Mon Général, la Guinée est bel et bien un pays multiculturel !
Il y a une vidéo qui circule actuellement sur les réseaux sociaux dans laquelle le Général Aboubacar Sidiki Camara, également connu sous le nom d’Idi Amin, parle des composantes ethniques et de l’histoire du peuplement de la Guinée.
J’espère que sa connaissance militaire est plus solide que sa connaissance apparemment très sélective de l’histoire et de la sociologie des peuples qui habitent ce pays créé de toutes pièces et baptisé la Guinée par les colons français.
Son discours est truffé d’affirmations erronées qui n’ont aucun fondement historique. J’espère d’ailleurs que ce n’est que par ignorance qu’il a dit ce qu’il a dit et qu’il ne l’a pas fait sciemment dans le but d’exacerber la division et avancer un agenda hégémoniste des nostalgiques d’un passé qui n’existe que dans les fables.
Avant de commencer, faudrait-il d’abord rappeler au Général que l’Afrique n’a jamais été appelée Kemet. Ce nom fut plutôt utilisé par les Egyptiens pour désigner leur pays (Egypte antique). Kemet est un mot qui signifie « Terre noire ». Peut-être que le Général avait-il voulu dire Alkebulan ? Malheureusement, on ne peut s’en tenir qu’à ce qu’il a dit.
Par ailleurs, l’Afrique de l’Ouest n’a jamais été historiquement désignée dans son entièreté sous l’appellation du Manding comme il voudrait le faire croire à son audience. Il est bien vrai que l’empire du Mali avait existé sur une large partie de l’Afrique Occidentale. Cependant, à son apogée, il ne s’étendait que du Sénégal au Mali et à l’extrême sud-ouest du Niger. D’ailleurs, l’empire Sonraï qui l’avait succédé était encore plus vaste et s’étendait jusqu’au nord du Nigeria. Pourquoi alors cette région ouest-africaine ne fut-elle pas appelée Sonraï ? Il aurait été plus exact de dire qu’à un moment donné, cette partie de l’Afrique subsaharienne fut appelée Bilad Es Sudan par les Arabes.
Ceci n’était que l’avant-gout du menu qu’avait servi le Général à son auditoire. Il y a pire.
En effet, selon le Général, la Guinée ne serait pas « multicolore » (multiethnique) ou multiculturelle car selon lui, elle ne serait constituée que de seulement deux composantes (certainement les Mandingues et les Peuls), une qui en est autochtone et l’autre allogène. Il assimile ainsi tous les autres peuples de la Guinée aux Mandingues ôtant ainsi aux Baga, Kissie ou Sussu toute existence culturelle indépendante.
Quant aux Peuls, il affirme que ceux-ci seraient venus du Macina après le déclin de cet empire pour occuper le « Fouta des Djallonkes ». Il est important de rappeler au Général, que le royaume Théocratique du Fouta Jaloo est antérieur à la création de l’Empire Peul du Macina, et contrairement à ce qu’il affirme, sa capitale était Hamadallaahi et non Daar Essallam.
Toute personne ayant étudié l’histoire au collège, sait pertinemment que même si le Macina existe depuis le 14ème siècle ou bien avant, Diina Macina ou l’empire Peul du Macina n’a été fondé que près de 100 ans après la révolution Peule du Fouta Djallon. D’ailleurs, l’éclatement du Macina n’a eu lieu qu’en 1862 suite à l’invasion de ce territoire par d’autres Peuls venus de l’ouest et du sud-ouest notamment du Fouta Tooro et du Fouta Jaloo Théocratique, à la tête desquels se trouvait El Hadj Umar Taal prêchant la Tidjanniya.
Il est donc absurde d’affirmer que les Fulbe qui habitent les massifs montagneux du Fouta Djallon seraient venus du Macina après l’éclatement de ce dernier. Si on ne s’en tenait qu’à l’histoire tout en évitant les visées révisionnistes, nous savons tous que c’est à la suite de la bataille de Talansan et la victoire des Peuls que le Royaume Théocratique du Fouta fut créé en 1725. Cette révolution Peule du Fouta Jaloo est d’ailleurs l’instigatrice, sinon l’événement précurseur de toutes les autres révolutions peules de l’Afrique occidentale et centrale entre le 18ème siècle et le 19ème siècle.
Il convient donc de préciser que l’Empire du Macina fut créé en 1819, soit près de 100 ans après la fondation de l’Etat Théocratique du Fouta. Il en fut de même pour l’Empire de Sokoto, créé en 1804. Quant à la révolution Peule des Toorodbe du Fouta Tooro, celle-ci aussi a été également précédée par celle du Fouta Djallon par près d’un demi-siècle. La révolution des marabouts du Fouta Tooro n’ayant eu lieu qu’en 1776 sous le leadership de Thierno Souleymane Baal et de Abdoul Qaadr Kane, mettant ainsi fin à la dynastie des Denyankoobhe.
