À la recherche d’une légitimité sans légalité : la transition guinéenne face à ses propres reniements.
Depuis le 5 septembre 2021, la République de Guinée est engagée dans une séquence institutionnelle que ses initiateurs qualifient de transition.
Présentée avec solennité comme une rupture nécessaire, fondée sur les principes prétendument supérieurs de refondation, de moralisation et de redressement républicain, cette transition s’est révélée, dans son déploiement pratique, une mécanique d’érosion de l’ordre juridique, de captation du pouvoir, et de dissimulation sous couvert de patriotisme improvisé. Ce qui devait être une passerelle ordonnée vers l’État de droit s’est mué en un régime de fait, caractérisé par une centralisation autoritaire, une inflation démagogique de promesses et une volatilité alarmante de la parole officielle.
Il convient de rappeler, avec toute la gravité que cela implique, que la légitimité invoquée ne saurait se substituer à la légalité constitutionnelle.
La dernière Constitution de la République de Guinée, adoptée avant le 5 septembre 2021, bien que suspendue de manière unilatérale et illégitime, n’a jamais été abrogée selon les procédures prévues par elle-même. Or, cette même Constitution affirme sans ambages, en son article 2, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie référendaire ». Dans le contexte actuel, ni représentation élue, ni consultation populaire ne sont en vigueur ; seule subsiste une concentration arbitraire du pouvoir entre les mains d’un organe issu de la force et non du droit.
La Charte de la Transition, à laquelle le régime en place prétend conférer une valeur fondatrice, n’est qu’un dispositif provisoire sans assise populaire ni légitimité juridique formellement reconnue.
Son préambule affirme pourtant l’attachement de l’État guinéen aux instruments internationaux, notamment à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce dernier, en son article 25, garantit expressément à chaque citoyen le droit de participer à la direction des affaires publiques. Le silence prolongé des urnes en Guinée constitue donc une violation flagrante des engagements internationaux auxquels l’État a librement souscrit.
L’attitude désinvolte, voire cynique, des autorités de fait à l’égard des symboles républicains et sacrés ne fait qu’exacerber le malaise démocratique. Ceux qui, en plein jour, ont levé la main sur les Livres saints pour jurer fidélité à la République et promettre vérité, justice et transparence, n’ont eu de cesse, dès la tombée de la nuit, de trahir ces engagements avec une constance qui confine au mépris.
À quoi sert de prêter serment au nom de Dieu, si c’est pour fouler aux pieds les prescriptions morales des Écritures ? Comme le dit un penseur, « si le Dieu des Livres saints demeure silencieux, c’est alors à la conscience éclairée d’agir. »
Nul ne saurait, sans se déshonorer, faire de la foi un ornement de discours tout en la récusant dans les actes.
Plus grave encore est l’instabilité chronique des annonces officielles, souvent contradictoires d’un discours à l’autre, d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre.
Ce pouvoir en état de fragmentation permanente offre le spectacle d’une gouvernance à géométrie variable : les engagements du matin sont effacés le soir par des contre-propositions tout aussi improvisées. La parole d’État, censée incarner la continuité, devient fluctuante, irrésolue, instrumentalisée selon les humeurs des factions internes. La République y perd son langage, le peuple son repère.
Mais le peuple guinéen n’est plus celui qu’on croyait naïf et manipulable. Il observe, il questionne, il évalue. Il s’interroge désormais à voix haute : pourquoi persister à nommer cette séquence un « coup d’État », si ce qui la précédait offrait davantage de cohérence, de vision et d’efforts ? Pourquoi ce dévoiement continuel du sens, cette perversion méthodique de la parole publique, cette confiscation durable de l’espérance citoyenne ? Les amateurs du pouvoir doivent comprendre ce que veut le peuple : de la rigueur, de la clarté, de la loyauté et non des gesticulations incantatoires.
Qu’ils entendent, ces tenants de l’autorité improvisée : le pouvoir est éphémère. Ce ne sont ni les galons, ni les uniformes, ni les discours exaltés qui gravent un nom dans l’histoire, mais la fidélité au droit, la sincérité de l’engagement et la permanence des œuvres. L’homme passe, les œuvres demeurent, et c’est précisément au nom de cette permanence que nous dénonçons les parjures : ça suffit. Le peuple guinéen ne saurait être indéfiniment ravalé au rôle de spectateur passif de sa propre dépossession. Il a appris. Il a compris. Il ne tolérera plus.
À ceux qui s’échinent à salir le souvenir du régime renversé, qu’ils sachent ceci : le régime précédent a été trahi, non pas pour ses fautes, mais en dépit de ses efforts considérables pour faire émerger la Guinée. Ses ambitions économiques, ses chantiers d’infrastructures, sa quête de souveraineté stratégique ont été méthodiquement sabotés par des opportunistes de l’intérieur, avant d’être défigurés par ceux qui prétendaient les restaurer. L’histoire l’enregistrera. La conscience collective en est déjà dépositaire.
Aujourd’hui, les faux-semblants s’effondrent, les dissonances se multiplient, les échéances s’estompent à mesure que s’étire l’état d’exception. Il est temps de dire non. Trop de paroles sans lendemain, trop de postures sans substance, trop de trahisons maquillées en patriotisme. Le peuple n’attend plus. Il exige. Non pas des proclamations, mais des comptes. Non pas des prétextes, mais des actes. Non pas des simulacres, mais le retour à la République, dans toute sa solennité et toute sa rigueur.
Il est désormais impératif de rétablir le primat du droit, de restaurer la légitimité institutionnelle, et de replacer la souveraineté là où elle réside : dans le peuple. La transition ne saurait être une rente de pouvoir. Elle est une parenthèse, et doit le demeurer. Car si l’histoire tarde à juger, le peuple, lui, ne tarde jamais à se lever.
