Contre La sansure

Au Burkina Faso, le musellement des voix discordantes continue, en dehors de tout cadre légal

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Un mois après son arrestation, l’avocat burkinabè Guy Hervé Kam reste enfermé, sans espoir de procès. Il était pourtant le plus célèbre défenseur des voix réduites au silence. À Ouagadougou, les réquisitions forcées et les enlèvements d’opposants continuent.

Lui qui se trouvait d’habitude derrière le micro pour défendre ses clients apparaît cette fois sur une banderole plastifiée, devant une chaise vide. « Libérez Me Guy Hervé Kam et tous les citoyens enlevés« , peut-on lire à côté de sa photo. Un mois après l’arrestation de ce célèbre avocat, les partisans de son mouvement Sens (Servir et non se servir) ont une nouvelle fois dénoncé sa « séquestration arbitraire » lors d’une conférence de presse organisée lundi 26 février à Ouagadougou.

« Maître Guy Hervé Kam a toujours été du côté des victimes de l’arbitraire. Est-ce pour cela qu’il a été enlevé ?« , questionne Idrissa Barry, secrétaire général de Sens, rappelant que les autorités n’ont toujours pas saisi la justice.

Malgré l’armada d’avocats qui le soutiennent, le cas de Guy Hervé Kam, comme celui de tous les autres enlèvements et réquisitions forcées dans le pays, semble sans issue. L’avocat est particulièrement connu au Burkina pour avoir été l’avocat de la famille de Thomas Sankara, ancien chef de l’État (1983-1987) tué lors d’un coup d’État perpétré par son successeur, Blaise Compaoré.

Grâce à un décret de mobilisation générale signé en avril 2023 pour une durée d’un an, le président de transition burkinabè Ibrahim Traoré peut en effet réquisitionner des citoyens pour participer à la guerre que mène le pays contre les terroristes présumés. Depuis, plusieurs voix critiques du régime militaire, au pouvoir depuis un coup d’État en septembre 2022, ont été visées par ces réquisitions et enlèvements.

Suspension des réquisitions

Enlevé dans la nuit du 24 au 25 janvier à l’aéroport de Ouagadougou par des individus en civils, Guy Hervé Kam – également cofondateur du mouvement Balai citoyen, une organisation connue pour tenir tête au pouvoir en place et avoir contribué à la chute de Blaise Compaoré en 2014 – avait ensuite été emmené à la Sûreté nationale, où il est toujours détenu. Condamnant avec force l’arrestation de ce confrère, le Syndicat des avocats du Burkina Faso (Synaf) avait alors observé une journée de grève le 15 février. « Sans que rien ne bouge du côté des autorités« , déplore un des membres, qui a souhaité garder l’anonymat.

« Le cas de Me Kam est une prise d’otage qui ne dit pas son nom« , dénonce un membre de la société civile, pour qui la justice, impuissante, reste limitée dans ses actions. « Nous déposerons de nouvelles plaintes et de nouveaux recours« , assure cependant un des avocats de Guy Hervé Kam à France 24.

Quelques semaines avant son arrestation, Guy Hervé Kam avait réussi le 6 décembre, avec un collectif d’avocats, à faire suspendre par le tribunal administratif de Ouagadougou un ordre de réquisition qui visait le journaliste Issaka Lingani et deux activistes de Balai citoyen, Bassirou Badjo et de Rasmané Zinaba. Après plusieurs audiences dénonçant un « détournement de pouvoir », ceux-ci avaient obtenu gain de cause.

Issaka Lingani, Bassirou Badjo et Rasmané Zinaba avaient vu apparaître leurs noms sur une liste de douze personnalités visées par des enrôlements de force. Parmi elles : Ablassé Ouedraogo, ex-ministre et président du parti Le Faso autrement, ou encore Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (Cisc).

Enlevé et envoyé au front trois jours après

Le point commun entre ces douze personnalités était d’avoir dénoncé les restrictions de liberté et critiqué ouvertement le régime d’Ibrahim Traoré, accusé de dérives autoritaires. « Les réquisitions sanctions ou les réquisitions punitions sont un moyen de casser les voix discordantes« , déclarait Rasmané Zinaba sur un plateau de télévision le 6 novembre.

Par la suite, il s’est plutôt fait discret, jusqu’à sa récente disparition. Les 20 et 21 février, Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo se sont fait arrêter et ont été emmenés vers une destination inconnue, hors de tout cadre juridique. « Les autorités n’ont pas besoin de réquisitions, ni de s’embêter avec des recours. Il vaut mieux enlever directement les gens, c’est plus simple« , ironise un membre du Synaf, interrogé par France 24.

« Trois individus en civil et armés sont venus chez Rasmané Zinaba autour de 6 heures du matin. Ils ont frappé avec insistance, jusqu’à ce qu’il leur ouvre« , témoigne Ollo Mathias Kambou, un autre membre de Balai citoyen. « Ils l’ont embarqué, et depuis, on n’a aucune nouvelle de lui. On ne sait pas où il est, qui l’a enlevé ou pourquoi. C’est ignoble« , confie-t-il à France 24.

Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo pourraient réapparaître en tenue de Volontaire pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils de l’armée), en treillis et une arme à la main, dans des images postées sur les réseaux sociaux, dans ce qui ressemble à un mode opératoire devenu banal.

C’est ce qui est arrivé à Daouda Diallo et Ablassé Ouedraogo, enlevés respectivement les 1er et 24 décembre. Trois jours après son arrestation, une photo de Daouda Diallo a été diffusée : on y voit le défenseur des droits humains, l’air hagard, en tenue militaire à l’arrière d’un pick-up, kalachnikov sur les genoux.

Contrôles renforcés à la sortie du pays

Dans un communiqué diffusé après les disparitions de Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, Balai citoyen avait pris « à témoin l’opinion nationale et internationale de l’arbitraire, de l’intimidation et des menaces de mort dont font l’objet ses militants depuis l’avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) » et interpellé les autorités « pour qu’elles assument leur rôle » face à une « pratique devenue banale ». Contactées, les autorités de transition n’ont pas répondu aux sollicitations de France 24.

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