Sénégal: «Tout scénario qui exclurait Ousmane Sonko de la présidentielle serait porteur de violence»
Au Sénégal, seize personnes sont mortes depuis jeudi dernier… Comment sortir de la crise qui ensanglante ce pays depuis que l’opposant Ousmane Sonko a été condamné à deux ans de prison ? Le chercheur Paul-Simon Handy dirige le bureau de l’ISS, l’Institut d’études de sécurité, à Addis-Abeba, en Éthiopie. Pour lui, il n’y aura pas d’apaisement tant qu’Ousmane Sonko restera exclu de la présidentielle de février prochain. Paul-Simon Handy est l’invité de Christophe Boisbouvier.
RFI : Paul-Simon Handy, beaucoup croient Ousmane Sonko quand il dit que le procès dans lequel il vient d’être condamné est un complot du pouvoir pour l’éliminer. Alors, pourquoi beaucoup de Sénégalais ignorent le témoignage de son accusatrice devant le tribunal ?
Paul-Simon Handy : D’abord, sur ce que Ousmane Sonko dit – quand il pense que le procès est politique et est une tentative de l’éliminer -, il y a beaucoup d’éléments qui concourent à crédibiliser cette thèse, notamment qu’il y a un vrai contexte historique au Sénégal, où les tenants du pouvoir ont tendance à salir la réputation des opposants à des fins politiques. Depuis les années 1960, il y a eu les cas de Mamadou Dia, il y a eu même l’ancien président Abdoulaye Wade, du temps où il était dans l’opposition, qui avait été condamné sous le président Abdou Diouf. Il y a eu Idrissa Seck sous la présidence Wade, et puis plus récemment, il y a eu Karim Wade et Khalifa Sall.
L’innovation – il faut le dire -, avec le président Macky Sall, c’est que, jamais auparavant, les condamnations d’opposants n’avaient conduit à leur élimination de la compétition électorale, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas été empêchés de participer à une élection présidentielle. Ceci est une première. Et pour parler du témoignage de l’accusatrice, qui semble être ignoré, là aussi, je pense que finalement l’acquittement d’Ousmane Sonko pour les chefs d’accusation de viol et de menaces de mort confirme a posteriori cette posture d’Ousmane Sonko, qui dit que c’est plus un procès politique.
Mais paradoxalement, et c’est en cela qu’il y a un vrai recul, le viol n’étant pas une exception au Sénégal – une exception sociale -, cet abus de l’accusation de viol vient fragiliser le combat mené depuis de nombreuses années par des associations pour criminaliser le viol au Sénégal. Donc, cette affaire ne rend pas service à ce combat mené autant part des associations de femmes que des associations de défense des droits de l’homme contre le viol, qui est un véritable phénomène social au Sénégal.
D’un côté, le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, pense que ce sont des moments difficiles que le Sénégal va dépasser, mais de l’autre, beaucoup de Sénégalais pensent que le malheur s’abattra sur leur pays, le jour où Ousmane Sonko sera arrêté. Qui a raison ?
Alors, je pense que chaque camp est convaincu d’avoir raison et que cela illustre la profondeur de la crise et du caractère plutôt radical, je dirais même extrémiste, des différentes positions. On a deux scénarios probables. Le premier est qu’on peut s’asseoir autour d’une table et discuter, mais certainement pas dans les conditions qui sont celles du dialogue qui a été lancé récemment par le gouvernement. Le second, c’est l’hypothèse de l’arrestation d’Ousmane Sonko, qui constituerait un échec de cette discussion. Le positionnement des uns et des autres peut être très dangereux parce que le basculement dans la violence peut avoir des conséquences imprévisibles et conduire à des troubles encore plus profonds.
Beaucoup de Sénégalais pensent que tout cela ne serait pas arrivé si le président Macky Sall était sorti de l’ambiguïté sur la question du troisième mandat. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Disons que l’ambiguïté sur la question du troisième mandat, combinée à la perception d’une instrumentalisation de la justice contre Ousmane Sonko, le dernier opposant véritable, a rendu la situation explosive. L’ambiguïté du président Macky Sall, dans tous les cas, ne contribue pas à apaiser la situation. La disqualification potentielle d’Ousmane Sonko aurait produit des effets similaires, même en l’absence de candidature. Je vois trois scénarios possibles : une élimination d’Ousmane Sonko et une présentation du président Macky Sall pour une troisième candidature, tout en réhabilitant, pour apaiser un peu les tensions, Karim Wade et Khalifa Sall. Ça c’est le premier.
