Contre La sansure

Tech : Mitsio Motu révolutionne le secteur de la data sur le continent (*)

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Mitsio Motu bouleverse le monde de la data en Afrique, à travers la création d’un géoportail inédit. En sept mois, l’entreprise a réussi le tour de force de cartographier l’ensemble des infrastructures du territoire togolais pour le gouvernement grâce au concours de 700 enquêteurs dépêchés sur le terrain. À la croisée des enjeux numériques, sociaux et financiers, Mitsio Motu propose déjà ses services dans plus d’une quinzaine de pays.

C’est face au Lycée français de Lomé que Louis Vérin-Kieffer, un entrepreneur français de 32 ans co-fondateur de Mitsio Motu, a décidé de poser ses bagages, il y a trois ans. Dans une villa aérée et dissimulée derrière de grands arbres tropicaux, la jeune équipe s’active dans le silence et la discipline. Ici un Allemand, là une Française, un peu plus loin, un Togolais, un Nigérian, un Sierra-Léonais et un Sénégalais : l’équipe est résolument internationale.

Après des expériences dans le secteur du nucléaire au sein du groupe Areva, en électrification rurale chez EDF et en financement d’infrastructure chez Greenwish Partners, le jeune diplômé d’HEC en quête d’impact se lance dans l’entrepreneuriat.

« Grâce à mes missions précédentes, je disposais déjà d’une petite expérience en matière d’accès à l’énergie, à la fois opérationnelle, stratégique et financière. Je me suis vite aperçu qu’il y avait un manque d’information flagrant pour développer des réseaux électriques. En explorant le sujet, j’ai réalisé que cet écueil était généralisé et touchait indistinctement l’éducation, l’agriculture, l’eau, les infrastructures ou la santé. Cela freinait toutes les décisions nécessaires au déploiement de services de base pour tous. C’est ainsi qu’est née Mitsio Motu en 2018 », explique Louis Vérin-Kieffer.

C’est à Lagos qu’il rencontre Guillaume Haegel, 29 ans, diplômé de Science Po Paris, l’autre fondateur de Mitsio Motu, qui est aujourd’hui le directeur des opérations de l’entreprise. Dans un premier temps, les entrepreneurs s’attèlent à de petits projets dans les zones rurales les plus isolées du pays. En dehors de Lagos, l’insécurité décourageait le secteur privé et les institutions qui ne disposaient que d’informations éparses, en particulier au nord du pays où les équipes de Mitsio Motu se déploient.

« Nous avons participé rapidement à plusieurs projets au nord et au nord-est du pays, et cartographié des chaînes de valeur agricole, notamment pastorales, dans certaines zones assez instables. L’opération était un peu stressante, car l’environnement n’était pas toujours sécurisé et nous travaillions avec peu de ressources », reconnaît-il rétrospectivement. Ghislain Desfossés, diplômé de l’École 42 et camarade de promo d’HEC, rejoint l’équipe en 2020 en tant que directeur technique et introduit la société dans le monde numérique.

L’entreprise a réalisé une vingtaine de missions au Nigeria, dont une pour le groupe ENGIE qui cherchait à développer des solutions de mini-réseaux électriques, afin d’électrifier des villages reculés dans le cadre d’un programme gouvernemental. Pour répondre à cette demande, Mitsio Motu a cartographié quelque 1 500 villages, listant les villages qui correspondaient à la recherche du groupe énergétique français. « Cinq ans plus tard, Engie annonçait avoir levé 60 millions d’euros avec CrossBoundary, un fonds américain, pour déployer ces mini-réseaux dans les régions que nous explorions ».

Du secteur privé nigérian à la présidence togolaise

« À l’origine de Mitsio Motu, nous proposions nos services à des entreprises, des startups, des institutions ou des fonds d’investissement, qui avaient besoin de données spécifiques. Les demandes étaient très variées. Nous avons cartographié des villes et villages, réseaux électriques et infrastructures variées, réseaux de distribution de bananes plantains, des marchés, mais aussi les chaînes de distribution alimentaire d’urgence mises en place pendant la pandémie de Covid-19, ou des bidonvilles à Lagos », explique Louis Vérin-Kieffer.

L’initiative des jeunes français ne passe pas inaperçue auprès des autorités togolaises qui les sollicitent pour appliquer leur solution à l’échelle nationale. En 2020, l’équipe débarque au Togo. En quelques mois seulement, Mitsio Motu monte une équipe, une méthodologie, des outils et une cartographie de tous les réseaux et services de base du Togo, « au poteau électrique près », avec le soutien des équipes du Gouvernement.

« Nous avons également cartographié tout le patrimoine culturel national », précise Boris Kagan, chef de projet data de l’entreprise.

Si les images satellitaires permettent de cartographier à distance les infrastructures d’un pays, la valeur ajoutée des solutions proposées par Mitsio Motu repose surtout sur la précision des informations relevées : de l’état des infrastructures et des bâtiments (avec ou sans murs, électrifiés ou non), au nombre et aux types d’employés, en passant par l’état et le type d’équipements disponibles. Cette précision est permise par la combinaison des nouvelles technologies avec un fort prisme « terrain » et des entretiens conduits par des équipes d’enquêteurs dépêchés sur le terrain. En sept mois seulement, l’entreprise est parvenue à cartographier l’intégralité d’environ 150 types d’infrastructures du territoire togolais (centres de soins, établissements scolaires, réseaux électriques, points d’eau,…).

enqueteurs projet prise mitsio motu togo

« Nous avons pu réaliser ce projet, car nous avons trouvé un interlocuteur qui avait une vision similaire et l’avait intégré à sa feuille de route. La République du Togo a mis en place une équipe projet trans-sectorielle inédite incluant plus de 23 ministères et agences et un comité de pilotage fort et complémentaire avec le Ministère de l’Économie numérique et la Transition digitale, le ministère du Plan et de la Coopération, et le ministère du Développement des territoires. Nous estimons avoir été accompagnés par, et avoir interagi avec plus de 10 000 représentants des services de l’État, des entreprises et organisations concernées par le projet PRISE (Projet de recensement des infrastructures sociales et économiques, ndlr) ».

