« Cette transition doit réussir si on veut qu’il n’y ait pas d’autres transitions »
En mission en Côte d’Ivoire, le président de la commission des Affaires étrangères du Conseil National de Transition de la Guinée(CNT), l’honorable El Hadj Ibrahime Sorel Keïta a accordé une interview à l’équipe de Media diversity.info. Ce proche du colonel Doumbouya a répondu sans faux fuyant aux différentes questions.
Portrait de notre invité :
Il est l’honorable Ibrahime Sorel Keita, président de la commission des Affaires étrangères, du CNT guinéen, qui est l’équivalent de l’Assemblée nationale parlementaire. Il couvre les Affaires étrangères, les guinéens de l’étranger, la coopération internationale, et l’intégration africaine. C’est une commission qui a un champ d’actions et d’intervention assez large, qui d’ailleurs a le même intitulé que le ministère des affaires étrangères guinéen. Avant cela il a été acteur privilégié de la diaspora guinéenne et africaine en France où il a vécu une trentaine d’année et enseigné le droit à l’université. Il a été aussi journaliste et communicant, responsable d’une chaine de télévision BDMTV (banlieue diversité media tv)
Il a beaucoup milité dans le monde associatif, vice- président de S.O.S racisme, la principale organisation de lutte contre le racisme en France, SFM et autres associations de la diaspora.
EL HADJ IBRAHIME SOREL KEÏTA, QUEL EST LE BUT DE VOTRE PRESENCE EN TERRE IVOIRIENNE ?
Deux raisons :
La première est une raison professionnelle ? je suis là pour rencontrer et échanger avec mes homologues de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et surtout m’imprégner de la réalité du parlement ivoirien parce que nous avons pour ambition de travailler sur la nouvelle constitution Guinéenne donc c’est important de s’enrichir des expériences d’autres Etats notamment la Côte d’Ivoire.
La seconde, c’est une visite privée familiale. Ma sœur est malade et je rentre fraîchement de la Mecque. C’est important de venir communier après le pèlerinage avec ma famille basée en Côte d’Ivoire. Une partie vient du nord et moi-même j’ai grandi à Abidjan. Bien que d’origine guinéenne, je n’ai découvert la Guinée que pendant mon séjour français. Beaucoup de gens souhaitaient qu’après la France je vienne travailler en Côte d’Ivoire, mais pour moi, il y’a déjà des fondamentaux et une dynamique positive en Côte d’Ivoire, alors qu’en Guinée, tout est à refaire, ils ont plus besoin de personne ressource comme moi. En Guinée aussi, j’ai décliné plusieurs propositions, celle du Colonel Doumbouya m’a intéressée, car j’ai été un des principaux théoriciens de la transition et opposant au troisième mandat d’Alpha Condé.
D’ailleurs, au soir du 05 septembre 2021, jour du coup d’Etat, il y a eu un échange entre le président et moi, échange très fructueux qui m’a convaincu de rentrer à Conakry au mois de Décembre dernier. Je vis désormais en Guinée et j’en suis heureux. Quand je suis à l’étranger, je me sens un ambassadeur de cette transition. Donc ici en Côte d’Ivoire, je suis un ambassadeur de la transition guinéenne et de notre assemblée nationale d’autant plus que j’ai mandat du Président du CNT, l’Honorable Dansa Kourouma avec qui je travaille en bonne intelligence.
A L’OCCASION DU PREMIER ANNIVERSAIRE DE LA TRANSITION EN GUINEE, QUEL BILAN EN FAITES-VOUS ?
C’est un bilan dans l’ensemble positif, moi je souhaitais que la transition pour laquelle je me battais, fût civile et citoyenne. Mais la transition peut être qualifiée de civilo- militaire parce que quand on regarde la composition du gouvernement, au début c’était 100% civils aujourd’hui il y a un seul militaire. Il y a de nombreux de postes importants occupés par les civils. Même si les préfets sont pour la plupart des militaires, les civils ont toute leur place et le colonel Doumbouya a eu l’intelligence de faire appel à la diaspora et à toutes les compétences, j’en suis un des fleurons.
Dès le départ, il a joué la carte de l’apaisement à travers un style des mots et des actes symboliques très forts. Par exemple, sous le régime de Dadis Camara, il s’est produit un drame terrible. Celui du 28 septembre au stade où il y a eu un massacre, des femmes ont été violées, des morts enregistrés. Le régime Alpha avait promis de faire justice aux victimes malheureusement, ça n’a pas été fait. Dès la prise de pouvoir le Colonel Doumbouya s’est rendu sur les lieux de massacres et dans les cimetières pour s’incliner devant la mémoire des victimes tombées, suite aux violences. Puis, il a lancé des actions anticorruptions, créé une institution de lutte contre les crimes économiques et la corruption. Il a relancé les grands travaux routiers.
