Comment échapper au piège des coups d’État: quelques leçons du Ghana (*)
Gilles Yabi partage avec nous les analyses d’un universitaire kényan enseignant aux États-Unis sur les coups d’État en Afrique, en s’appuyant sur l’expérience du Ghana et du coup d’État de John Jerry Rawlings.
La question qu’il se pose est celle de savoir comment le Ghana a pu échapper au piège des coups d’État. Cet universitaire d’origine kényane, spécialiste de politique comparée, Ken Ochieng’ Opalo, est professeur associé à Georgetown University, à Washington, DC.
Cet article m’a particulièrement intéressé parce que beaucoup de partisans ou de défenseurs des coups d’État comme remèdes nécessaires aux dérives de la gouvernance politique dans certains pays aiment bien citer l’exemple du Ghana et de la réussite de John Jerry Rawlings arrivé au pouvoir alors qu’il était lieutenant de l’armée de l’air, qui a su conduire une transition vers un gouvernement démocratique et civil stable.
Entre 1961 et 1985, rappelle Ken Opalo, le Ghana a connu un total de 17 coups d’État (cinq coups d’État réussis, cinq tentatives de coup d’État et sept conspirations documentées). Lorsque Jerry Rawlings a pris le pouvoir en 1981, il n’était pas certain que ce serait le dernier dirigeant militaire. Il a dû faire face à trois tentatives de coup d’État et à quatre complots.
On le sait bien, et c’est d’ailleurs aussi vrai pour les rébellions armées : l’historique des coups d’État est souvent le meilleur indicateur du risque latent de coup d’État dans un pays donné. L’universitaire relève que « parmi les pays d’Afrique de l’Ouest ayant connu des coups d’État, le Ghana est le seul qui semble avoir définitivement échappé au piège des coups d’État ».
Comment le Ghana a donc pu échapper à ce piège ?
Le premier défi qui se pose à l’auteur d’un coup d’État, même mû par de bonnes intentions, est d’éviter de se faire aussi renverser. Ken Opalo rappelle que le processus de consolidation du régime militaire de Rawlings a été violent. Après son premier coup d’État en 1979, il a fait exécuter huit officiers supérieurs (dont trois anciens chefs d’État) par un peloton d’exécution. Lorsqu’il est revenu au pouvoir en 1981, de nombreux autres ont été condamnés à la peine capitale ou à de lourdes peines par des « tribunaux populaires ». Évidemment, c’est une manière de faire expéditive qu’il ne s’agit surtout pas de recommander. Et elle aurait pu très mal tourner. Rawlings aurait bien pu se faire éliminer lui aussi et le Ghana aurait pu basculer dans un cycle de graves violences pendant des années.
Opalo explique comment Rawlings a très vite choisi d’institutionnaliser la participation populaire comme moyen de régénérer la vie politique et de dépolitiser l’armée. Il a incontestablement cherché à rompre avec le passé, pas seulement dans les slogans mais dans la réalité. Entre 1984 et 1988, une Commission nationale pour la démocratie a étudié les moyens d’introduire la participation électorale, ce qui a conduit au rajeunissement des gouvernements locaux élus après 1988.
L’institutionnalisation de la mobilisation politique a aussi permis au Ghana de ne pas s’effondrer lorsqu’il a été confronté en 1983 à une crise économique majeure avec une grande sécheresse et l’expulsion manu militari de 1,2 million de Ghanéens du Nigeria, soit 9% de la population ghanéenne qu’il fallait réintégrer sans précipiter une catastrophe humanitaire. Les rapatriés ont été réinstallés dans leurs régions rurales d’origine où des escouades de mobilisation composées de jeunes ont été constituées. Rawlings avait une stratégie politique mais aussi une stratégie économique pragmatique centrée sur la revitalisation des zones rurales. Selon les termes de Opalo, « Rawlings n’était pas un idéologue radical ».
Selon lui, sortir du cycle des coups d’État pour les pays actuellement concernés sera très difficile
Il identifie cinq pays en Afrique de l’Ouest qui présentent les risques les plus élevés de coup d’État, incluant le Mali, le Niger, le Burkina Faso mais aussi la Guinée et la Guinée-Bissau. Les principaux facteurs de leur risque de coup d’État – menaces graves liées à la sécurité, secteurs de la sécurité relativement surdéveloppés, manque de ressources suffisantes pour mener des guerres, se protéger contre les coups d’État et mener des politiques clientélistes, et exposition aux manipulations géopolitiques mondiales – ne diminueront probablement pas de sitôt. Dans ces conditions, il sera très difficile de civiliser complètement la politique dans ces États. La conclusion que j’en tire est qu’il ne faut surtout pas céder à la résignation. C’est parce que ça va être très difficile qu’on doit rester mobilisés et concernés.
(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/Ca-fait-debat-avec-wathi/20231007-comment-echapper-au-piege-des-coups-d-etat-quelques-lecons-du-ghana