Contre La sansure

Ce que l’on sait du non-renouvellement de l’accord de pêche entre le Sénégal et l’UE

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En 2014, le Sénégal avait signé un accord de partenariat pour une pêche durable avec l’Union européenne, en contrepartie de 1,7 million d’euros par an, permettant aux navires européens de pêcher dans ses eaux territoriales. Renouvelé en novembre 2019 pour cinq ans, ledit accord prend fin le dimanche 17 novembre 2024, à minuit, et ne sera pas renouvelé cette fois-ci.

Par Mamadou Faye

L’accord de partenariat pour une pêche durable, qui liait le Sénégal à l’Union européenne, arrive à terme le dimanche 17 novembre prochain à minuit et ne sera pas renouvelé.

Par la voix de son ambassadeur Jean-Marc Pisani lors d’une conférence de presse à Dakar le 12 novembre, l’UE reproche au Sénégal « des défaillances constatées dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN)« .

Dix-huit navires espagnols et français sont affectés par cette décision. Ces bateaux qui pêchent le thon tropical et le merlu ne représentent pas une véritable concurrence pour la pêche sénégalaise, selon Jean-Marc Pisani.

Le lendemain, à l’occasion d’une réception de dons pour les sinistrés de Kidira, la ministre sénégalaise des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires, Dr Fatou Diouf, interpellée par la presse sur la question, a annoncé qu’ »aucun navire européen n’aura le droit de pêcher dans notre zone économique exclusive« , après le 17 novembre à minuit.

Pourquoi l’accord ne sera pas renouvelé ?

Un bateau de la marine sénégalaise ancré à l'arrière-plan pour assurer la sécurité du site d'installation d'une plateforme où une importante découverte de gaz offshore est en cours d'exploitation, au large de la côte de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, en 2022.
Crédit photo, Getty Images

 

« Le protocole de mise en œuvre de l’accord de pêche entre le Sénégal et l’Union européenne (UE) vient à terme le 17 novembre 2024, cinq ans après le début de son application. En raison des défaillances constatées dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) l’UE ne peut envisager le renouvellement du protocole tant qu’il n’y a pas de progrès suffisants du Sénégal dans ce domaine« , peut-on lire dans un communiqué publié sur son site par le service de communication de la délégation européenne au Sénégal.

« Cette décision s’inscrit dans la politique de tolérance zéro de l’UE vis-à-vis de la pêche INN et fait suite à plusieurs années de discussion avec les autorités sénégalaises« , explique le communiqué.

« Dans un souci de cohérence politique, la Commission européenne a adopté pour principe de surseoir à tout renouvellement d’un protocole de mise en œuvre d’un accord de partenariat de pêche avec un État côtier tant que cette décision n’était pas retirée« , poursuit-il tout en rappelant que « le 27 mai 2024, la Commission européenne (avait) pré-identifié le Sénégal comme pays non-coopérant dans le cadre de la lutte contre la pêche INN« .

« Nous pouvons dire d’ores et déjà, et comme nous l’avons déjà annoncé à travers la presse que l’accord arrive à terme le 17 novembre à minuit, c’est-à-dire le jour même des élections et qu’à partir de minuit il n’y aura plus d’accord de pêche« , a souligné Dr Fatou Diouf, ministre des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires.

Communiqué de presse du ministère des Pêches du Sénégal.

Crédit photo, Ministère des Pêches, des Infrastructures Maritimes et Portuaires du Sénégal. Communiqué de presse du Ministère des Pêches, des Infrastructures Maritimes et Portuaires du Sénégal en date du 8 novembre dernier.

Elle a annoncé à l’occasion la tenue d’une conférence de presse ou un point de presse qui va se faire incessamment, donc à partir du 20 (novembre), après les élections.

« Le pays sera plus calme et nous pourrons venir vraiment devant tout le monde vous parler de ces accords, répondre à toutes vos questions, et également vous parler de certaines questions d’intérêt pour la pêche« , a promis Dr Fatou Diouf.

Lors du rassemblement électoral de la Coalition Pastef à Guédiawaye le mardi 13 novembre 2024, le Dr Abdourahmane Diouf, ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur, a tenu à faire une mise au point.

« Je voudrais faire une mise au point parce que cette semaine, nos amis de l’Union européenne ont organisé une conférence de presse pour dire au monde entier qu’ils ont décidé de ne plus signer d’accords de pêche avec le gouvernement sénégalais. C’est une contre-vérité absolue« , a-t-il déclaré.

« C’est le gouvernement du Sénégal dirigé par le président Ousmane Sonko, dirigé par le président Diomaye Faye qui a donné le signal depuis longtemps pour leur dire que nous ne pouvons pas continuer à signer avec vous des accords de pêche qui vont appauvrir les pêcheurs sénégalais« , explique-t-il.

Qu’est-ce que la pêche INN ?

La pêche illicite non-déclarée et non-réglementée (INN) ou pêche illégale désigne toute activité de pêche menée en violation des lois et réglementations nationales ou régionales.

Cela inclut la pêche pratiquée par des navires sans autorisation dans des zones maritimes relevant de la juridiction d’un État, le non-respect des quotas de capture, la pêche dans des zones interdites ou avec des méthodes prohibées.

Elle est pratiquée principalement en haute mer et dans les zones côtières des pays où les réglementations et contrôles sont plus faibles.

Que gagne ou perd le Sénégal avec cette décision ?