Il a su créer un état d’esprit nouveau et une dynamique positive et vertueuse.
La Guinée est connue comme le deuxième producteur mondial de bauxite, et le pays regorge d’importants réserves de fer; à cet effet, un projet d’exploitation de fer estimé à des milliards de dollars est en cours d’exécution. Le contrat a été signé il n’y a pas très longtemps. Bref, il y a une émulation également au niveau du secteur minier.
Sur le plan des droits et libertés, le colonel Doumbouya a procédé à la libération des prisonniers politiques et permis l’expression de certaines libertés même si aujourd’hui des tensions et mécontentements apparaissent. A ce niveau le bilan peut donc être amélioré à travers le dialogue et un respect scrupuleux des droits de l’homme.
– ET SUR LA QUESTION DE SÉCURITÉ ?
La délinquance et la grande criminalité ont baissé. Il y a plus de facilité au niveau de la libre circulation des personnes et des biens. Seulement suite à des manifestations récentes, on a enregistré sept morts, un bilan plutôt déplorable qui nous interpelle tous. Le sang d’un guinéen qui coule fait saigner notre cœur.
Le colonel Doumbouya avait promis que les morts et les familles endeuillées suite aux manifestations cesseraient malheureusement ce n’est pas le cas. C’est regrettable et nous nous inclinons devant la mémoire de ces victimes.
Nous sommes dans un pays où il y a des habitudes qui sont très fortes et ces habitudes ne peuvent être modifiées du jour au lendemain. Ce sont hélas les risques d’une mauvaise gestion de la politique de maintien d’ordre. Mais nous sommes loin du compte de ce qui s’est passé dans le régime précèdent.
LE PRESIDENT ALPHA CONDE A ETE RENVERSE PAR LE COLONEL DOUMBOUYA, QU’EST-CE QUI JUSTIFIE SELON VOUS CE PUTSCH ?
Il faut le dire, il y avait trop de gabegie, trop de corruption, de violences et les gens se regardaient en chien de faïence, les libertés fondamentales étaient violées, les libertés publiques n’étaient pas respectées parce que le pays allait vers une dérive terrible. Sous le régime d’Alpha CONDE, les principaux opposants étaient emprisonnés, ou interdits de sortir, des passeports confisqués et un bilan de plus de deux cent morts.
Y-A-T-IL UN BESOIN DE REFORME DE CONSTITUTION EN GUINEE ?
Réformer la constitution se pose avec acuité, parce que de toute façon la vocation de notre parlement est d’élaborer et de faire adopter la constitution par referendum. Cela fait partie de notre mission, par ailleurs il n’y avait pas de vraie constitution en Guinée parce que la précédente était illégale et illégitime.
L’idée est d’élaborer une nouvelle constitution qui soit conforme aux aspirations du peuple de Guinée et tienne en compte l’expérience du passé.
Je fais partie des gens qui justement travaillent sur l’avant-projet de cette constitution là. Et croyez-moi nous sommes résolus à rédiger une constitution qui comme le dit notre président résiste à la tentation du temps et des hommes. Il est important à cet égard de s’inspirer des expériences de la sous-régions et en particulier celle de la Côte d’Ivoire. Nous enverrons des missions dans d’autres pays africains.
QUELLE PLACE OCCUPE EN CE MOMENT L’OPPOSITION DANS LA GESTION DU POUVOIR ?
Aujourd’hui, il n’y a pas d’opposition officielle et les régimes de transition ont vocation à être à équidistance des problématiques politique et politiciennes. Ils doivent être neutres et associer tout le monde.
C’est ce que le régime s’efforce de faire.
Ces derniers temps, un certain nombre de gens ne se sentent pas concernés par la transition en cours et s’opposent à ce qui se passe, mais je crois que cette opposition est circonstancielle et qu’on peut rapprocher les points de vue. Elle est née du fait que le régime a proposé une durée de trente-six mois alors que la classe politique, la plus représentative dans son ensemble souhaitait que la transition ne dépasse pas vingt-quatre mois. L’ensemble des forces vives de la Guinée soutenaient la transition du Colonel Mamadi DOUMBOUYA, c’est au fil du temps que malheureusement, les choses se sont dégradées. Mais il faut garder espoir et surtout réactiver le dialogue politique et se parler franchement avec comme unique préoccupation le sort de nos malheureu0ses populations et la réussite de la transition.
