« Si l’on veut lutter contre l’ethnocentrisme, le régionalisme ou le racisme sur le plan judiciaire, il est impératif de légiférer dans ce sens au lieu de procéder à un « forcing » ou » un forçage » juridique ».
Le 29 novembre dernier, le Tribunal correctionnel de Kankan a condamné le Préfet de cette localité à six mois d’emprisonnement assortis de sursis pour avoir tenu des propos à caractère régionaliste et ségrégationniste communautariste et régionaliste.
Pour la petite histoire, il faut noter que dans une tentative d’explication de la stratégie qui, selon lui, a permis à Alpha Condé de remporter le deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010 face à Cellou Dalein Diallo, le Préfet de Kankan avait tenu des propos qui ont provoqué des commentaires empreints d’indignation. Beaucoup ont condamné ce discours à relents communautaristes.
Par un acte en date du 31 octobre 2022, le ministre de la Justice a enjoint au Procureur général près la Cour d’appel de Conakry d’engager des poursuites contre cet administrateur territorial » pour des faits présumés de propos à caractère négationniste, ethnique et régionaliste par le biais du système cybercriminalité « .
Cette injonction aux fins de poursuites judiciaires suscitait en soi deux questions au moins.
En effet, que faut-il entendre par « propos à caractère négationniste, ethnique et régionaliste… » ? Quel est le texte qui réprime de tels propos ?
En particulier, au regard de la définition que l’on connaît de la notion de négationnisme, on peut bien se demander en quoi les propos du Préfet de Kankan ont un caractère négationniste.
Pour condamner le prévenu , le Tribunal a visé les dispositions des articles 26 et 27 de loi relative à la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel. Mais en lisant ces deux textes, on ne peut s’empêcher de se demander s’ils sont vraiment applicables en l’espèce.
En effet, l’article 26 punit le téléchargement, la diffusion et la mise à disposition de messages, de photos, d’écrits, de dessins ou de toute autre représentation de théories ou d’idées, de nature raciste ou xénophobe par le biais d’un système informatique. L’article 27 quant à lui punit « quiconque crée, télécharge, diffuse ou met à disposition sous quelque forme que ce soit des messages, photos, écrits, dessins ou toute autre représentation de théories ou d’idées de nature raciste ou xénophobe par le biais d’un système informatique.
Les propos du Préfet de Kankan ont été jugés inadmissibles par beaucoup de personnes. Mais est-ce qu’ils tombent sous les dispositions de ces deux articles de la loi précitée? Rien n’est moins sûr. La Cour d’appel de Kankan, dans l’hypothèse où elle serait saisie, pourrait éclaircir cette question.
Mais il ne faut jamais oublier que le droit pénal repose sur un principe fondamental, celui de la légalité des délits et des peines. L’un des corollaires de ce principe est l’interprétation stricte de la loi pénale. Il y va de la sécurité des citoyens face à la toute-puissance de la machine judiciaire. Sanctionner un fait qui n’est pas prévu par la loi comme une infraction ou étendre un texte pénal à une situation qui n’est pas visée par le législateur est une source d’insécurité pour les citoyens.
Si l’on veut lutter contre l’ethnocentrisme, le régionalisme ou le racisme sur le plan judiciaire, il est impératif de légiférer dans ce sens au lieu de procéder à un « forcing » ou » un forçage » juridique.
La fin ne doit pas justifier tous les moyens.
Maître Mohamed Traoré
Ancien bâtonnier