Tournoi ensanglanté de N’Zérékoré : Causes et responsabilités d’une finale meurtrière
Le » décembre noir de N Zérékoré », comme le titre à juste titre mon ami et confrère Abdoulaye Sankara alias Abou Maco, qui a fait des dizaines de morts dimanche au Stade Elhadj Amara Nyoké Traoré, a connu de nombreux précédents sur les stades en Afrique et dans le monde, mais il restera comme une des pires de l’histoire du football. Les responsabilités de cette catastrophe humaine devraient être situées.
24 heures après la tragédie meurtrière qui plonge la Guinée dans le deuil, le mystère plane encore sur le nombre de personnes mortes dans le stade rebaptisé du nom de l’ancien patriarche de la capitale de la Guinée forestière Elhadj Amara NYoké Traoré vers la fin du match opposant l’équipe de NZerekoré à celle de Labé au compte de la finale d’un tournoi de football en soutien au régime du CNRD et doté du trophée de son Président Mamadi Doumbouya, Chef de l’Etat Guinéen : 56 provisoirement selon le communiqué officiel des autorités, mais plus de 200 selon de nombreux témoins contactés sur place, ce qui en ferait l’une des pires catastrophes en 60 ans, depuis celle au Pérou en mai 1964.
Au cours d’un match Pérou-Argentine au stade Nacional de Lima, à la suite d’un mouvement de foule dans les tribunes, 320 morts et un millier de blessés avaient été identifiés. Les portes du stade étant fermées, les supporteurs ne purent s’échapper et moururent piétinés ou asphyxiés. En Europe, le drame du Heysel de Bruxelles, en mai 1985 avec 39 morts a particulièrement frappé les esprits à l’époque. Avant le début de la rencontre de la finale de la coupe des clubs champions (l’appellation de l’époque) entre Liverpool et la Juventus, des hooligans anglais envahissent une tribune où se trouvent de nombreux tifosi de la Juventus de Turin. Des grilles de séparation et un muret s’effondrent sous la pression de la foule.
Le 15 avril 1989, 96 supporteurs de Liverpool meurent dans une bousculade dans les tribunes vétustes du stade de Hillsborough à Sheffield, lors de la demi-finale de la Coupe d’Angleterre entre Liverpool et Nottingham Forest.
À Bastia en mai 1992, lors de la demi-finale de la Coupe de France contre Marseille, l’effondrement d’une tribune dans le stade de Furiani fait 19 morts et plus de 2.300 blessés.
Le monde du Football a également été endeuillé par de nombreux autres drames meurtriers notamment à Katmandou en mars 1988 entre une équipe népalaise et l’Armée de libération du Bangladesh avec une centaine de morts dans un mouvement de foule provoqué par une violente averse de grêle et une coupure d’électricité pendant un match en nocturne, au Guatemala en octobre 1996 dans un match entre ce pays et le Costa Rica qui a fait 90 morts et 150 blessés, à Buenos Aires en juin 1968 dans un derby entre équipes locales avec 71 morts et environ 150 blessés, à Glasgow en Ecosse en janvier 1971 dans un derby Rangers-Celtic avec 66 morts, à Bradford en Angleterre en mai 1985 dans un match contre Lincoln City avec 56 morts dans l’incendie de la tribune principale en bois, Le Caire en février 1974 entre le club de Zamalek et les Tchèques du Dukla Prague avec 48 morts, à Kayseri en Turquie en septembre 1967 entre des clubs locaux avec 40 morts et 600 blessés dans des bagarres pour un but contesté.
Dans ce macabre décompte, l’Afrique est loin d’être la dernière sur la liste. Loin s’en faut.
Le continent a été le théâtre de nombreuses tragédies liées au Football.
Comme à Johannesburg en avril 2001 entre les 2 grandes équipes d’Afrique du Sud à savoir Orlando Pirates et Kaiser Chiefs avec 43 morts. 20 ans plus tôt, en 1981 précisément lors d’un match, à Orkney, entre les mêmes équipes, des affrontements avaient fait 40 morts, à Accra en mai 2001 entre deux équipes Ghanéennes avec 126 morts, à
Abidjan en mars 2009 dans un match entre la Côte d’Ivoire et le Malawi avec 20 morts et plus de 130 blessés, en Egypte, en février 2012, à Port-Saïd, des heurts entre supporteurs du club local Al-Masry et du club Cairote Al-Ahly font 74 morts et des centaines de blessés à Port-Saïd, Le Caire en février 2015 avec 19 morts lors des heurts entre la police et des supporteurs lors d’un match du championnat, à Uige, une ville Angolaise en février 2017 avec 17 morts et une soixantaine de blessés lors d’un match entre deux clubs locaux, à Dakar au Sénégal en juillet 2017 à l’issue de la finale de la Coupe de la Ligue, des échauffourées et l’affaissement d’un mur du stade Demba Diop de Dakar font 8 morts et des centaines de blessés, à Yaoundé au Cameroun en janvier 2022 avant un match de la Coupe d’Afrique des Nations, 8 morts et 38 blessés après l’ouverture d’une porte par les forces de sécurité face à une marée humaine.
