI, « Document de politique générale relatif aux examens préliminaires », novembre 2013 : « Si le Bureau a identifié des affaires relevant potentiellement de la compétence de la Cour, il cherchera à encourager, autant que possible, la mise en œuvre par les États concernés à l’échelle nationale de véritables enquêtes et poursuites sur les crimes en cause » (§ 101).

[85]Ibid., § 102. Il est précisé, toutefois, que : « Tout échange entre le Bureau et les autorités nationales ne s’aurait s’interpréter comme une validation des procédures engagées par ces dernières, qui feront l’objet d’un examen indépendant du Bureau sur la base de l’ensemble des facteurs et des informations pertinentes » (§ 102).

 

RDLF 2020 chron. n°03
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