Scrutin à un tour, opposition fragmentée, M23… Les enjeux de la présidentielle en RD Congo
La République démocratique du Congo se prépare à des élections générales cruciales le 20 décembre. Près de 44 millions d’électeurs sont appelés à voter pour élire leur président.
Scrutin à un tour, opposition fragmentée ou encore violences dans l’est : les enjeux de ces élections sont nombreux. Vincent Hugeux, journaliste indépendant, essayiste et enseignant, décortique ce scrutin pour France 24.
Meetings, interviews, ralliements… La campagne pour l’élection présidentielle du 20 décembre en République démocratique du Congo (RDC) bat son plein, où 23 candidats, dont le président sortant Félix Tshisekedi, sont en lice. Au départ, 26 candidatures avaient été enregistrées pour cette présidentielle qui sera couplée aux élections législatives, provinciales et municipales.
Quels sont les principaux enjeux de ce scrutin ? Vincent Hugeux, journaliste indépendant, essayiste, enseignant et auteur de « Tyrans d’Afrique. Les mystères du despotisme postcolonial », (Perrin, 2021) nous donne des éléments de réponse.
Un scrutin à un tour
Depuis 2011, le mode de scrutin en RDC est un scrutin à un tour : le président est élu à la majorité simple des suffrages exprimés. Vincent Hugeux s’interroge sur ce mode de scrutin qu’il définit comme un « dévoiement électoral ». Selon lui, le scrutin à un tour favorise les sortants comme Félix Tshisekedi, qui fait face à une opposition fragmentée.
« Il suffirait à Félix Tshisekedi de recueillir 20 % des suffrages pour être élu, pourvu que son plus proche challenger n’en obtienne que 18 % », précise le journaliste. « À mon sens, c’est un déni de démocratie. Vous pouvez être parfaitement minoritaire et l’emporter ! »
Une opposition fragmentée
Face au président sortant, l’opposition tente de se rassembler pour être plus forte. Ces derniers jours, Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga, a notamment obtenu le ralliement de trois adversaires de Félix Tshisekedi. Malgré ces désistements, il reste encore 23 candidats en lice.
« Même si le nombre de candidats diminue au fur et à mesure que l’élection approche, il est peu probable que l’opposition parvienne à se fédérer autour d’un ou deux candidats« , estime Vincent Hugeux.
Selon le journaliste, l’opposant Martin Fayulu, arrivé en deuxième position lors du scrutin précédent, persévérera. « Martin Fayulu se considère comme le véritable vainqueur de l’élection présidentielle de 2018. Il est clair qu’il ne renoncera pas. »
Moïse Katumbi et le Dr. Denis Mukwege sont deux autres adversaires de poids. Le premier dispose de moyens importants pour mener sa campagne. Le second, prix Nobel de la paix en 2018, est une figure respectée dans le pays. « Je vois mal comment l’un ou l’autre de ces candidats pourrait se désister« , raisonne Vincent Hugeux.
« La fragilité de toute adversité en la matière réside dans cette diversité des candidatures« , conclut-il.
Les violences dans l’est du pays
La sécurité dans l’est de la RDC reste un enjeu majeur de ces élections. Après six mois d’un calme relatif, de violents combats ont repris début octobre entre les rebelles du M23 et l’armée alliée à des groupes armés dits « patriotes ». En conséquence, le président Félix Tshisekedi a annoncé mi-novembre sur France 24 et RFI que ces élections ne pourraient avoir lieu dans les territoires de Masisi et Rutshuru (Nord-Kivu) – où le M23, soutenu par le Rwanda voisin, opère.
Depuis la reprise des combats, plus de 450 000 personnes sont venues s’ajouter aux déplacés qui peuplaient déjà les alentours de Goma, selon les Nations unies. Face à cette situation, les candidats enchaînent les annonces. L’opposant Moïse Katumbi a par exemple promis de « créer un fonds spécial pour le Nord-Kivu et l’Ituri de 5 milliards de dollars américains« , s’il est élu.
Des annonces qui n’étonnent pas Vincent Hugeux : « Aucun candidat digne de confiance ou d’intérêt ne peut ignorer le sort des plusieurs millions de ses compatriotes, même si ceux-ci sont exclus des listes électorales. »
« Maintenant, il faut passer aux actes !« , poursuit le journaliste. « Depuis des décennies, des candidats font des promesses similaires. Pour le moment, il faut admettre que c’est quand même la déception qui prévaut au regard des performances politiques des présidents successifs. »
En effet, les violences de groupes armés durent depuis près de 30 ans dans l’est de la RDC. Le gouvernement de Félix Tshisekedi a récemment décidé de ne pas renouveler au-delà du 8 décembre le mandat d’une force régionale déployée dans l’est pour lutter contre le M23, lui reprochant de ne pas contraindre les rebelles à déposer les armes.
Riche en ressources naturelles, la RDC est aussi un pays vaste et difficile à contrôler, tient à rappeler Vincent Hugeux. « Cela a conduit à une guerre au tournant du siècle [la deuxième guerre du Congo, 1998-2003, NDLR], dans laquelle neuf pays voisins ont été impliqués. Dans ce contexte, il est extrêmement difficile d’éradiquer une mouvance, même avec l’aide de mercenaires« , appuie-t-il, faisant référence à « plusieurs centaines de mercenaires recrutés et deux sociétés militaires privées pour épauler les Forces armées de la république démocratique du Congo« .
Parallèlement, la Mission de maintien de la paix de l’ONU en RDC (Monusco), présente dans le pays depuis 1999, a déclaré mercredi qu’elle avait signé avec le gouvernement un plan de retrait de ses 14 000 Casques bleus déployés dans le pays, essentiellement dans l’est. « On s’oriente aussi vers un désengagement assez paradoxal de cette force onusienne, compte tenu du caractère électrique de la situation. Il va être très difficile de prévoir un apaisement durable et irréversible dans cette région« , conclut le journaliste.
In. https://www.france24.com/fr/afrique/20231128-scrutin-a-un-tour-opposition-fragmentee-m23-les-enjeux-de-la-presidentielle-en-rd-congo