Présidentielle au Ghana: le candidat masqué qui veut bousculer le paysage politique
La course à l’élection présidentielle de décembre prochain bat déjà son plein. Aux côtés du vice-président Mahamadu Bawumia et de l’ancien président John Mahama, un troisième homme est entré dans la bataille : Nana Kwame Bediako, un riche entrepreneur de 43 ans, veut bousculer le paysage politique ghanéen. Il s’est d’abord montré masqué, faisant le buzz sur les réseaux sociaux. Mais début janvier, il a révélé son identité et ses ambitions.
« Je suis venu apporter l’indépendance économique et la liberté à l’Afrique », a déclaré Nana Kwame Bediako à RFI, dans un ton confiant et aux accents messianiques.
Ce philanthrope autoproclamé veut séduire la jeunesse ghanéenne en surfant sur sa désillusion vis-à-vis de la classe politique. « Nous ne devrions pas laisser quelqu’un qui a déjà vécu sa vie construire notre avenir. Les jeunes d’aujourd’hui veulent du changement, ils veulent quelqu’un qui va leur apporter la prospérité économique », a-t-il précisé.
Créer de la prospérité, c’est quelque chose dont se targue le leader du mouvement la Nouvelle Force. Il a bâti sa fortune dans l’immobilier et veut appliquer la même recette pour redresser l’économie ghanéenne, en misant notamment sur l’industrialisation des 16 régions du pays, à l’image du père de l’indépendance Kwame Nkrumah, son idole.
« Le fait de porter un masque vous donne de la puissance »
Autre stratégie de séduction : la communication. Adepte des réseaux sociaux, Nana Kwame Bediako s’est fait connaître grâce à une campagne d’affichage sophistiquée, où il apparaissait en homme masqué, alimentant pendant les semaines des spéculations du public. « À l’époque, nos ancêtres portaient un masque pour envoyer un message à leurs adversaires. L’anonymat était une stratégie, souligne-t-il. Mais il faut voir le masque comme une nouvelle histoire de Marvel. Comme le pays fictif de Wakanda dans le film Black Panther. Le fait de porter un masque vous donne de la puissance. »
Un discours séduisant, mais les analystes doutent que ce candidat atypique sera capable de briser le système bipartite en place depuis quatre décennies au Ghana.
RFI : Nana Kwame Bediako, vous vous êtes fait connaître grâce à des affiches montrant votre visage masqué. C’était un coup de publicité ou visez-vous vraiment la magistrature suprême ?
Nana Kwame Bediako : À l’époque, l’anonymat était utilisé par nos ancêtres comme un moyen pour envoyer des messages à leurs adversaires. Quand je me déplaçais en homme masqué, ça faisait peur aux autorités. Elles ne savaient pas où j’allais apparaître la prochaine fois. Mais la stratégie de porter un masque c’était avant tout pour attirer la génération marquée par le confinement, les jeunes habitués à regarder des séries sur Netflix. Je me suis dit que chaque fois qu’ils voyaient quelque chose en lien avec le masque, ils voudraient connaître la suite, comme dans une série télé. Ils observeraient alors le moindre mouvement de l’homme masqué. Le masque, c’est comme un nouveau film de Marvel, comme le pays fictif de Wakanda dans Black Panther. Quand vous le mettez, vous devenez puissant. C’est ce que je veux pour le Ghana, et l’Afrique en général. Je suis venu leur apporter l’indépendance économique et la liberté.
Le jour où vous deviez retirer votre masque et annoncer votre candidature, le gouvernement a annulé votre convention. Comment interprétez-vous cet épisode?
Tout d’abord, la Convention a été un événement très puissant. Il s’agissait de faire entendre les voix de l’Afrique. Je ne l’ai pas fait uniquement pour ma campagne, j’ai essayé de montrer au monde et à l’Afrique que c’est du bon sens de rassembler de grands dirigeants pour impacter la jeunesse. Le gouvernement, et peut-être des entités comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et l’Union africaine, n’étaient pas prêtes pour cela. Ils n’étaient pas satisfaits de voir de telles personnes réunies au même endroit, sur la place de l’Indépendance Kwame Nkrumah.