Les échanges avec mes homologues ivoiriens m’ont confirmé dans l’idée que pour qu’une transition soit réussie il ne faut pas qu’elle soit bâclée. Il ne faut pas qu’elle soit ni trop longue ni trop courte, il faut qu’on prenne le temps de poser les fondamentaux, d’assainir un certain nombre de situation notamment le fichier électoral, les urgences politiques, sociales et économiques. De ce fait, nous pensons que le délai de trente-six mois peut être raisonnable, et que s’il fallait revoir, il faudrait vraiment baisser à la marge, peut-être descendre à trente mois parce qu’il y a un certain nombre de projets à réaliser qui ne peuvent se faire en accéléré au risque de compromettre l’issue de la transition. Il faut trouver un terrain d’entente mais on a bon espoir. Le médiateur de la CEDEAO vient de quitter la Guinée.
Les échanges se sont bien déroulés dans l’ensemble mais il faut envisager une médiation interne.
Vous par exemple
Je n’ai pas dit un médiateur interne mais pourquoi pas ça m’intéresserait. Je connais la plupart des protagonistes. J’ai un parcours et une expérience de ce genre de choses mais ça pourrait être aussi organisé dans le cadre du CNT.
QUELS SONT LES RAPPORTS QUE LE RÉGIME MILITAIRE ENTRETIENT AVEC LES AUTRES RÉGIMES DE LA SOUS-REGION (LE BURKINA FASO, LE MALI), ET AVEC LA CEDEAO?
C’était des rapports un peu tendus au début avec la CEDEAO sur la durée de la transition. Elle a exigé un certain nombre de demandes estimant que les transitions ne doivent pas être longues.
Ce qu’elle a fait avec le Burkina, le Mali et la Guinée. Il faut arrêter de taper sur la CEDEAO. Elle est dans son rôle. Maintenant c’est aux Etats d’expliquer à la CEDEAO qu’ils ont besoin de plus en plus de temps parce que leurs réalités sont différentes de celles des autres.
Aujourd’hui, la CEDEAO a laissé un temps à la Guinée mais reste plutôt proche des vingt-quatre mois de durée. Il ya donc un an d’écart qui fait l’objet d’une négociation entre la Guinée et la CEDEAO. Mais je pense qu’on trouvera une solution parce que la Guinée est membre fondateur de la CEDEAO et que les sanctions handicapent plus le peuple que les dirigeants. Pas besoin que la Guinée soit sanctionnée parce qu’il y a vraiment un processus dynamique et positif en cours en ce moment en Guinée.
ET LE RAPPORT AVEC LES PAYS DE LA SOUS-REGION, LE MALI, LE BURKINA FASO
Les Colonels des trois pays : Mamadi DOUMBOUYA, Assimi GOITA et Damiba s’entendent très bien, surtout avec le Mali puisque le Mali et la Guinée comme on dit sont deux poumons d’un même corps. La Guinée d’ailleurs a refusé d’appliquer les consignes de la CEDEAO lorsque le Mali a été sanctionné, la Guinée est le seul pays de la CEDEAO qui a continué sa relation avec le Mali et le port de Conakry a compensé la fermeture des port de Dakar et d’Abidjan. Récemment il y a eu quelque chose d’inédit en Afrique de l’Ouest et je pense en Afrique tout entière ; il s’est tenu un Conseil des Ministres conjoint guinéo-malien qui a accueilli une délégation de haut niveau du gouvernement malien. Le panafricanisme en action.
AUJOURD’HUI, LA SOUS-REGION EST SOUMISE A TROIS REGIMES MILITAIRES, QUEL REGARD FAITES VOUS VIS-A-VIS DE LA DEMOCRATIE EN AFRIQUE FRANCOPHONE ?
Je viens de vous parler de ces trois régimes ; n’oubliez pas que ces régimes-là sont nés suite à des constats de gabegie financière, de corruption des régimes précédents ; moi je suis un démocrate donc je suis forcement contre les coups d’État. Malheureusement, certains coups d’État sont salutaires parce que lorsque l’ordre en place est un ordre répressif, illégal, illégitime, violent et anticonstitutionnel, c’est de la responsabilité de tout patriote de combattre cet ordre. Vous savez dans la plupart des constitutions de nos pays, il existe un article consacré à la résistance face à l’oppression c’est-à-dire que quand un peuple est opprimé à un certain niveau, il a le plein droit de combattre cette oppression. Alors sans être partisan de coup d’État, je considère qu’il y a des moments où on peut comprendre cette nécessité de changement face à une dictature. Je ne dirai pas que le Mali était une dictature mais une autocratie familiale qui avait du mal à gérer la crise sécuritaire au Nord, ce qui explique le coup d’État aussi ; en Guinée sévissait une dictature quasi clanique et c’était un gâchis parce que c’était quelqu’un de formidable du point de vue du combat démocratique qui avait accédé au pouvoir Alpha CONDE. C’est peut-être au Burkina que les choses peuvent être nuancées parce que Rock Marc KABORE venait d’être élu, et dans l’ensemble c’était un bon président. J’avoue que ça m’a beaucoup touché quand j’ai appris qu’il avait fait l’objet d’un coup d’État mais pour les deux autres Alpha et IBK je n’étais pas étonné.
