L’appétit grandissant pour les coups d’État
Avec des peuples tellement désespérés qu’ils en sont, à présent, à acclamer des putschistes qu’ils n’ont pas choisis et dont ils ignoraient parfois jusqu’à l’existence, il sera de plus en plus malaisé de dénoncer l’appétit grandissant pour le pouvoir dans certaines armées africaines. Pour le meilleur, parfois, et pour le pire, souvent, l’Afrique n’aurait donc plus qu’à subir.
Pour marquer le premier anniversaire de sa prise du pouvoir à Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré a accordé, vendredi 29 septembre à nos confrères burkinabè, une interview, diffusée par la Télévision nationale. Si l’on en croit le Parquet militaire, l’événement a failli être gâché par un coup d’État, révélé ce 27 septembre. Que faut-il donc penser de cette tentative déjouée ?
Peut-être faut-il, avant tout, insister sur la préciosité des termes choisis pour décrire ce « complot contre la sûreté de l’État ». On parle de « tentative avérée », de « témoignages dignes de foi ». Ce que d’aucuns percevraient comme le signe que les accusateurs ne sont pas certains d’être convaincants. Et on appelle officiellement les citoyens à venir témoigner, comme un appel à la délation, pour conforter un dossier encore un peu mince.
Ce complot peut être réel. Mais alors, les termes dont use le capitaine pour qualifier ses camarades putschistes rappellent ceux qu’utilisaient, autrefois, les CDR, redoutables Comités de défense de la révolution, pour mobiliser contre d’hypothétiques ennemis de l’intérieur.
Il parlait, en effet, de « valets locaux de l’impérialisme ». C’est juste le vocabulaire marxiste…
Peut-être existent-ils, ces « valets locaux ». Mais, franchement, cette dialectique, dont les Béninois, les Guinéens, les Éthiopiens et tant d’autres peuples, en Afrique, ont été saoulés des années durant, semble désuet. D’ailleurs, il ne visait qu’à les distraire de l’essentiel. Ils s’en sont aperçus plus tard. Et l’Histoire a amplement prouvé que l’idéologie qui portait ce vocabulaire est aussi un échec politique, économique, et même du point de vue des droits de l’homme.
Quant à l’impérialisme, les Russes s’en rendraient-ils moins coupables, dans ce qu’ils considèrent comme leur arrière-cour, que les Américains, dans les Caraïbes, l’Amérique centrale, et même plus bas ? Ou la France, en Afrique ? Toute puissance a ses velléités impérialistes, dans un rayon d’action variant, en fonction de ses intérêts du moment. À l’Afrique de se construire de façon être moins vulnérable à l’appétit des impérialistes de toutes les couleurs. C’est davantage une question de mentalité et de détermination, que de ce type de discours, pour lequel les Africains ont déjà donné.
Il n’empêche, le dirigeant burkinabè a le droit de dénoncer un coup d’État qui le viserait…
Bien sûr ! Mais, que l’on ne nous sommes pas de compatir, après nous avoir demandé d’applaudir le coup d’État qui l’a porté, lui, au pouvoir. Car, contrairement à ce qu’il affirmait vendredi, ce n’est pas par la volonté du peuple qu’il est là. Il a pris pouvoir, puis s’est fait acclamer. Par des gens de qualité, certes, mais aussi par beaucoup de Burkinabè légitimement frustrés, sinon aigris. Mais, qui sait, un autre de ses camarades militaires, peut-être plus valable, peut-être plus structuré que lui, demain, se ferait ovationner de la même façon, ou davantage, par un peuple désabusé, qui cherche désespérément un sauveur !
Quitte à subir des militaires, si, au moins, les peuples pouvaient avoir les meilleurs, les plus intègres, les plus consciencieux et, pourquoi pas, les plus brillants. Or, jusqu’à ce qu’ils fassent la preuve de leur génie ou de leur incurie, les putschistes ne sont qu’une plongée dans l’inconnu. Pour le meilleur, parfois, pour le pire, souvent.
Il se trouve que les nations qui avancent réellement en Afrique sont, justement, celles qui ont les meilleures armées, des militaires qui ne tirent pas à balles réelles sur des populations aux mains nues, ne se font pas la guerre pour le pouvoir d’État, dans la capitale, alors qu’ils accumulent échecs après déroutes, sur les vrais fronts. L’avenir d’aucun peuple africain ne sera reluisant avec des coups d’État à répétition, perpétrés par des soldats qui font mal le travail pour lequel ils sont payés : défendre la patrie, protéger le peuple et braver l’ennemi.
(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chronique-de-jean-baptiste-placca/20230930-l-appetit-grandissant-pour-les-coups-d-etat