Cameroun: «À vingt mois de l’élection présidentielle, il faut libérer les prisonniers d’opinion»
Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, réclame la libération des 41 militants du parti d’opposition de Maurice Kamto qui sont en prison. Et elle insiste sur d’autres cas emblématiques, comme celui de l’ancien secrétaire général de la présidence Marafa Hamidou Yaya, pour qui l’ancien président français François Hollande vient d’écrire une lettre au chef de l’État camerounais, Paul Biya. Entretien.
RFI : Il y a un an, le Cameroun a été bouleversé par l’assassinat à Yaoundé du journaliste Martinez Zogo. Depuis, la justice militaire a inculpé et fait arrêter une vingtaine de personnes dont des agents des services de renseignement et un homme d’affaires bien connu. Est-ce que vous êtes satisfaite – ou non – du travail de la justice militaire ?
Maximilienne Ngo Mbe : En ce moment, nous sommes très préoccupés par le silence des autorités judiciaires autour de ce dossier. On craint que justice ne soit jamais rendue à Martinez Zogo, comme ça a été le cas pour un autre journaliste, Samuel Wazizi. Surtout que, jusqu’à aujourd’hui, le corps de Martinez Zogo reste à la morgue. Sa pauvre compagne et sa famille n’arrivent pas à faire le deuil. C’est l’occasion de dire aux autorités camerounaises de faire en sorte que justice soit rendue pour ce journaliste et qu’au moins sa famille puisse faire le deuil. Chez les Bantous, lorsque vous avez perdu quelqu’un et que vous n’avez pas fait le deuil, cette personne n’est pas morte. Et tout le monde le sait, le président de la République le sait, donc ce qui se passe est inadmissible.
« Notre principale inquiétude, dit le Conseil des victimes, c’est de ne pas savoir qui a commandité et qui est l’auteur de l’assassinat de Martinez Zogo ». Partagez-vous leur point de vue ?
Si les personnes qui sont arrêtées aujourd’hui ne sont pas inculpées pour assassinat ou pour complicité de torture, vous pouvez bien comprendre que nous partageons cette inquiétude avec les membres du collectif de victimes. Et c’est pour cela que nous martelons qu’il faudrait qu’il y ait des enquêtes – même parallèles – pour pouvoir avoir le commanditaire. Aujourd’hui, on peut aussi faire les enquêtes au niveau international, on l’a toujours demandé. Cet assassinat mérite qu’il y ait des enquêtes parallèles indépendantes parce que personne ne comprend ce qui s’est passé. Pourquoi Martinez Zogo ? Pourquoi a-t-il été assassiné comme ça ? Qui l’a fait ? Qui a commandité ? Nous restons sur notre faim.
Il y a quelques jours, l’ancien président français François Hollande a écrit au président camerounais Paul Biya pour lui demander la libération de l’ancien secrétaire général de la présidence camerounaise, Marafa Hamidou Yaya, qui est en prison depuis douze ans et qui souffre d’une grave maladie des yeux. Il a déjà perdu la vision de l’œil droit. Est-ce que vous pensez que cette démarche pourrait aboutir ?
Vraiment, les traitements inhumains et dégradants qui sont infligés à ce haut commis de l’État, monsieur Marafa, sont inacceptables. C’est quelqu’un qui a servi ce pays au plus haut niveau, il est important et il est urgent, non seulement qu’on le libère, mais qu’on le fasse évacuer parce qu’il le mérite. On a vu que ce gouvernement a fait évacuer des personnes qui ne valaient pas du tout ce que monsieur Marafa a fait pour ce pays. Donc nous sommes d’accord avec la lettre du président François Hollande. C’est inacceptable qu’on traite de la sorte ceux qui ont tout donné pour ce pays. Vous rendez-vous compte que ce monsieur a perdu son épouse ? Il n’a jamais pu aller là où on l’a enterrée… On ne peut pas continuer de fonctionner comme ça. Nous tous, nous sommes des Camerounais et nous devons faire que ceux qui ont servi puissent bénéficier de notre respect.
Est-ce qu’il y a d’autres grands commis de l’État camerounais qui ont été condamnés dans le cadre de l’opération anticorruption « Épervier » et dont vous estimez que les peines ne sont pas justifiées, dont vous demandez la libération ?
Bien sûr, on peut parler de Amadou Vamoulké. Tout le monde a vu son procès, c’est à la limite insultant pour la justice camerounaise.
Le grand journaliste de la CRTV (Radiodiffusion-télévision du Cameroun)…
Oui, le grand journaliste, directeur de la CRTV. Vous avez vu monsieur Mebara, qui était secrétaire général à la présidence de la République…
Jean-Marie Atangana Mebara…
Oui, le soir où il a voulu prendre ses affaires pour sortir de la prison, on lui a sorti une autre affaire. Pour nous, c’est injuste. Ces procès sont injustes et leurs peines sont injustes.
Et les cadres du parti d’opposition MRC (Mouvement républicain et citoyen) de Maurice Kamto qui sont en prison, que pensez-vous de leur situation ?
Les cadres du MRC, tels que Olivier Bibou Nissack, Alain Fogué et les autres, nous considérons que, continuer à les maintenir en prison, est simplement un déni de la démocratie.