QUELLE OBSERVATION FAITES VOUS AUJOURD’HUI DES RAPPORTS ENTRE LA SOCIETE CIVILE ET LE POUVOIR EN PLACE ?
Les rapports sont mitigés ! La société civile officielle s’entend bien avec le pouvoir, la société civile proche de l’opposition par contre a des rapports difficiles. Ce sont eux qui ont lancé les manifestations, ils sont organisés. Ils reprochent à la junte de vouloir s’éterniser au pouvoir. Ils estiment que le mandat de la transition ne doit pas durer trois ans, mais plutôt au maximum deux ans.
QUEL ROLE DOIT JOUER LA DIASPORA DANS L’INSERTION SOCIALE DES JEUNES EN AFRIQUE EN GENERAL PARTICULIEREMENT EN GUINEE ?
Un rôle de premier plan, parce que la diaspora est un réservoir de compétences inestimables. Elle est une ouverture d’esprit car, ils sont allés à l’étranger, ils sont imprégnés d’un certain nombre d’expériences. La diaspora c’est aussi une capacité d’adaptation, parce qu’ils ont été dans des environnements difficiles, ils se sont adaptés c’est aussi des ressources financières beaucoup de pays tiennent grâce à la diaspora surtout la Guinée. Je crois qu’en partie c’est le cas de la Côte d’Ivoire aussi mais aussi le Mali et le Sénégal sans la diaspora ils ne tiendraient pas il y a des gens, des populations entières qui n’arriveraient pas à vivre si elles n’avaient pas la diaspora. Autrement dit, la diaspora c’est que du bénéfice pour les pays et dirigeants intelligents.
Je dis ça parce qu’il a des pays qui à un moment, ont opposé ceux de la diaspora et les locaux ; en fait c’est une erreur mortelle, la diaspora c’est une chance pour les différents pays. Encourager vos frères, vos sœurs et vos enfants qui vivent là-bas surtout ceux qui ont la double nationalité, les aider à constituer des groupes de pressions comme font les juifs, aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats Unis l’un des lobbyings les plus puissants, c’est celui des juifs. Aujourd’hui Israël reçoit des milliards de dollars. C’est grâce aux enfants d’Israël disséminés en Amérique, qui pour certains, ont réussi, et qui pour la plupart ont la double nationalité.
C’est un modèle dont doit s’inspirer la diaspora africaine avec l’aide des dirigeants africains. Moi j’aspire à faire le pont, à être une passerelle entre les différentes appartenances au service de la transition.
QUELS TYPES D’ECHANGES ENTRETIENT LA GUINEE AVEC LE RESTE DU MONDE EN PARTICULIER LA FRANCE ?
Des échanges plutôt intéressants avec la France. Ça se passe plutôt bien avec la France pour l’instant, le Président Macron ne condamne pas trop.
Il suit la transition avec intérêt parce qu’un travail colossal est en train d’être fait en Guinée. Il était agacé par les velléités dictatoriales d’Alpha CONDE. A notre niveau, nous faisons aussi le travail pour explique la transition guinéenne à nos amis français et européens. Moi j’ai un gros travail de lobbying pour expliquer que cette transition doit être soutenue parce qu’elle a beaucoup d’avantages et même si tout n’est pas parfait on va continuer à bosser pour que tout s’améliore. La Transition en Guinée est utile et nécessaire. Elle doit réussir.
VOTRE MOT DE FIN
Je suis content d’être en Côte d’Ivoire. Cette transition doit réussir si on veut qu’il n’y ait pas d’autres transitions. L’expérience guinéenne est très intéressante. Elle doit s’enrichir des expériences de la sous-région comme celle de la Côte d’Ivoire.
Je voudrais chaleureusement remercier les honorables COULIBALY Famoussa président de la Commission des Affaires étrangères, SANGARE Yacouba rapporteur de cette commission et honorable DIABATE Massaran épouse TOURE qui m’ont reçu avec beaucoup de fraternité et de gentillesse et qui m’ont beaucoup instruit sur la réalité du travail parlementaire ici en Côte d’Ivoire. C’était un échange très riche et très fructueux.
– Remerciements aussi à l’honorable Charles Lopez GNAORE du groupe d’amitié Guinée-Côte d’Ivoire et à tous les parlementaires qui contribuent au rapprochement de nos peuples.
Interview réalisée par
Bamba Amadou et Marina Konan
(*) In. https://mediadiversity.info/interview-de-lhonorable-el-hadj-ibrahime-sorel-keita-president-de-la-commission-des-affaires-etrangeres-du-conseil-national-de-transition-de-la-guineecnt/