Le deuxième : une élimination d’Ousmane Sonko, une réhabilitation de Karim Wade et de Khalifa Sall, mais Macky Sall ne se présenterait pas. Le troisième : toujours l’élimination d’Ousmane Sonko, la non-réhabilitation de Karim Wade et Khalifa Sall, et puis la candidature du président Macky Sall.
Je vois, dans ces trois scénarios qui éliminent le candidat Sonko, les germes d’une explosion sociale claire. Donc, tout scénario qui exclurait Ousmane Sonko conduirait à une explosion sociale aux conséquences inattendues.
Ce 3 juin, le maire de Dakar, Barthélémy Dias, a demandé au président d’évacuer, de renoncer à un troisième mandat, et il a demandé en même temps aux leaders de l’opposition de faire preuve de retenue. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Oui, je pense que le maire de Dakar, qui est lui-même issu de l’opposition, a bien raison d’appeler à l’apaisement. D’autant plus qu’à ce stade, à vrai dire, aucun acteur politique clé n’est sûr de participer à l’élection. Car, même si certains candidats peuvent se présenter, il y a le nouveau verrou, qui a été introduit par le président Macky Sall, des parrainages pour la présidentielle. Ces parrainages pourraient bloquer plusieurs candidats. Donc, tous ces aspects contribuent à l’incertitude et à une tension préélectorale. Ce qui se joue en réalité, c’est la question du caractère inclusif ou pas de l’élection présidentielle de février 2024, qui est générateur de tensions, et même de violences comme les dernières manifestations le démontrent.
C’est-à-dire que, pour vous, le plus important pour l’apaisement, ce n’est pas que Macky Sall, renonce. C’est qu’Ousmane Sonko puisse se présenter ?
En effet, tout scénario qui exclurait le candidat Sonko serait porteur de violence. Ça semble clair. Maintenant, il faut dire aussi qu’il y a une très forte mobilisation contre la candidature du président Macky Sall, surtout qu’il y a un troisième aspect dont on ne parle pas beaucoup : le Sénégal va entrer dès 2024 dans le cercle très fermé des pays producteurs de pétrole et de gaz, avec des rentrées potentielles énormes. C’est aussi l’un des enjeux dont on ne parle pas beaucoup, mais qui structure aussi un peu cette compétition qui se joue à plusieurs dimensions.
Quand la France appelle à la résolution de cette crise dans le respect de la longue tradition démocratique du Sénégal, est-ce un message codé à Macky Sall pour qu’il renonce à un troisième mandat ?
Je pense que, pour le coup, le message n’est pas aussi codé que ça, parce qu’il a été repris par plusieurs acteurs, comme l’Union africaine, qui demande à tous les acteurs de se retenir. On a vu des ambassades de pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, en appeler – aussi souvent publiquement, mais toujours discrètement – au Président Sall à renoncer au troisième mandat. Il y aurait pour le président Sall des gains personnels, car ceci contribuerait à certainement polir la réputation d’un personnage politique qui reste très populaire en dehors du Sénégal, il faut le dire. Vu d’Addis-Abeba, le président Macky Sall est quelqu’un de respecté et de respectable, surtout après sa présidence de l’Union africaine. Mais aussi, cela permettrait de préserver la réputation de stabilité politique, dont le Sénégal a toujours joui.
C’est-à-dire qu’à vos yeux, les principaux partenaires occidentaux du Sénégal aimeraient bien que Macky Sall renonce à un troisième mandat, c’est ça ?
Les partenaires principaux aimeraient bien que le Sénégal conserve sa stabilité, surtout que le Sénégal va devenir pour eux, par ces temps d’incertitude géopolitique, un pourvoyeur d’hydrocarbures stratégiques. Donc, les partenaires occidentaux comprennent que la sortie de l’ambiguïté par Macky Sall permettrait certainement de contribuer à stabiliser politiquement le Sénégal.
Une sortie de l’ambiguïté en renonçant à un troisième mandat, c’est ça ?
Tout à fait.
Par Christian BOISBOUVIER
In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230605-senegal-tout-scenario-qui-exclurait-ousmane-sonko-de-la-presidentielle-serait-porteur-de-violence
Nb. guinafnews.org a fait le choix des images et de la légende.