Suspension de l’aide américaine: l’AES et la RDC premiers concernés en Afrique francophone

Le 27 janvier, Donald Trump gelait pour trois mois les aides extérieures américaines. Plus de 68 milliards de dollars en 2023. Cette mesure rend très incertaine la poursuite de milliers de programmes d’ONG, dont dépendent des de millions de bénéficiaires, notamment en Afrique.
Après l’Europe, c’est l’Afrique subsaharienne qui bénéficiait en 2023 du plus fort soutien américain. Une aide qui passait en majorité par l’agence USAID (plus de 40 milliards de dollars), que Donald Trump, président des États-Unis, a suspendu le 27 janvier pour au moins trois mois, le temps de réaliser un audit. Plus de 15 milliards de dollars au total, selon le site officiel du gouvernement américain.
L’Afrique du Nord est comptabilisée avec le Moyen-Orient. Dans cette région, l’Égypte et Israël sont exemptés du gel. En cumulé, ces deux derniers États ont perçu près de 5 milliards de dollars, essentiellement dans le domaine sécuritaire.

En tête des pays receveurs au sud du Sahara, les pays d’Afrique de l’Est anglophone. L’Éthiopie et la Somalie réunies ont reçu à elles seules plus de 2,5 milliards de dollars. Kenya, Ouganda, Tanzanie… Ces pays ont bénéficié de plusieurs centaines de millions de dollars chacun. Un effort qui va prioritairement vers l’aide humanitaire et la santé. Un expert d’une banque de développement s’interroge sur la continuité des programmes liés au planning familial, à la lutte contre le VIH-Sida ou encore aux programmes concernant la défense des droits de l’Homme ou des populations LGBT. De fait, dans cette région où les gouvernements sont pour beaucoup peu enclins à soutenir ces secteurs, des coupes budgétaires dans ces domaines seraient durement ressenties, souligne ce même expert.

Premier des pays francophone receveur de l’aide extérieur américaine : la RDC avec près d’un milliard de dollars dont la moitié est consacrée à l’aide humanitaire. Dans ce domaine, on y retrouve des programmes d’aide d’urgence alimentaire, avec un soutien au Programme alimentaire mondial, par exemple, des programmes de lutte contre le paludisme ou le VIH-Sida. Avec un budget de plus de 17 milliards de dollars en 2025, et « avec la crise humanitaire à l’Est, le gouvernement aura besoin de cette aide », estime Jacques Mukena, spécialiste gouvernance et économie à l’Institut congolais Ebuteli. À la fin du mois de janvier, près d’un million de personnes avaient été déplacées de force en raison du conflit dans la région de Goma.
S’il est difficile de présager des décisions du président américain, Jacques Mukena suppute que pour obtenir le maintien de l’aide des contreparties seront sans doute nécessaires. « Il y aura peut-être une obligation pour le pays bénéficiaires de s’aligner un peu sur les intérêts stratégiques des États-Unis. Washington pourrait peut-être exiger une réduction de l’influence chinoise, surtout sur le contrôle des minerais stratégiques comme le cobalt et le coltan », avance le chercheur. Un domaine dans lequel l’administration précédente a déjà posé des jalons. Joe Biden, en visite en Angola à la fin de l’année dernière, a mis sur la table 600 millions de dollars pour la réfection de la ligne de chemin de fer partant de Lobito vers l’Ouest et les minerais stratégiques de la Zambie et de la République démocratique du Congo. Mais les programmes soutenant l’État de droit, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, stratégique dans le secteur minier, dépendent aussi des fonds de USAID, souligne Jacques Mukena.

Autre région d’Afrique qui sera également touchée par les restrictions de budget si la suspension des aides est confirmée : l’Alliance des États du Sahel. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger bénéficient d’un appui américain de plus de 700 millions de dollars. Un soutien qui, ramené à leurs économies, représente une source de financement précieuse. « Ces pays rencontrent actuellement des difficultés à mobiliser des fonds. Les financements internationaux se sont taris en raison des sanctions qui leur ont été infligées, met en avant Ibrahim Adamou Louché, économiste nigérien indépendant. À cela s’ajoutent des difficultés aussi à mobiliser des ressources internes, particulièrement les impôts en raison du contexte local. Le fait qu’ils se voient priver de ces financements risque de compromettre de nombreux projets de développement. »
Là encore, ce sont les opérations humanitaires qui sont les plus financées (263,6 millions de dollars), suivi des domaines de la santé et des programmes pour le développement économique. Dans ces États, la défense et la sécurité sont souvent priorisées. Plus de 27 % du budget 2025 du Burkina Faso est par exemple dédié aux questions sécuritaires. Dans ce contexte, l’aide américaine se tourne vers des secteurs moins dotés comme la santé ou l’agriculture. Le gel de ces aides va toucher directement des programmes censés « d’une certaine manière aider les populations à sortir de la pauvreté », souligne Ibrahim Adamou Louché.

Sur le terrain, c’est l’incertitude qui prévaut et les organisations humanitaires tentent de poursuivre au mieux leurs activités. Pour Solidarité Internationale (SI), dont 36% du budget dépend de l’aide américaine, c’est un coup dur. L’ONG intervient dans 21 pays où ses programmes sont, au moins en partie, financés par l’aide américaine. Il y a un « flou dans la mise en œuvre de ces règles qui amène à restreindre ce que nous avions prévu de faire dans les prochaines semaines », explique Kevin Goldberg, son directeur. L’organisation s’est vu notifier par courrier en fin de semaine dernière les contours de l’aide qu’elle est autorisée à utiliser et celle qui doit obligatoirement être gelée même si les fonds ont déjà été reçus.
À des milliers de kilomètres de Paris et Washington, les travailleurs sur le terrain sont obligés de faire le tri dans leurs priorités et leurs actions. C’est le cas dans la région du Cabo Delgado au Mozambique où intervient SI. « Aujourd’hui, avec ce qu’on a compris des consignes données par le bailleur américain, les programmes portant sur l’accès à l’eau en urgence peuvent être poursuivis. Par contre, tout ce qui relève de la relance agricole, donc la possibilité pour ces gens d’avoir accès à des semences, de développer une agriculture vivrière autour du camp dans lequel ils se sont regroupés, tous ces projets doivent être arrêtés », détaille Kevin Goldberg. L’ONG doit faire des choix : « Cela nous amène à reprendre l’ensemble de nos budgets, à prendre des décisions parfois très douloureuses en se séparant d’une partie de nos équipes dans certains pays qui travaillent sur les activités non couvertes par les exemptions. » Et la situation est encore plus difficile pour les petites organisations qui dépendent uniquement ou presque des financements américains et qui se retrouvent sans alternative. « Cette aide vient en appui de personnes qui font face à des crises majeures et qui ne peuvent pas s’en sortir sans cette aide », alerte-t-il.
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