« La question qu’il faille se poser est de savoir si un coup d’Etat n’engendrera pas un autre… »
Depuis 1990, la Guinée n’a connu que des coups d’Etat. Certains de ces coups sont civils, d’autres militaires. En 1984, 1993, 1998, 2003, 2008, 2010, 2015, 2020 et 2021… Celui de 2010 avait sonné comme la fin de cette série de mascarades. Malheureusement, ce n’était que le début d’une autre série de coups d’Etat civils qui allaient aboutir à un autre coup d’Etat militaire cette fois-ci, en 2021.
La violation des textes fondateurs sur lesquels le Président d’alors avait prêté serment était un coup d’Etat constitutionnel, civil. La lutte menée par la majorité des Guinéens contre ce passage forcé de l’ex Président Alpha Condé fut historique. C’est aussi cette violation de la loi et la lutte qui en a résulté qui ont légitimé, puisqu’il faut le dire, la reprise du pouvoir par les armes par le CNRD, le 05 septembre 2021.
Un constat s’est alors dégagé. Hormis la garde du palais, nulle part en Guinée ou à travers le monde ce coup d’Etat n’avait connu de résistance. Au contraire, on a assisté à des scènes de joie partout en Guinée et au sein des communautés guinéennes vivant à l’étranger. Le coup d’Etat bénéficia alors d’une approbation générale. Comme d’habitude, les premiers pas du CNRD étaient rassurants au point de séduire les plus sceptiques. Parmi eux, figuraient d’importantes personnalités politiques et de la société civile.
Précipitamment peut être, certains avaient pris l’initiative de faire le tour de la sous-région ouest africaine, certaines chancelleries occidentales et des sièges d’institutions internationales pour solliciter un appui en faveur des nouvelles autorités de Conakry, vues comme salvatrices et restauratrices de l’ordre normal, de la démocratie, de l’Etat de droit. La suite est connue de tous.
Les consultations nationales, l’ouverture du dialogue inter-guinéen qui a vu le départ du charismatique premier Premier Ministre de la transition, l’élaboration en solo du chronogramme de la transition sont autant de faits qui ont semé le doute dans les cœurs et creusé le fossé entre les forces vives de Guinée et le CNRD. Cette gestion solitaire de la transition avait alors focalisé l’attention des acteurs de la vie politique du pays. On a alors commencé à soupçonner le Colonel Doumbouya d’entretenir un agenda caché, ce qui a attisé les tensions sociales et même provoqué de pertes en vies humaines pendant des manifestations appelées par les forces vives.
Pendant ce temps, alors que les Guinéens continuent de s’interroger sur les véritables intentions du CNRD, le Colonel Doumbouya a tenu un discours surprise à la tribune des nations unies lors de la 78ème Assemblée générale tenue à New York le 21 septembre 2023. Sa remise en question du ‘’modèle de démocratie à l’occidentale’’ qui nous serait ‘’insidieusement et savamment imposé’’ selon lui, son mutisme sur le retour à l’ordre constitutionnel pourtant tant attendu dans cette sortie d’envergure, ont conforté ceux qui ont douté de la volonté du CNRD d’organiser des élections libres et de rendre le pouvoir aux civils dans un délai raisonnable.
Avant cet évènement de portée historique, des actes posés sur le terrain confortaient ce pessimisme des acteurs, à savoir l’interdiction des manifestations dans les rues et les places publiques, la pression continue sur les acteurs politiques et sociaux, une volonté délibérée d’exclure les acteurs critiques vis-à-vis de la conduite de la transition, entre autres. Il faut signaler à ce niveau que les autorités elles, ne se privent point de bains de foules et autres manifestations à une allure de campagne à travers le pays.
En dernier ressort, les Guinéens attendaient impatiemment l’adresse du chef de l’Etat à la nation à l’occasion de la célébration du 65ème anniversaire de l’indépendance. Ils espéraient donc un éclaircissement sur le déroulement des 10 points du chronogramme de la transition et le retour à l’ordre constitutionnel. Contre toute attente, le Colonel a avoué prioriser le social, l’économique et le politique dans un ordre strict. Que cache cette sortie du Président de la transition Guinéenne ? Que veulent le Colonel Doumbouya et le CNRD ?
En attendant de trouver des réponses claires à ces interrogations, les yeux des Guinéens sont tournés vers le CNT (Conseil National de la Transition). Ils attendent avec impatience de voir ce que va livrer la nouvelle constitution en cours d’élaboration. Ils attendent surtout de comprendre quelle alternative à la démocratie les autorités de Conakry ont à proposer. La question qu’il faille se poser à cette étape marquée de craintes et d’incertitudes est de savoir si un coup d’Etat n’engendrera pas un autre…
Time will tell.