Présidentielle 2024 : Pourquoi on est bien partis pour avoir un président par accident (*)
En lieu et place des grands gladiateurs, Macky Sall et Ousmane Sonko, qui ont tenu en haleine le peuple le temps d’un mandat, le prochain président du Sénégal sera tout simplement une personne inattendue.
Le bras de fer entre ces deux protagonistes que tous les pronostics donnaient favoris avant les événements du mois de juillet passé (renoncement du président sortant et l’emprisonnement de l’opposition numéro un) va naturellement se poursuivre au fur et à mesure qu’on s’approche du 25 février 2024. Un combat par procuration, avec comme principales armes, leurs seconds couteaux. Il y a un an, personne ne s’attendait à vivre la situation du temps présent, l’espace politique étant assombri par des nuages d’incertitude. Qu’à cela na tienne, le prochain président risque de surprendre tous les observateurs, il ou elle risque de se surprendre même.
Amadou Ba, un candidat bouche-trou
La non participation déjà actée de Sall a eu comme conséquence le recours à un dauphin qui n’a jamais fait des pas vers sa présentation à l’élection auparavant. Il aura fallu d’intenses médiations, pendant deux mois, pour trouver finalement le bon joker. Amadou Ba, dont la relative popularité est bâtie plus sur son supposé statut de milliardaire que sur ses réalisations en tant que ministre et premier ministre n’a donc jamais été le choix premier de ses camarades de Artis et de Coalition. S’il accède au Palais, il sera ni plus ni moins qu’un président par accident, à qui seules les circonstances (la sortie de Macky notamment) auront permis de se faire un chemin vers le fauteuil présidentiel.
Khalifa Sall, le banni qui retrouve ses droits civiques
Du côté de l’opposition, c’est le même constat. Malgré la popularité (en chute libre) de Khalifa Sall et de Barthélémy Dias, les deux plus lourds en dehors du Pastef, rien ne pourrait présager un bel avenir présidentiel pour eux. Plus en odeur de sainteté avec une partie de l’opposition, l’actuel maire de Dakar et son mentor et ancien maire de la capitale, vont butter sur d’énormes obstacles en vue du scrutin de février. Cependant, ils jouent leur chance dans une élection aussi ouverte et pourraient bien être un troisième larron. Si cela venait à se concrétiser, le patron de Taxawu Sénégal serait vu par beaucoup comme un président par accident. Non pas parce qu’il n’a pas l’étoffe ou qu’il n’a jamais nourri l’ambition, mais surtout parce que son retour dans le jeu électoral n’était pas évident il y a quelques temps de cela. Il aura fallu des compromis et compromissions, à travers leur présence au dialogue national, pour que Khalifa retrouve ses devoirs civiques et politiques.
Karim, même « k » que Khalifa
Sans comparaison, la situation de Khalifa est la même que celle de Karim Wade. Même si celui-ci aura droit au vote affectif de ceux qui vouent à son papa un amour inconditionné, l’ancien ministre n’a pas tous les pronostics en sa faveur. À cause de son long exil à Dubaï, il est devenu un étranger parmi les siens. D’ailleurs, beaucoup de ses camarades lui ont fait le reproche de vouloir mener la baraque du Pds à distance. Cette situation ubuesque a considérablement réduit le poids du parti libéral avec le départ de beaucoup de cadres. S’il faut y ajouter sa situation judiciaire et les milliards que la Crei disait que le sieur Wade doit au Sénégal, il faut reconnaître que le candidat en question serait un président par accident s’il venait à se faire élire. Rien, il y a quelques années, ne prédisait son retour « prématuré » dans le jeu politique et surtout sa réhabilitation en tant que citoyen électeur.
Idrissa Seck, le pari perdu
Fort de bientôt 20 ans d’opposition (si l’on enlève la parenthèse de sa présidence du Cese), Idrissa Seck ne fait pas parler son expérience de la façon la plus opinée. Sa récente réintégration au sein de la majorité présidentielle, en novembre 2020, a mis de l’eau dans le gaz du parti de l’ex maire de Thiès. Même sans avoir besoin de sondage, il appert réellement que Seck a perdu de son aura. Lui qui était arrivé deuxième à la présidentielle de 2007, sa toute première participation, ne peut plus espérer une telle performance dans la configuration actuelle du champ politique. Idy est vu comme un « ni-ni »: il quitte la majorité mais peine à convaincre le peuple de son statut d’opposant. Mais dans une élection aussi indécise, l’homme joue ses chances. Et contrairement en 2007 ou 2019, son élection serait une grande surprise. Au vu de sa perte de popularité dans sa ville de Thiès, ou encore dans la zone du Baol qu’il avait largement dominée dans la dernière présidentielle, Idrissa serait lui-aussi un super président par accident.
Les outsiders qui veulent jouer à la Mays Gilliam
Parmi la pléthore de candidats, certains ne sont pas mieux connus que le Sénégalais lambda dont ils sollicitent la voix. Ils sont des éventuels Mays Gilliam, cet acteur d’ »Un président par accident » (film sorti en 2002), avec à leur actif aucune expérience politique réelle. S’il s’agit des candidats ou du candidat de Pastef, en remplacement de Sonko, ou des autres qui sont allés récupérer leurs fiches de parrainages, aucun d’eux ne pouvait s’imaginer candidat si les circonstances étaient autres. Dans un Sénégal normal, normé et calibré, pour reprendre Serigne Mansour Sy Djamil, nombre de ses candidats ne compétiraient même pas pour un poste de président d’association. Mais l’occasion qui fait toujours le larron pourrait bien nous offrir, comme c’est souvent le cas, un président par accident au soir du 25 février 2024.
Par Khalifa Ababacar Gaye
(*) https://www.senenews.com/actualites/presidentielle-2024-pourquoi-on-est-bien-partis-pour-avoir-un-president-par-accident_460506.html