Mitsio Motu a en parallèle participé au projet gouvernemental PEPS (Projet d’éclairage public solaire) pour implanter des lampadaires solaires dans les zones rurales. En six mois, l’entreprise a élaboré un plan de déploiement pour 50 000 lampadaires, ce qui représente environ 70 % du parc d’éclairage public actuel au Togo, pour le compte de Sunna Design (spécialiste et pionnier français des lampadaires solaires) et de la République togolaise.

Après une première phase de cartographie, l’entreprise s’attèle au suivi des opérations. « Nous développons une suite d’outils qui permettra non seulement d’utiliser, mais aussi d’actualiser les données dans le temps, donc de suivre en temps réel les progrès accomplis. Notre objectif est de créer des systèmes d’information pour aider les États et les institutions à gérer leurs priorités et à planifier plus rapidement, à déployer de manière efficace leurs ressources, à maintenir leurs opérations et réseaux de manière durable et à augmenter leurs capacités à lever des fonds », précise Louis Vérin-Kieffer.

Quelle stratégie de développement ?

Précurseur d’un marché en pleine croissance, Mitsio Motu vise à révolutionner le secteur de la data sur le continent. L’entreprise a créé un portail numérique qui agrège toutes les données relatives aux services essentiels d’un pays : « Nous n’avons pas connaissance d’une telle solution en Europe ! », précise le chef d’entreprise. Au total, les infrastructures répertoriées par Mitsio Motu au Togo concernent plus d’un million de points, validés par des formulaires pouvant contenir jusqu’à deux cents champs.

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En 2022, Mitsio Motu comptait 750 collaborateurs, dont environ 700 enquêteurs employés pour le projet, ainsi qu’une cinquantaine de personnes affectées à des opérations techniques et de management. « Lors du recrutement des agents de terrain, des files d’attente impressionnantes de plusieurs dizaines de candidats patientaient devant les portes de l’entreprise pendant plusieurs semaines. La majeure partie de nos futures recrues n’avaient aucune expérience dans le domaine, et sont devenus en quelques mois de travail acharné des spécialistes, grâce au modèle et à l’organisation mise en place par Guillaume et par l’équipe opérationnelle », se souvient l’entrepreneur.

Mitsio Motu poursuit ses opérations au Nigeria, en Afrique de l’Ouest, assure le « service après-vente » au Togo en développant des outils de suivi, de maintenance et de planification. L’entreprise qui a déployé ses services dans une quinzaine de pays d’Afrique milite aujourd’hui pour l’open data, c’est-à-dire la mise à disposition de données au plus grand nombre, et lancera prochainement une solution destinée au grand public.

« Notre vision est de participer à la planification accélérée des services de base, et plus généralement de programmes humanitaires, sociaux, environnementaux, économiques en s’appuyant sur des critères et sur une information précise pour permettre le déploiement de ressources de manière harmonieuse, avec un impact marginal maximal et à grande échelle », explique le fondateur.

Cette quête de sens professionnelle est partagée par les employés de Mitsio Motu, à l’instar du Nigérian Elijah, 27 ans, qui a initialement accompagné la mise en place d’une « Data school » auprès des communautés de Sagbokodji, dans un bidonville de l’agglomération de Lagos, avant de rejoindre l’entreprise à Lomé. « J’ai intégré cette entreprise avec le désir de contribuer au développement communautaire sur le continent, à travers l’utilisation de la data », explique-t-il.

Le modèle de Mitsio Motu repose sur un socle de valeurs partagées, un modèle de formation, de transfert de capacité et d’évolution par le mérite. L’entreprise vise, à travers ses projets, la formation de plus de 10 000 jeunes à la collecte, l’analyse de données, la cartographie et le développement numérique d’ici à 2027. « Nous souhaitons participer à renforcer les compétences des jeunes générations, qui plus tard, seront décisionnaires », ajoute-t-il.

Mitsio Motu est actuellement en pourparlers avec une demi-douzaine de gouvernements africains, plusieurs institutions internationales et compte à son actif, des partenariats avec la coopération allemande, la Société du Canal de Provence ou encore Heinrich-Böll-Stiftung. Les fondateurs se félicitent d’avoir réussi à conquérir la confiance de gouvernements africains, sans actionnaire et sans dépendre de subventions.

À ce jour, l’entreprise a déjà mené 45 projets, dispose de 7 bureaux et antennes en Afrique subsaharienne (dont un siège à Paris, des bureaux à Lagos et à Lomé et depuis quelques semaines à Conakry) et couvre 16 pays parmi lesquels la République démocratique du Congo, la Tanzanie, l’Éthiopie, le Mali, le Niger ou encore la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Par Marie-France Réveillard                                                                            envoyée spéciale à Lomé

(*) https://afrique.latribune.fr/africa-tech/2023-09-05/tech-mitsio-motu-revolutionne-le-secteur-de-la-data-sur-le-continent-974945.html

Image de la UNE : Mitsio Motu a réussi à réaliser des cartographies de chaînes de valeur agricole, notamment pastorales, dans certaines zones difficiles d’accès. (Crédits : DR.)

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