Situer les causes et responsabilités du drame de Nzérékoré
Cette longue liste des drames survenus en Afrique et dans le monde au nom ou à cause du Football ne sert ni d’explication encore moins d’excuses pour le décembre endeuillé de Nzérékoré dont le degré de catastrophe, on l’aura constaté avec l’évolution des chiffres, est de loin supérieur à tous les autres cas hormis celui de Lima au Pérou. À partir de là, les responsabilités devraient être situées. En attendant les résultats de l’enquête ordonnée par le gouvernement, certains points retiennent l’attention du public. Le premier concerne le principe d’organisation des tournois au nom du Chef de l’Etat quand l’on sait que le Président du CNRD, certainement inspiré par l’ambiante démagogie des opportunistes de tous les temps, a été clair, précis et catégorique dès les premiers jours de son avènement au sommet de l’état en interdisant, sous toutes ses formes, les manifestations en sa faveur ou contre son Pouvoir.
À partir du moment où cette mesure n’est pas encore officiellement levée, il est difficile de comprendre que des personnalités surtout des ministres s’accordent le droit de violer ce principe pour se faire valoir dans la distraction au lieu d’œuvrer à produire des résultats comme exiger par le Président Doumbouya dans l’intérêt des populations Guinéennes. Surtout au moment où ils devraient justement aider le CNT à fixer l’attention des Guinéens sur la campagne explicative du contenu de l’avant-projet de la Constitution devant régir leur vie dorénavant.
Ce forcing contre un principe Présidentiel qui a le mérite non négligeable de distinguer le Général Mamadi Doumbouya est une ligne rouge dont le franchissement illégal a souvent produit des conséquences dramatiques. Nzérékoré dramatiquement n’a pas échappé à la règle.
En vérité, seuls les actions et actes concrets bénéfiques aux populations feront la popularité du Général Mamadi Doumbouya et non ces mouvements et manifestations à caractère distractif souvent dispendieux pour l’Etat.
Au demeurant, il n’en a pas eu besoin pour accéder au Pouvoir ni se faire spontanément applaudir après la chute du Président Alpha Condé. Cependant, si l’on tient tant que ça à magnifier le nom du Président Guinéen, le Comité Exécutif de la Fédération Guinéenne et la Ligue Guinéenne de Football ont donné le nom du Général Mamadi Doumbouya au trophée de la Coupe de la Ligue. Comme disent les fiscalistes pour atténuer le taux de la pression » trop d’impôts tuent l’impôt« , Une myriade de trophées du même nom dénature la portée et la grandeur du nom. Autant donc valoriser la Coupe de la Ligue.
Par rapport au tournoi lui-même, il était particulièrement dangereux de le faire jouer sur un terrain dont les caractéristiques sécuritaires sont à moins 10 des normes exigées.
D’autre part, nul n’aura compris l’intervention du ministre Félix Lamah pour faire annuler une décision Arbitrale quand un second carton rouge a été infligé à un footballeur de l’équipe de Labé. Comme une partie du public n’a pas accepté l’engagement manifeste de l’arbitrage en faveur de l’équipe locale. Un penalty contesté à la dernière minute a provoqué le désordre. Les gaz lacrymogènes lancés pour protéger les officiels présents ont semé la panique générale avec le sauve qui peut. S’en suivent les bousculades, l’étouffement, piétinement, le saut de mur etc. Les officiels, selon des témoins, dans la « fuite » ont également fait de nombreuses victimes avec leurs véhicules. Pourtant mis à l’abri après avoir été installés dans les 4X4, ils auraient calmement pu attendre que le public, qui avait déjà du mal à sortir avec un seul portail, quitte totalement le stade. Mais, ils ont probablement préféré sauver leurs têtes moins menacées que la vie des pauvres populations.
Ces quelques points et bien d’autres qui mettent en relief la pandémie démagogique des cadres Guinéens que le Président du CNRD a voulu exorcisée dès sa prise du Pouvoir en septembre 2021 méritent d’intéresser les enquêteurs sur ce drame particulièrement meurtrier.
Abdoulaye Condé
Journaliste