On ne peut par ailleurs parler des Denyankoobhe sans mentionner Tenguella Ba, celui que les historiens ont appelé à juste titre The Great Fulo. Son empire, créé au 15ème siècle s’étendait de la Guinée actuelle jusqu’en Mauritanie englobant ainsi la Gambie et le Sénégal. Sa capitale était située à Telimele, dans la Guinée actuelle. Une grande partie de son armée était constituée des Peuls issus de cette région montagneuse qui sera plus tard appelée Fouta Jaloo.
On ne peut donc, dans le but d’ostraciser les Peuls, déformer l’histoire de la Guinée. La Guinée, qui n’est qu’une création coloniale, n’existe qu’il y a à peine 130 ans. Pourtant la présence des pasteurs Peuls dans le Fouta Djallon a été notée par les historiens depuis le 10ème siècle. Djibril Tamsir Niane indique dans son livre intitulé « Histoire des Mandingues de l’Ouest » que les Peuls étaient déjà installés au Fouta Djallon au moment de la création de l’Empire du Mali par Soundiata Keita au 13ème siècle. Même s’ils y auraient trouvé d’autres peuples, leur installation au Fouta précède la migration d’autres peuples considérés plus autochtones. Ce n’est qu’après la bataille de Kirina en « 1235 » que les Sosso par exemple auraient migré vers les côtés guinéennes.
On ne peut aussi dissocier l’histoire de la migration des Peuls de celle des Kissies, qui à l’origine étaient aussi des éleveurs et qui ne se seraient adonné à l’agriculture qu’après leur descente des montagnes du Fouta vers les plaines fluviales du Sud. Kissi est aussi un mot originaire du Pular qui vient de Kisal (kissal) qui signifie délivrance ou salut, du verbe Hisugol et qui signifie être sauvé. D’ailleurs les Kissies ainsi que les Bagas parlent des langues apparentées au Pular et appartenant toutes à la même famille Atlantique qui est différente de la famille Mande à laquelle appartiennent le Maninka, le Kpelle, etc.
Enfin, il est fondamental de savoir faire la différence entre le début de la Révolution peule du Fouta Jaloo qui a commencé au début du 18ème siècle, et l’arrivée des Peuls au Fouta qui remonte à au moins huit siècles auparavant. On ne peut donc nier le statut d’autochtones aux Peuls et l’attribuer à d’autres qui auraient migré vers la Guinée des siècles après. Cette histoire d’autochtones ou d’allogènes (étrangers) n’est d’ailleurs qu’une distraction dont la visée est purement politique et hégémoniste. On ne peut construire la Nation guinéenne dans la division et l’exclusion.
La vérité est que la Guinée est une invention purement coloniale. Elle n’existe que par la volonté des colons français qui en 1895 avaient décidé de rassembler tous les territoires de nos résistants et d’en faire un seul pays.
Contrairement à ce qu’affirme le Général Aboubacar Sidiki Camara, la Guinée n’est pas sortie des entrailles d’une autre Nation singulière qui l’aurait précédée. La preuve est qu’il a fallu que les français combattent et vainquent Samory Touré, Boubacar Biro Barry, Zebela Togba, et tant d’autres qui n’appartenaient ni à un seul Etat ni à une seule Nation pour que les colons français puissent constituer la Guinée. Auparavant, celle-ci ne se limitait d’ailleurs qu’aux régions côtières et s’appelait Rivières du Sud avant l’addition du Fouta, de la Haute Guinée et de la Forêt. D’ailleurs, nous savons tous que la Haute Guinée aurait pu faire partie de la République du Mali. Nous savons aussi que si les Anglais avaient pris le dessus sur les Français, le Fouta Djallon serait devenu un Etat à part entière ou ferait aujourd’hui partie de la Sierra Leone. La Forêt aurait pu rester aussi libérienne.
Au lieu donc de s’aventurer sur ses sentiers périlleux de la division, nos dirigeants devraient plutôt s’atteler à la construction de la Nation guinéenne. Une nation ne se définit pas simplement par un pont ou par une montagne. Ce n’est pas non plus une simple addition de tribus ou de villages. Le drapeau et l’hymne ne sont que des symboles de l’État mais ils ne constituent l’essence même de la Nation.
La Nation se définit non seulement par un idéal commun, une identité commune mais aussi et surtout par un État juste et équitable envers toutes ses composantes sociales. Dans un pays où le malheur des uns fait le bonheur des autres et où le héros des uns sont les bourreaux des autres, là il n y a pas encore une Nation. La Nation, voici le chantier auquel devrait s’atteler nos dirigeants aujourd’hui.
Abdoulaye Barry
ajbarry@live.com
Renaissance Africaine
Conakry, Guinée