Le gouvernement a fait savoir qu’il y avait un événement imprévu le même jour. Mais, pour vous, c’était le profil de vos invités qui a posé problème…
J’ai invité Patrick Lumumba, un activiste du Kenya qui parle de la mauvaise gouvernance et du mauvais leadership en Afrique depuis une vingtaine d’années. J’ai invité le Dr Arikana (Chihombori-Quao), une ancienne ambassadrice de l’Union africaine aux États-Unis. Elle a tourné le dos à cette organisation parce qu’elle jugeait que son action ne faisait pas avancer l’Afrique. J’ai ensuite invité Julius Malema. Oui, c’est un homme politique très radical qui a imposé sa conviction selon laquelle son peuple a le droit de se gouverner, c’est-à-dire de prendre eux-mêmes les décisions. Et puis, bien sûr, il y avait Peter Obi, un homme politique incroyable qui a surpris les Nigérians, et qui a probablement gagné les élections. Je voulais donc que toutes ces personnes racontent leur histoire pour inspirer et motiver les jeunes.
Vous misez beaucoup sur la jeunesse ghanéenne. Que pouvez-vous leur proposer, différemment des deux candidats principaux ?
La Nouvelle Force est un mouvement pour la jeunesse. Je n’ai peut-être pas ce qu’il faut pour détourner les électeurs du NDC (parti d’opposition) et du NPP (parti au pouvoir), mais je donne une voix aux jeunes qui veulent du changement et de la prospérité économique. Mon objectif ultime est d’industrialiser les 16 régions de notre pays. Accra, la capitale, est la seule région active. Les 15 autres ne produisent rien. Si l’Angleterre fonctionnait comme ça, si Londres était la seule ville productive, il n’y aurait pas d’Angleterre. Mais c’est ce à quoi le Ghana est confronté. Nous dépendons d’une seule ville. Le reste de l’activité économique est dominé par des étrangers qui viennent pour extraire nos minerais. Je dois donc investir dans les 15 régions et veiller à ce qu’il y ait des usines partout.
Dans votre campagne, vous proposez de « rendre au Ghana sa grandeur ». Comment allez-vous vous y prendre?
Je veux réduire l’influence étrangère et créer des relations commerciales internationales équitables avec des pays comme l’Amérique, l’Europe et l’Asie. Nous devons fabriquer nos propres produits, nos propres ressources, nos propres minéraux. En fait, nous devons exporter vers l’Europe et d’autres régions du monde. Pourquoi devrions-nous seulement importer ? C’est comme si nous livrions notre économie au reste du monde. Je suis ici pour apporter ce changement. Je sais que des gens comme Kwame Nkrumah l’ont commencé, mais d’une manière ou d’une autre, ils ne l’ont pas achevé. Et nous ne devrions pas croire que Kwame Nkrumah a été le seul visionnaire à avoir changé le pays et que cela devrait rester dans notre grande histoire. Nous devrions la poursuivre, cette histoire. C’est la vision d’avenir que j’ai pour les Africains et les Ghanéens.
Vous avez évoqué tout à l’heure la Cédéao. Si vous êtes élu, le Ghana continuera-t-il à entretenir des relations étroites avec cette communauté?
Je ne vois pas d’inconvénient à ce que nous poursuivions nos relations avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, mais je ne dépendrai pas d’elle parce que cette entité est censée apporter la stabilité économique, et je ne vois pas vraiment ce qu’elle a apporté. Je ne dépendrai ni de cette Communauté, ni de l’Union africaine ni de l’ONU. L’Afrique est toujours en proie à la pauvreté, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes. Nous traversons des guerres et les gens souffrent. Et vous savez, ils sont assis dans leur tour d’ivoire avec de grands titres et je ne sais pas ce qu’ils font.
Etes-vous d’accord avec la décision de pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ?
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