Ami, ennemi : au pouvoir, difficile de savoir la vraie face des hommes ! (Sayon Mara)
J’écris ces quelques lignes, non pas pour raviver la tension et les rancœurs entre les guinéens, loin s’en faut, mais pour dire à ceux qui ont le vent en poupe aujourd’hui de prendre garde car, quand on détient les rênes du pouvoir, il faut penser à l’après pouvoir, même si l’exercice semble laborieux au regard des délices et privilèges que procure le pouvoir.
Attention ! Ceux qui vous applaudissent aujourd’hui, n’hésiteront pas à vous vouer aux gémonies demain, quand sera finit votre temps et que le pays se retrouvera sous le règne de nouveaux maîtres.
Le pouvoir attire les hommes comme le miel allèche les mouches. Il est un peu comme un arbre qui porte des fruits mûrs. Les oiseaux qui y viennent pour picorer, ne viennent pas forcément par amour ; ils viennent parce qu’ayant des intérêts. Le jour où il n’y a plus de fruits, les oiseaux déserteront. Il en est de même pour le pouvoir.
Tant que vous êtes au pouvoir, il est difficile, voire impossible, de connaitre qui est qui, de savoir qui vous aime et qui ne vous aime pas. Il vous est difficile de distinguer un vrai visage d’un simple masque. Des loups se vêtiront en peaux d’agneaux. Dès que vous vous présentez, tout le monde rit, même si certains le font du bout des lèvres afin d’obtenir ce qu’ils cherchent. Ou, même si au fond ils vous détestent à mort.
Indubitablement, tant que vous exercez le pouvoir, vous êtes adulé. Tout le monde vous fait les yeux doux. Votre colère devient la colère de tous, votre tristesse, la tristesse de tous ; votre haine, la haine de tous ; votre joie la joie de tous.
Tant que vous détenez le pouvoir de nomination, vous n’avez que des amis. Tout le monde vous chérit, tout le monde cherche à vous rencontrer. Les flagorneurs eux, vous feront croire que c’est vous le centre de la terre. Ils vous porteront au pinacle et vous feront passer pour l’après Dieu voire Dieu. C’est ainsi qu’en toute candeur, vous commencerez à penser que tous ceux qui tournent autour de vous sont vos admirateurs, vos acolytes. Le boulevard est ainsi ouvert et bonjour à la paranoïa. Vous n’êtes plus sensibles qu’à un seul discours, celui des laudateurs ventant sans cesse vos mérites et bienfaits, les discours qui présentent sous leurs beaux jours vos actes les plus moches et infâmes, les discours qui dépeignent vos anciens amis (les vrais, ceux qui sont capables de vous dire ce qui est), en des personnes ennemies, jalouses de votre fulgurante ascension. Tout à coup, vous vous faites de nouveaux amis et croyez absolument en eux.
Dans les coulisses du pouvoir, nombreux sont ceux qui arborent des vêtements de brebis, sur une peau de loups ravisseurs. Vous ne serez capable de déceler le visage de personne, ni ne douterez de la loyauté de quelqu’un. Mais dès que vous perdez le pouvoir, les masques tomberont, les vrais visages commenceront à s’afficher.
Évidemment, quand l’heure de la déchéance va sonner, nombreux sont ceux qui vous quitteront sans la moindre formalité, et s’empresseront de dévoiler vos secrets et défauts sur les places publiques, en disant combien il était si difficile de collaborer avec vous ; combien vous êtes têtu, grincheux et acariâtre dans votre personnalité. Bref, beaucoup vous renieront simplement parce que le glas de votre pouvoir a sonné, vous n’avez plus le pouvoir de nomination. Ceux qui étaient tout le temps à vos portes dans l’espoir de récolter un simple sourire ou qui y venaient à la recherche de votre clémence, de votre générosité, ou de votre considération, vous fuiront. D’aucuns ne voudraient même plus entendre parler de vous. D’autres même souhaiteraient que vous périssiez de la plus mauvaise manière.
S’il est tant vrai que tous ceux qui vous applaudissent ne sont pas forcément de cœur avec vous, force est également de reconnaître qu’il y en a qui ne vous applaudissent jamais mais, qui ne sont pas contre vous et sont dans la disposition de toujours vous dire la vérité.
D’aucuns iront jusqu’à dire que pour vous atteindre, il faudra d’abord marcher sur leurs corps, alors que le jour où vous perdrez le pouvoir, ou vous vous trouverez dans une situation inconfortable, vous ne verrez personne à vos côtés. Ils vous abandonneront tous et vous vous retrouverez seul, oui tout seul face à l’histoire, face à votre destin.
Le pouvoir attire les hommes comme le miel allèche les mouches. Nombre de ceux qui feignent de vous aduler aujourd’hui viennent tout juste pour leurs intérêts. Le jour où ils ne trouveront pas ces intérêts, ils vous quitteront tous. Des anciens dignitaires furent confrontés à cette dure et triste réalité les premiers jours qui suivirent les événements du 5 septembre 2021. Ceux qui étaient notamment affichés politiquement, vécurent des moments difficiles dans l’Administration. Certains furent considérés comme des parias, des rebus de la société. J’illustre ce propos par une anecdote très édifiante de l’expérience d’un ancien haut dignitaire.
Le lundi 6 septembre 2021, quelqu’un vint le trouver très tôt le matin. Il tapa à la porte. Pan! Pan! Il ouvrit la porte. Une personne qu’il connaissait bien, qui le regardait difficilement dans les yeux, entra. Il avait beaucoup de respect pour lui, du moins jusqu’au 4 septembre 2021. Il entra avec un air cadenassé. Soudain, il aperçut la photo du Président Alpha CONDE. Il intima à l’ancien dignitaire de la descendre, en entonnant la formule suivante : « Ne sais-tu pas que c’est un nouveau soleil qui vient de se lever ? Descends rapidement la photo là. » Lui qui ne pouvait, naguère, lui fixer dans les yeux, se retrouvait soudainement là, à lui donner des ordres avec le changement de pouvoir.
L’ancien dignitaire le regarda fixement, avant de s’exécuter. Face à sa lenteur dans l’exécution, ce subordonné se rua vers son bureau pour prendre la photo et aller certainement la détruire. C’est ainsi qu’il s’opposa. Celui-ci le regarda, lui aussi le regarda. Finalement, il abdiqua en laissant la photo. Il sortit du bureau.
L’ancien dignitaire n’en revenait pas. Il prit la photo, la dissimula soigneusement. En rentrant le soir à la maison, il l’emmena et l’accrocha au beau milieu de son lit.
Le pouvoir attire les hommes comme le miel allèche les mouches. Quand le pouvoir change de main en Guinée, les hommes changent également. Même les relations aussi, du moins dans l’Administration publique.
Nombre de cadres de l’ancien régime vécurent des moments difficiles dans certains départements ministériels. Voués aux gémonies, certains de leurs anciens collaborateurs se gênaient même de s’afficher publiquement avec eux. D’autres les fuiaient, soit par crainte de subir le même sort qu’eux, témoignant ainsi de leur déloyauté ou manque de sincérité dans les relations. D’autres se demandaient sur le sort qu’on pouvait bien leur réserver. Le pouvoir a changé de main ! Des gens qu’ils appelaient une fois au téléphone et qu’ils répondent instantanément, ne prennent plus leurs appels.
Sans aller à hue et à dia, quand on détient le pouvoir, il faut aller avec humilité car, tout finit par finir un jour. Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. Cela n’arrive pas qu’aux autres ! Un pouvoir qui ne comprend pas cela, va à vau-l’eau !