Pour le bonheur des peuples
Très peu suffit, parfois : la chute d’une dictature en place depuis un demi-siècle, une alternance démocratique sans heurts… Ici, c’est le Ghana et la Syrie qui régalent. Sur une planète où le pire semble presque toujours certain, 2024 s’achève sur quelques notes d’espérance.
Dimanche dernier était un jour de fête, à Accra comme à Damas. Au Ghana, la liesse populaire saluait l’élection de John Dramani Mahama et la consolidation d’une démocratie, tandis qu’en Syrie, elle célébrait la chute d’une dictature héréditaire. Pourquoi vouloir à tout prix relier ces deux événements, survenus dans deux mondes a priori opposés ?
Bien des réalités politiques aberrantes, encore vécues par quelques peuples africains, transparaissent dans les méthodes maffieuses de cette dictature familiale qui vient de tomber à Damas. Il se trouve par ailleurs qu’au Ghana, comme dans presque toute l’Afrique, vivent d’importantes communautés libanaises, proches de la Syrie, ou syriennes. Autrefois, en Côte d’Ivoire, les adultes appelaient Syriens, y compris les Libanais. Pas par confusion de ces peuples voisins, mais parce que tous connaissaient l’histoire, la géographie et les imbrications entre ces deux peuples. Certains Libanais d’Afrique sont, en fait, des Syriens, qui n’éprouvent pas la nécessité de rectifier, même là où des Libanais, à tort ou à raison, sont indexés pour une connivence coupable avec quelques fonctionnaires véreux. Il y en a, certes, mais la plupart sont des travailleurs acharnés, qui peinent à joindre les deux bouts, et réprouvent tout autant les comportements de ceux des leurs qui jettent l’opprobre sur tous.
Aussi, lorsque, depuis Accra, Abidjan, Cotonou ou Dakar, les Africains observent ce à quoi les politiques, en Syrie comme au Liban, ont réduit leur peuple, contraint de s’exiler pour espérer survivre, ils ne peuvent pas ne pas compatir à leur détresse. Le mal que les Assad, père et fils, ont fait à la Syrie et aux Syriens leur rappelle les torts que font, en Afrique, certains politiciens à leur propre peuple. Le fait que Bachar el-Assad ait rejoint le parti des perdants trouve donc un écho auprès de nombreux Africains, heureux de voir les espérances des Syriens enfin comblées.
Mais pourquoi relie-t-on, au Ghana, la victoire de John Dramani Mahama à la mauvaise gestion de Nana Akufo-Addo ?
Parce que les Ghanéens n’apprécient pas ce qu’il a fait de leur économie, avec cette inflation paralysante, qui n’épargne personne. Nana Akufo-Addo est, de tous les chefs d’État qui se sont succédé depuis le renouveau démocratique, en 1992, celui qui désirait le plus ardemment le pouvoir. Et, dans une Afrique en quête de leaders qui lui rendent sa fierté, il avait le discours pour plaire. Mais la seule rhétorique ne pouvait suffire à combler un peuple averti, sûr de ses conquêtes démocratiques, et en attente de résultats palpables.
Akufo-Addo ne pouvant plus être candidat, c’est donc son vice-président et son parti qui paient pour ses insuffisances. Les électeurs ghanéens savent sanctionner la mauvaise gestion, comme ils l’avaient fait, il y a huit ans, avec John Dramani Mahama, congédié après un premier mandat, pour ses contre-performances économiques. Le cedi ghanéen avait alors perdu près de 37 % de sa valeur. C’est en cela que la démocratie peut être un excellent levier pour le développement économique : elle oblige les dirigeants à fournir des résultats, sous peine d’être licenciés par les urnes.
Certains pays de la sous-région donnent l’air de bien s’en sortir, économiquement, même sans une démocratie franche et sincère…
Peut-être pensez-vous à ceux, protégés par leur appartenance à la zone Franc, dont les contre-performances se diluent dans le bien-être des autres. Pour ceux-là, le franc CFA est, certes, un beau paravent. Mais, même entre États d’une même zone monétaire, il y a les pays qui se tiennent bien, et les autres. Le masque, un jour ou l’autre, finit par tomber, fatalement. Et le temps n’est plus loin où, partout, les dirigeants devront bien gérer, au nom des comptes qu’ils doivent à leurs électeurs. Lorsque l’on sait devoir craindre la sanction de son peuple, on gouverne toujours dans son intérêt. Là réside toute la différence avec les régimes autocratiques.
Pour le reste, si les Ghanéens rappellent aujourd’hui aux affaires un homme congédié pour avoir échoué huit ans plus tôt, c’est parce que, partout, les peuples ont le sentiment qu’ils vivaient mieux, hier, qu’ils ne vivent aujourd’hui. Comme disait naguère, autour du damier, un ancien de mon quartier, à Lomé, « hier était beau ! ». Hier semble toujours plus beau ! Enfin, souvent…