Contestation au Mali: «Il faut s’attendre à ce que le mouvement s’accentue»

Au Mali, un meeting des partis politiques prévu samedi 3 mai et empêché par des soutiens de la Transition et par la police, a donné lieu à l’expression d’une contestation inédite. Des centaines de Maliens ont crié, devant le Palais de la Culture à l’accès interdit, leur ras-le-bol de la Transition, leur refus de la dissolution des partis et du maintien des militaires au pouvoir et leur désir d’aller enfin aux élections. Comment analyser cet événement et quelles suites possibles pour la contestation ? Entretien avec Oumar Berté, avocat et politologue malien, chercheur associé à l’Université de Rouen.

RFI : Le meeting des partis politiques prévu samedi à Bamako a été empêché par les soutiens mobilisés par les autorités de transition et par la police. C’est donc dans la rue que des centaines de contestataires ont exprimé leur mécontentement. Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, c’est une première…
Oumar Berté : Oui, depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en 2020, une telle mobilisation contre les autorités de transition n’avait pas eu lieu. Toutes les manifestations dans la rue allaient dans le sens inverse, c’est-à-dire dans le sens du soutien des autorités de transition. Quand bien même le meeting du samedi n’a pas eu lieu, en raison du fait que les lieux ont été occupés par des soutiens de la transition, les organisateurs ont réussi leur pari : le pari de la mobilisation.
Je pense que les organisateurs sont eux-mêmes surpris de l’ampleur de la mobilisation, qu’ils ne s’y attendaient pas. Les soutiens des autorités de transition notamment ne cessent de répéter sur les médias et les réseaux sociaux que les acteurs politiques n’avaient plus personne qui les soutenait. Donc à force de le répéter tout le temps, ceux-ci avaient fini par croire effectivement que personne ne les soutenait. Et là, c’est inédit. Et les autorités de transition sont, de mon avis, elles aussi, surprises de l’ampleur de la mobilisation. C’est une grosse réussite pour les organisateurs.
Ce ras-le-bol qui s’est exprimé samedi dans les rues de Bamako, selon vous, est-il représentatif ou est-ce un épiphénomène ?
Je pense qu’il est représentatif du ras-le-bol de la société actuelle au Mali, des crises qui se multiplient – la crise énergétique, la crise financière qui en découle, la crise sociale – mais aussi des répressions féroces que les gens subissent notamment des emprisonnements dans tous les sens et des enlèvements…
Des limites à l’espace démocratique…
Exactement, des limites à l’espace démocratique et donc il y a un ras-le-bol qui non seulement est là, mais il y a aussi l’usure qui a atteint les autorités de transition. Et donc il fallait quelqu’un qui puisse avoir le courage d’organiser, de demander aux gens de sortir. Je pense que les gens ont saisi l’occasion pour sortir. À mon avis, c’est un début, il faut s’attendre à ce que le mouvement s’accentue.
Dans quelle mesure, selon vous, ce qui s’est passé ce week-end fragilise ou pas les autorités maliennes de transition ?
Cela fragilise les autorités maliennes de transition sur le fait que jusque-là, elles semblaient faire l’unanimité dans le pays. Toutes les manifestations qui ont eu lieu à Bamako en faveur des autorités de transition ont été des réussites, mais là, clairement, c’est l’inverse qui s’est produit. Donc, elles sont dans une situation de fragilité maintenant : le soutien qu’elles avaient jusque-là est en train de s’affaiblir progressivement.
Les partis politiques vont désormais tenter d’élargir le mouvement, de l’étendre hors de Bamako et de mobiliser d’autres acteurs. Peuvent-ils y parvenir ?
Les partis politiques ne peuvent pas réussir seuls à mobiliser les gens dans la rue parce qu’en réalité, ces partis politiques se sont aussi affaiblis eux-mêmes. Si on en est arrivé aujourd’hui au fait que des militaires sont en pouvoir et s’ils ont réussi à s’implanter à de cette manière, c’est que les acteurs politiques ont été complaisants avec eux, ou qui les ont soutenus et accompagnés. Ce sont surtout les acteurs de la société civile aujourd’hui qui sont au-devant de la scène.
Croyez-vous à une implication des syndicats et notamment de la puissante centrale UNTM qui avait joué un rôle capital dans la révolution en 1991 ?
Je n’y crois pas. Je pense que les syndicats aujourd’hui et surtout la centrale syndicale UNTM aujourd’hui, elle a été cooptée par la Transition. Le secrétaire général, le premier responsable de cette organisation, Yacouba Katilé, est président d’une institution, le Conseil économique social et culturel. Sauf à ce qu’il y ait une dissidence en son sein, je ne pense pas que l’UNTM se rallie à cette cause. Mais quoi qu’il en soit, je pense que le mouvement va continuer à s’accentuer.
Comment évaluez-vous le risque de répression de la part des militaires au pouvoir ?
Le risque de répression est très élevé. Il n’est pas à exclure que les autorités de transition utilisent la force ou la justice pour réprimer ces contestations et faire peur aussi à ceux qui seraient tentés de s’y rallier. Donc ce risque est très élevé aujourd’hui, ce qui fait qu’on court également le risque d’une radicalisation des deux côtés.
Vous parlez d’un risque de radicalisation, est-ce que ça ne risque pas aussi de tuer dans l’œuf le mouvement de contestation ?
Il y a un risque que cela tue le mouvement de contestation, mais la peur semble avoir changé de camp. La peur que les Maliens qu’ils avaient pour sortir dans la rue contester les autorités de transition, cette peur semble avoir été combattue.
Source: RFI