Débarquement de poissons au quai de pêche de Mbour, au sud de Dakar, la capitale (illustration).
Crédit photo, Getty Images. Débarquement de poissons au quai de pêche de Mbour, au sud de Dakar, la capitale (illustration).

 

Le Sénégal bénéficie d’une grande diversité biologique en ressources maritimes. Il existe depuis le début des années 1980 un partenariat entre le Sénégal et l’UE dans le domaine de la pêche. Ce qui a toujours été bénéfique aux deux parties.

« Sur la dernière période de cinq ans (2019-2024), il a apporté au budget de l’État sénégalais une contribution de 8,5 millions d’euros, soit plus de 5,5 milliards francs CFA, ce à quoi s’ajoutent les redevances versées par les armateurs », a révélé le service de communication de la délégation de l’Union européenne au Sénégal.

« Une enveloppe de 900 000 euros par an (590 millions de F CFA) a été destinée à la réalisation des projets choisis par l’administration sénégalaise pour soutenir le développement du secteur de la pêche et sa gouvernance, y compris la surveillance et la recherche scientifique nécessaires pour la préservation des stocks de poissons », renchérit le communiqué.

Selon l’UE, « sur cette période de cinq ans, les captures de la flotte européenne dans les eaux sénégalaises représentent moins de 1% des captures totales déclarées et réalisées par l’ensemble des flottes dans les eaux sénégalaises, soit près de 10 000 tonnes de poissons« .

« Ces captures, visant uniquement le thon et le merlu noir, ont été réalisées dans les eaux sénégalaises au-delà de 12 milles nautiques des côtes, évitant ainsi une interférence avec les activités de la pêche artisanale sénégalaise« , poursuit le texte.

En dehors du Sénégal, l’Union européenne avait aussi signé des accords de partenariat de pêche avec le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Gabon et São Tomé.

Cependant, le pêcheur Amsatou Ndiaye de Kayar dit tout le contraire de ce qu’avance le communiqué de l’UE. Selon lui, les bateaux de l’Union européenne n’ont pas respecté les termes de l’accord, car au lieu d’opérer en haute mer pour pêcher le thon et le merlu noir, ils viennent sur la côte (sur la plateforme continentale) détruire les habitats des poissons en transit.

« La pêche industrielle est portée par une flotte nationale de 118 navires et une flotte étrangère de 19 navires en 2019 contre 122 navires nationaux et 19 navires étrangers en 2018, soit une diminution de 4 navires nationaux« , renseigne l’Agence nationale de la statistique et de la démographie dans sa Situation économique et sociale du Sénégal en date de 2019.

« La pêche industrielle est composée des segments de la pêche chalutière, de la pêche thonière et de la pêche sardinière. Cette pêcherie représente 19,0% des mises à terre de la pêche maritime. Sa production s’élève à 106 118 tonnes en 2019 contre 118 561 tonnes en 2018, soit une baisse de 10,5%« , souligne l’ANSD.

« Comparativement à 2018, la valeur commerciale s’est également contractée de 15,6% en 2019 pour s’établir à 74,5 milliards de FCFA. La pêche industrielle approvisionne les usines de transformation et constitue une part importante dans les exportations de produits halieutiques« , révèle l’ANSD.

Par conséquent, cette forte pression des ressources halieutiques exercée par plus d’une centaine de bateaux battant pavillons étrangers conduit à une raréfaction qui affecte plusieurs centaines d’acteurs du secteur de la pêche artisanale, dont les pêcheurs, les transformatrices et les mareyeurs.

Ce sont plus de 10 000 pirogues actives opérant dans la pêche artisanale qui se sont finalement retrouvées en sursis.

Qu’est-ce que cela signifie pour les pêcheurs sénégalais ?

Manifestation de pêcheurs à Kayar en 2011.
Crédit photo,Getty Images. Des pêcheurs et armateurs sénégalais manifestent le 30 mars 2011 à Kayar, à 52 km au nord-ouest de Dakar, contre la présence de navires étrangers qui, selon eux, ont été autorisés par le gouvernement et pillent les ressources naturelles. Kayar est le troisième centre de pêche du Sénégal. (Illustration)

 

Les pêcheurs sénégalais ont bien apprécié la nouvelle. Ils estiment pour la plupart que c’est une aubaine dans la mesure où la raréfaction des ressources née des accords de pêche les a conduits à migrer vers l’Espagne par des pirogues.

« Si nous apprenons que l’accord de pêche ne sera pas renouvelé, nous ne pouvons que nous en réjouir« , réagit Amsatou Ndiaye, un jeune pêcheur originaire de Kayar.

« Nous n’avons que la mer pour nourrir nos familles. Nous sommes nés et élevés dans cet environnement. C’est notre gagne-pain. La pêche est un secteur économique important. Pour preuve, à la fin des récoltes chaque année, les paysans du Cayor viennent toujours nous rejoindre dans les villes côtières pour y trouver leur compte« , explique-t-il.

« C’est une bonne nouvelle pour nous, car le poisson se déplace en toutes saisons par flux migratoires et les bateaux, qui connaissent leurs zones de passage, y prennent quartier pour les intercepter. C’est ce qui a entrainé la raréfaction des ressources. C’est pour cela que nous ne pouvons pas profiter de la mer« , poursuit Amsatou Ndiaye.

Lire la suite… https://www.bbc.com/afrique/articles/cly2nv9e05no

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