Sénégal: «L’avenir de nos syndicats dépendra de notre capacité à protéger le secteur informel»

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Ce 1er mai est synonyme de jour férié dans de nombreux pays du monde. Entretien avec Mody Guiro, militant sénégalais qui se bat pour le droit des travailleurs depuis près de 40 ans. Il est aujourd’hui Secrétaire général du premier syndicat du pays, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal. À neuf mois de l’élection présidentielle, alors que la crise économique est grande, tour d’horizon des luttes et des espoirs.

RFI : Mody Guiro, est-ce qu’en ce 1er-Mai, vous irez remettre votre cahier de doléances auprès du président Macky Sall ?

Mody Guiro : Effectivement, nous avons prévu de faire un rassemblement cette année place de la Nation et ensuite, l’après-midi, toutes les centrales sénégalaises se retrouveront au niveau du palais de la République pour déposer le cahier de doléances à son excellence, le président de la République Macky Sall.

Qu’allez-vous dire au chef de l’État ? Il y a quelques mois, vous avez alerté sur la situation en disant : aucun secteur n’est aujourd’hui épargné par la crise….

Notre combat, c’est la création des emplois pour les jeunes, c’est de défendre l’emploi, c’est d’améliorer les conditions de vie de l’existence, de mettre l’accent sur la protection sociale, faire en sorte que le travail du secteur informel puisse également être mieux protégé. Avec la guerre de l’Ukraine, nos pays ont été confrontés quand même à des problèmes d’approvisionnement, sur les denrées de première nécessité.

Vous avez aussi alerté sur le fait que la classe politique, les leaders politiques au Sénégal mettent plus l’accent sur la confrontation que sur le dialogue…

Nous avons assisté quand même à des échanges, à des scènes de violences même dans notre pays. C’est pourquoi nous avons alerté qu’il ne faut pas dépasser la ligne rouge. Il faudrait que les politiques comprennent bien que nous avons d’autres priorités. La violence n’a pas sa place.

Vous attendez justement, en vue de la prochaine campagne électorale pour la présidentielle, que les futurs candidats mettent l’accent justement sur le social, sur l’économie, sur le travail ?

Absolument. Je pense que nous sommes des syndicalistes, nous sommes des travailleurs. Nous sommes des citoyens, tout court. Notre préoccupation, c’est comment améliorer le sort des Sénégalais. Autant de difficultés sont là. Donc, voilà ce que nous attendons, ce ne sont pas des discours. Ce que nous voulons, c’est du concret. Et c’est le message que nous disons à tout le monde.

Au Sénégal, le salaire minimum est passé à 58 900 francs CFA par mois en 2021, 90 euros. Est-ce que ce salaire minimum est aujourd’hui appliqué par les entrepreneurs ?

Certes, l’État a fait des avancées significatives, a fait beaucoup d’efforts en améliorant les salaires des fonctionnaires chez nous. Nous avons salué cela. Mais parallèlement, nous avons dit également que le secteur privé broie du noir, parce que depuis lors, la crise s’abat sur l’ensemble des travailleurs de notre pays et donc, il fallait également y réfléchir. Nous avons engagé des négociations avec le patronat.

Plus de deux Sénégalais sur trois travaillent pour le secteur informel. © Wikimedia Commons/GastelEtzwane/CC BY-SA 4.0

 

Nous sommes dans les discussions pour une augmentation des salaires. Pour vous dire que le Smic, il est appliqué, en tout cas c’est la loi. Nous ne sommes pas interpellés, sauf peut-être dans certains secteurs. Nous avons quand même une population du secteur informel qui atteint pratiquement 70%.

Il y a un vrai combat à mener sur ces questions du travail informel, de l’emploi informel ?

Absolument. La bataille, c’est qu’il faut arriver à une formalisation et nous travaillons à cela. Et nous pensons que l’avenir des syndicats aujourd’hui dans nos pays dépendra en grande partie de notre capacité à organiser, à accompagner et à syndiquer les travailleurs du secteur informel.

La première grève en Afrique subsaharienne, Dakar 1919, le premier syndicat enregistré en 1923, le 1er-Mai devient un jour férié en 1947 au Sénégal. Les syndicats sénégalais vont-ils rester novateurs ?

Nous nous attendons à ce que les syndicats restent encore debout. Les travailleurs de par le monde luttent quotidiennement pour qu’il y ait moins de pression, moins d’exploitation. Nous sommes tous conscients que l’Afrique est un continent très jeune qui a ses potentialités, qui va se développer, qui va créer également des richesses, mais nous pensons que cette Afrique-là, ces enfants, ces filles et ces garçons doivent avoir accès à ces richesses, puissent la transformer. Ici en Afrique, nous avons espoir en l’avenir malgré les difficultés, parce que nous avons toutes les potentialités d’être au rendez-vous de demain.

Est-ce qu’il existe aujourd’hui un syndicalisme panafricain, est-ce qu’il y a des luttes communes ?

Ce que nous faisons, nous pouvons aujourd’hui décider si un camarade est emprisonné ou s’il est menacé dans son pays, cette solidarité elle est là, sur toute l’Afrique. Mais des plans d’action partagés par des organisations d’un pays à un autre, nous ne sommes pas encore arrivés à cela.

Vous militez depuis plusieurs décennies. Qu’est-ce qui vous fait encore tenir ?

C’est un engagement militant. Moi, je suis un militant. Chacun joue sa partition. Nous avons une mission à mener, nous allons la mener à termes, et quand les changements arriveront, il faudra les accepter et passer le témoin à quelqu’un d’autre.

Est-ce que les jeunes générations restent militantes ?

Nous arrivons quand même à avoir autour de nous pas mal de jeunes et nous pensons qu’il faut renouveler la classe syndicale. Et nous y sommes. Pour ce faire, il faut avoir des organisations syndicales attractives qui s’ouvrent également et qui peuvent parler à ces jeunes-là. La lutte continue et le syndicat ne mourra pas.

Par Guillaume THIBEAULT

In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230501-senegal-l-avenir-de-nos-syndicats-dependra-de-notre-capacite-a-proteger-le-secteur-informel

Image de la UNE : Mody Guiro, militant sénégalais qui se bat pour le droit des travailleurs depuis près de 40 ans. Il est aujourd’hui Secrétaire général du premier syndicat du pays, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal.

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