Contre La sansure

Quand l’Amérique s’autodévore : Trump, symptôme ou fossoyeur ?

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« Le plus grand mal est celui commis par ceux qui refusent de penser. »

— Hannah Arendt]

Une menace venue du dedans

Les grandes puissances tombent rarement sous les coups de leurs rivaux extérieurs. Souvent, elles s’effritent de l’intérieur, rongées par des contradictions qu’elles refusent d’affronter. Aujourd’hui, les États-Unis, géant vacillant, n’échappent pas à cette logique implacable. Non, la menace qui plane sur Washington ne vient ni de Moscou ni de Pékin. Elle prend racine dans les fractures profondes du pays lui-même. Et il est presque tragique que Donald Trump, celui qui proclame vouloir restaurer la grandeur américaine, en soit devenu l’artisan du déclin feutré.

Certains n’hésitent pas à comparer ce moment américain aux derniers soubresauts de l’Union soviétique sous Gorbatchev. Mais une lecture plus attentive oblige à nuancer : les contextes divergent, les dynamiques aussi. Ce qui se joue ici, ce n’est pas une implosion brutale, mais un lent travail de sape.

Une Amérique qui se ferme au monde

Depuis son retour dans l’arène politique, Trump a multiplié les décisions qui traduisent moins une confiance retrouvée qu’un repli inquiet. L’Amérique cesse de tendre la main. Elle coupe, une à une, les cordes qui l’attachaient au reste du monde.

La fermeture de l’agence américaine de coopération internationale, le désengagement financier vis-à-vis des réseaux comme Voice of America, la remise en cause des alliances historiques : tout cela participe d’une même logique d’encerclement volontaire. Une puissance qui jadis façonnait l’ordre mondial en exportant son modèle, désormais tournée vers elle-même, méfiante, refermée.

Plus inquiétant encore, cette bienveillance affichée à l’égard des autocrates, là où autrefois l’Amérique se posait en rempart face aux régimes oppressifs. Lorsque le président ukrainien, en pleine guerre d’agression, présente les exactions russes, il essuie le désintérêt glacial de Trump. Voilà l’Amérique qui, au lieu de défendre ses alliés naturels, détourne le regard.

Les fractures intérieures, matrice du trumpisme

Mais c’est à l’intérieur des États-Unis que s’opère la véritable dislocation. Trump n’est ni un accident ni une anomalie. Il est l’expression exacerbée d’un malaise plus profond. Un malaise ancien, trop longtemps ignoré.

La désindustrialisation sauvage, l’effritement de la classe moyenne, l’explosion des inégalités, les crispations identitaires nourries par les vagues migratoires : tout cela a creusé un abîme entre deux Amériques. Celle des métropoles ouvertes, cosmopolites, ancrées dans la mondialisation, et celle des périphéries déclassées, abandonnées, cherchant un bouc émissaire à leur déclassement.

C’est dans ce terreau que prospère le discours trumpiste. Simpliste, démagogique, habile à désigner des ennemis commodes : les élites, les étrangers, les médias, les alliés d’hier. Là où Gorbatchev tentait de décrisper un système figé, Trump souffle sur les braises, attise les peurs, érige des murs visibles et invisibles.

Une soviétisation ? Un miroir déformant

Assimiler ce moment américain à une « soviétisation » est une comparaison séduisante, mais elle se heurte à une réalité plus complexe. Là où l’URSS sombrait sous le poids d’un appareil étatique tentaculaire, l’Amérique, paradoxalement, accélère dans une logique ultralibérale, dérégulée, où les contre-pouvoirs sont dénigrés, non pour asseoir un État omnipotent, mais pour laisser libre cours à un nationalisme débridé.

Ce qui s’effrite, ce n’est pas tant la structure institutionnelle – encore robuste malgré les assauts – mais le socle moral, le contrat social, le récit commun qui faisait tenir ensemble cet édifice.

Un déclin discret mais pernicieux

L’Amérique d’aujourd’hui ne tombera pas dans un fracas spectaculaire, comme le Kremlin il y a trente ans. Elle risque, plus insidieusement, de glisser vers une lente désagrégation, rongée par ses propres contradictions, ses haines attisées, son incapacité à renouer les fils de son propre récit.

« Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre », disait Arnold Toynbee. Ce suicide feutré, cette dévoration interne, voilà le véritable péril américain.

Par Aboubacar Fofana, chroniqueur

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