Au-delà du désabusement
Avec le décès de l’ancien président Gorbatchev, c’est aussi une page de l’histoire de l’Afrique qui se tourne, même si elle n’a pas l’importance que lui prêtent certains. L’Afrique n’a, en tout cas, jamais eu autant besoin de se penser par elle-même.
Alors que le monde salue son rôle dans la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, les funérailles de Mikhaïl Gorbatchev se déroulent dans une relative indifférence, à Moscou. Comment expliquer que certains voient en lui l’homme qui a sonné le glas des partis uniques et des régimes autocratiques, en Afrique, et ouvert la voie à la démocratisation des pays du continent ?
Ces événements ont, certes, eu leur part d’incidence sur la fin du parti unique dans nombre d’Etats africains, mais il a fallu, en réalité, la conjonction d’une multitude d’événements pour libérer de la peur les populations contraignant les régimes autocratiques à se démocratiser, presque partout sur le continent.
Tout aussi impressionnante que la chute du Mur de Berlin, la chute de Nicolae Ceausescu, en décembre 1989, a ébranlé bien des chefs d’Etat africains, qui étaient, pour la plupart, ses amis personnels. Ce dictateur déstabilisé par la révolte d’une population jusque-là soumise, traqué, arrêté puis sommairement jugé, et aussitôt exécuté… ces images avaient donné aux peuples africains une incroyable détermination, pour affronter les petits timoniers et autres guides éclairés, qui savaient devoir concéder beaucoup, pour échapper à un sort identique à celui du « génie des Carpates ». En cette fin d’année 1989, la peur avait radicalement changé de camp. Le Bénin marxiste de Mathieu Kérékou, affaibli par une situation économique désastreuse, sera le premier à céder à une conférence nationale souveraine, qui fera école.
Quel autre événement a pu peser sur la rigidité des régimes de parti unique ?
Huit jours avant le démarrage de la Conférence nationale souveraine du Bénin, un prisonnier politique, qui a résisté, vingt-sept années durant, à toutes formes de pressions et d’intimidations, sortait de prison, sans avoir rien renié de ses convictions et des revendications de son peuple. Voir, ainsi, Nelson Mandela sortir triomphalement de prison, sous le regard admiratif de milliards de téléspectateurs, était, pour les Africains, l’indication que la résistance pouvait être payante, en tout cas plus que les compromissions.
On pourrait y rajouter le fameux discours de La Baule, dans lequel François Mitterrand, en juin 1990, exhortait ses pairs africains à démocratiser, pour espérer l’aide de la France.
Gorbatchev n’aurait-il donc pas suffisamment pesé dans l’avènement de la démocratie en Afrique ?
Le débat ne devrait même plus se situer à ce niveau, trente ans après. L’Afrique se perd toujours, en se laissant porter, (positivement ou négativement), par le poids dont peuvent peser dans son destin des personnalités ou des événements extérieurs au continent. Soixante ans d’indépendance, dont une moitié parsemée de coups d’Etat, et ponctuée par le parti unique et sa cohorte de régimes plus ou moins autocratiques… Les trente dernières années ont été marquées par des expérimentations parfois hasardeuses, pompeusement baptisées « démocratie ». Et ce cycle s’achève avec le retour banalisé des aventures putschistes.
Et soudain, on réalise que l’Afrique n’a ni prévu ces coups d’arrêt ni pensé ce qui doit suivre, alors que l’on nous prédit de traumatisantes crises économiques, dans lesquelles se débattront tant bien que mal les nations dotées d’institutions solides avec des bases économiques plus ou moins saines, tandis que les plus vulnérables risqueraient de croupir durablement au fond des pires classements.
Pour avoir vu se succéder au pouvoir, ces trente dernières années, le meilleur et le pire du spectre des prétendants imaginables, les populations se demandent à quoi peut ressembler le leadership visionnaire qu’on leur suggère comme solution, pour échapper au pire.
(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/la-semaine-de/20220903-au-dela-du-desabusement